« Serial Miller » de Chloé Vienne, le livre d’investigation qui revient sur « l’affaire » Gérard Miller
Après un reportage pour « Envoyé Spécial », qui relayait les témoignages de plusieurs femmes accusant le psychanalyste d’abus sexuels, la journaliste poursuit son enquête dans un livre qui décortique ce qui ressemble à un système de prédation.
Publié le 18 octobre 2024 à 16h30
Le 29 février 2024, dans la foulée des révélations du magazine Elle sur Gérard Miller, alors accusé d’agressions sexuelles et de viols par plusieurs dizaines de femmes, les journalistes Chloé Vienne et Lucie Rémy ont signé, pour Envoyé spécial, un reportage dans lequel ont témoigné trois femmes qui se sont déclarées victimes du psychanalyste médiatique.
Sept mois et demi plus tard, le premier poursuit l’enquête dans un livre, Série Miller, publié le 16 octobre aux éditions Stock. Un titre bien accueilli pour un ouvrage qui, s’il entend dresser un portrait du célèbre chroniqueur, décortique surtout avec précision un mode opératoire répétitif que l’ex-membre de la bande Ruquier aurait mis en œuvre auprès de très jeunes femmes, certaines dont étaient censés être mineurs au moment des faits. Gérard Miller aurait pris l’habitude de les repérer dans le public des émissions dont il était l’un des chroniqueurs vedettes, mais aussi sur les bancs de Paris-VIII où il enseignait, avant de les inviter à l’accompagner sur des spectacles, puis dîner, puis se livrer « jeux d’hypnose » à son domicile. Il en aurait ainsi prodigué à plusieurs d’entre eux « caresses » et d’autres « massage » sur les fesses et la poitrine sans que personne ne dise se souvenir d’avoir consenti. Certains dénoncent des viols. Et plusieurs victimes présumées soupçonnent en outre qu’elles ont été droguées à leur insu, rapportant « trous noirs ».
Une enquête ouverte par le parquet de Paris
Si le parquet de Paris ouvrait une enquête le 23 février 2024, sur la base de six signalements pour gestes « au moins genré », Gérard Miller, présumé innocent, n’a pour l’instant pas été interrogé par la police, ni jugé, comme le rappelle un avertissement placé en préambule du livre.
Pour mettre en lumière cette opération soigneusement rodée, Chloé Vienne s’est appuyée sur les témoignages d’une dizaine de femmes, qui ont rapporté des faits qui se seraient produits depuis les années 1990 jusqu’aux années 2003-2004. Mais aussi sur les déclarations de « petites mains du cirque Ruquier », comme il désigne maquilleurs, éclairagistes, techniciens… Au total, la journaliste raconte avoir discuté avec quatre-vingts d’entre eux, appelés « un par un » et qui « Nous en étions tous conscients mais n’avions jamais pensé à le dire, à faire quelque chose », écrit Chloé Vienne. « Chaque jour, nous remarquions entre nous qu’il faisait ce qu’il voulait auprès du public », résume un technicien sous couvert d’anonymat. Ils sont également plusieurs à avoir raconté au journaliste qu’après l’avoir entendu prononcer ces mots à de nombreuses reprises devant des spectateurs visiblement très jeunes « qu’il a entrepris sur le plateau », « Quel âge as-tu? » » était devenu le surnom dont ils avaient paré Gérard Miller.
Silence assourdissant des « étoiles »
À « les gens des plateaux » deNous avons tout essayé qui a accepté de répondre à ses questions, Chloé Vienne contraste avec le silence assourdissant dans lequel les stars de l’émission ont décidé de s’emurer, des personnalités médiatiques telles que le chef de gang Laurent Ruquier, l’actrice Isabelle Mergault, l’acteur Franck Dubosc… L’auteur et féministe La militante Isabelle Alonso se limite à la renvoyer au billet de blog qu’elle a écrit le 6 avril 2024, en réponse à une demande d’interview formulée par un journaliste de Médiapart – un texte où elle invoque «l’ambiance, avant-MeToo». Contacté par téléphone pour le rapport de Envoyé spéciala lâché la puissante productrice de l’émission Catherine Barma au journaliste UN « Ah ! Ah ah, évidemment, cela devait arriver ! » avant de retourner à son service de presse.
Parmi les chroniqueurs contactés, seuls les comédiens Jean-François Dérec et Éric Métayer, ainsi que le dessinateur Philippe Geluck, ont accepté de répondre à ses appels. Evoquant cette dernière, Chloé Vienne, jointe par téléphone, commente : « Je voyais qu’il était énervé : il essayait de m’aider, il voulait comprendre. Il m’a avoué qu’il était tombé de sa chaise. » Gérard Miller, de son côté, a confirmé dans un communiqué à l’auteur qu’il souhaitait » réserver (c’est) mot à l’institution judiciaire ». Depuis l’annonce de la publication de Série Miller, elle indique avoir été contactée par trois autres femmes. Courant septembre, le magazine Elle a écrit pour sa part avoir recueilli quatre-vingt-quatre témoignages.
Série Miller, de Chloé Vienne, avec la collaboration de Sophie Blandinières, éd. Stock, 280 p., 20 €.