« Entrée interdite ». La gigantesque plaque métallique posée sur le portail de la propriété de Stanley Kubrick, près de Saint Albans, dans la campagne du Hertfordshire, à une trentaine de kilomètres de Londres, ne laisse aucune ambiguïté sur la volonté de l’ancien maître des lieux de préserver son intimité. Si jamais l’injonction échappe au visiteur curieux, une nouvelle plaque l’attend 2 kilomètres plus loin, vissée à un autre portail, encore plus imposant : « Interdit d’aller plus loin ». Ces interdits apparaissaient autrefois comme autant d’impératifs catégoriques destinés à ériger un mur entre Kubrick et le reste du monde. Le réalisateur américain est décédé en 1999, juste après avoir présenté les premiers « fesses » de son dernier film, Les yeux grands fermés, mais les signes de son désir d’insularité ont survécu.
Stanley Kubrick se retrouve, en 1977, en pleine préparation pour Brillant quand il a trouvé son propre Overlook Hotel. Dans le roman de Stephen King, il s’agit d’un établissement coupé de tout au milieu des montagnes, où l’écrivain incarné par Jack Nicholson est pris d’une folie meurtrière. Pour Kubrick, il s’agira de la forme plus rurale du Childwickbury Manor, acheté auprès d’un entraîneur de chevaux. « Attention, à Childwickbury, il ne faut pas prononcer le « l » », insiste Katharina Kubrick, la fille que Christiane Kubrick, l’épouse du cinéaste, a eue d’un premier mariage et que le cinéaste a adoptée et élevée. Au volant de son 4×4, elle croise un haras, puis un troupeau de vaches. Une forêt apparaît, mais aucune maison à l’horizon. Childwickbury n’est cependant pas un mirage.
Katharina Kubrick y réside avec sa mère, qui travaille toujours dans son atelier de peinture, et son neveu, Sam Kubrick, musicien de heavy metal, fils de sa demi-sœur Anya Kubrick, décédée en 2009. Childwickbury était à l’origine un manoir, un prénom dont sa fille conteste la pertinence. « Si c’était un manoir, il y aurait un seigneur. Mon père n’avait rien d’un seigneur. » Étranger à cette aristocratie, Stanley Kubrick possédait pourtant toutes les qualités d’un écuyer.
Enterré sur sa propriété
Plusieurs parties du bâtiment remontent à la période élisabéthaine ; ils sont aujourd’hui adossés à un bâtiment plus récent présentant des fissures visibles. Les écuries, autrefois transformées par le cinéaste en salle de montage et bureaux, sont désaffectées. Des forêts et des pâturages, ainsi qu’un mur d’enceinte, mettent le lieu hors d’atteinte. Xanadu de Stanley Kubrick, son royaume lointain et isolé, a sans doute donné à ses visiteurs le sentiment d’entrer dans une autre dimension. Ce domaine était destiné à le rendre intouchable. » Un jour, se souvient de Katharina Kubrickun homme frappe à notre porte, mon père ouvre, le monsieur demande : « J’aimerais rencontrer Stanley Kubrick. » Mon père a répondu : « Il est absent aujourd’hui. » Et il a fermé la porte. »
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