Série de sabotages en France. « L’ultra-gauche n’a jamais été condamnée pour ce genre d’acte », explique le criminologue Alain Bauer
Professeur de criminologie, Alain Bauer décrypte la vague de sabotages qui a frappé les lignes ferroviaires et les réseaux téléphoniques en France, en plein Jeux olympiques.
Comment interpréter la série de sabotages perpétrés à la veille de la cérémonie olympique sur les voies ferrées en France, et récemment sur les réseaux téléphoniques ? Pourquoi les rails et le train sont-ils pris pour cible ?
Les penseurs critiques ont depuis longtemps mis en évidence les vulnérabilités des sociétés connectées. Plus la modernisation technologique progresse, plus les dépendances augmentent et offrent, aux militaires comme aux contestataires, des cibles de choix : routes, voies ferrées, aéroports, lignes téléphoniques, câbles et fibres, satellites, GPS, …. Ce qui connecte et accélère, pour ne pas ralentir en ajoutant de la sécurité, peut aussi provoquer panique et blocages. Les trains sont attaqués comme des diligences, les rails sabotés par la résistance ou bombardés par l’ennemi, depuis qu’il y a des trains et des rails. Ce qui est nouveau, c’est la capacité de détruire les relais de communication et les outils informatiques sur les réseaux à haut débit pour garantir la sécurité des connexions en raison de l’augmentation du nombre de trains sur une même ligne.
Pourquoi le mouvement d’extrême gauche est-il soupçonné de ces attentats malgré l’absence de revendications clairement identifiées ?
Historiquement, c’est l’OAS (Organisation armée secrète) qui a mené le sabotage le plus meurtrier en 1961 contre le train Strasbourg-Paris. Puis, en 1982 et 1983, le groupe Carlos a posé des bombes contre un train à destination de Toulouse et de la gare et un TGV à Marseille. En 2004, un groupe purement criminel baptisé AZF a menacé la SNCF, après avoir placé deux bombes sur les voies. En 2008, sur les lignes à grande vitesse (LGV) Nord, Est et Sud-Est, des trains ouvrants, chargés de vérifier la sécurité des voies, ont heurté des crochets placés sur les caténaires. En 2013, une locomotive a déraillé sur une voie desservant un site du groupe nucléaire Areva à cause d’une éclisse déboulonnée. En 2018, un train de marchandises a dû s’arrêter et les hôtesses de cabine ont constaté la coupure de sept conduites de frein entre les voitures. En 2023, un incendie criminel impliquant une cinquantaine de câbles a paralysé la gare de l’Est. Mais si des hypothèses ont été avancées, l’« ultra-gauche », terme fourre-tout dont les contours seraient bien difficiles à définir, n’a jamais été condamnée pour de tels actes.
Quels groupes ou mouvements constituent aujourd’hui l’extrême gauche ? Quelles sont ses autres cibles privilégiées ?
En fait, par commodité ou impossibilité d’identifier clairement des mouvements très divers, on mélange des groupes très à gauche, capables de recourir au sabotage et pas seulement à la manifestation violente. On peut y retrouver, dans le désordre, des militants révolutionnaires de toutes obédiences, des Gilets Jaunes « entretenus » et déterminés, des Black Blocs, des militants écologistes de sensibilités « Soulèvements » ou « Rébellion », mais aussi, selon les cas, des anarcho-syndicalistes ou des « autonomistes »… Chaque groupe exprimant par des revendications ou une signature les raisons de son action. On ne peut exclure, en cette période de manipulations diverses, une mise en scène voulue par un acteur étranger utilisant ou se cachant derrière des opérateurs locaux.
Les différents groupes qui se regroupent sous l’étiquette d’ultra-gauche peuvent-ils constituer une réelle menace en France et à quels autres types d’actions peut-on s’attendre ?
Le passage du sabotage sans intention de blesser ou de tuer à d’autres types d’opérations terroristes est encore possible dans une société très conflictuelle depuis le mouvement des Gilets Jaunes et qui traverse de multiples crises dont aucune ne semble jamais se terminer : Gilets Jaunes, Covid, retraites, inflation, homicides, terrorisme, guerre… Sans parler des tensions à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, ou des menaces dans le Cyberespace. L’État s’y prépare de mieux en mieux, mais le niveau de risque augmente au moins proportionnellement.
Comment et de quelles manières ces menaces peuvent-elles évoluer en France ?
Depuis la Libération, les espaces d’accalmie ont été rares, entre les décolonisations, la guerre froide et le terrorisme « rouge » et « noir », mais avec une période de dix ans (1989-1999) de quasi-paix. Les citoyens avaient appris une forme de résilience, notamment après les attentats de 2015. La société avait résisté au terrorisme extérieur. Il faut espérer qu’elle puisse, malgré ceux qui veulent tout rendre conflictuel, résister aussi aux menaces intérieures.