La parenthèse de l’hiver atomique, qui a suivi la catastrophe japonaise de Fukushima en 2011, serait-elle sur le point de se refermer ? Ce jeudi 16 janvier, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) publie son rapport annuel d’une centaine de pages qui analyse l’état de l’industrie atomique dans le monde et prédit son avenir. Et sa conclusion est sans appel : face au défi du changement climatique qui impose à l’humanité de produire massivement de l’électricité 100% décarbonée, « Le nucléaire est à l’aube d’une nouvelle ère ». « L’intérêt pour l’énergie nucléaire s’est accru ces dernières années, motivé par les préoccupations en matière de sécurité énergétique, le besoin croissant de capacités de production d’électricité à faibles émissions et les progrès de la technologie nucléaire. » analyse l’agence. Mais pour que cette énergie inépuisable redécolle réellement, il faut que le secteur « plusieurs défis majeurs à relever ».
Car en réalité l’industrie atomique sort d’une pause d’au moins trois décennies dans la construction de nouveaux réacteurs « en raison des coûts élevés, des longs délais de construction, d’un marché de l’électricité et d’un environnement politique défavorables, ainsi que des inquiétudes persistantes concernant l’exploitation sûre des centrales nucléaires et l’élimination en toute sécurité des déchets d’armes nucléaires de haute activité », rappelle l’AIE. Résultat : les 410 réacteurs nucléaires en fonctionnement dans plus de 30 pays ne représentaient qu’un peu plus de 9 % de la production mondiale d’électricité en 2023, contre environ 18 % à la fin des années 1990. Voyant le verre plutôt à moitié vide, le rapport « The World Nuclear Industry Status Report », dirigé par l’expert indépendant Mycle Schneider, estime pour sa part que le nucléaire civil est encore dans une période de « stagnation ».
Mais portée par des investissements estimés à 70 milliards de dollars par an d’ici 2030, l’énergie nucléaire devrait clairement redécoller dans les décennies à venir, estime l’AIE. De nombreux pays l’utiliseront pour répondre, aux côtés des énergies renouvelables, à l’explosion de la demande en électricité provoquée par l’essor des voitures électriques, des datacenters ou encore de l’électroménager et de la climatisation. Parmi les leaders historiques du secteur, la France reste le pays où l’atome conserve la plus grande part du mix électrique (65 % en 2023) avec 57 réacteurs en service depuis le raccordement de l’EPR de Flamanville, devant la Slovaquie (62 %) et l’Ukraine. (50%). Mais ce sont les États-Unis qui comptent encore le plus grand nombre de réacteurs en activité (94), et la Russie et la Chine qui sont les plus dynamiques dans la construction et l’exportation de nouvelles centrales.
63 réacteurs nucléaires en construction dans le monde
Grâce à sa puissance et sa haute disponibilité, l’atome produit encore 20 % d’électricité de plus que l’éolien, 70 % de plus que le solaire et quatre fois plus que la bioénergie. L’AIE souligne toutefois que « Le déploiement du solaire photovoltaïque et de l’éolien a explosé » et ça « Ces évolutions transforment les systèmes électriques du monde entier ainsi que le contexte commercial et politique de l’énergie nucléaire. » Car toutes les énergies décarbonées seront nécessaires pour sortir du carbone et vers une électricité zéro émission.
En effet, 63 réacteurs nucléaires sont actuellement en construction dans le monde, pour une capacité totale de 71 GigaWatt, dont 29 réacteurs et 33 GigaWatt uniquement pour la Chine. « Les investissements annuels dans l’énergie nucléaire (nouvelles centrales et prolongation de la durée de vie des centrales existantes) ont augmenté de près de 50 % au cours des trois années écoulées depuis 2020, dépassant 60 milliards de dollars (58,3 milliards d’euros). euros)», ajoute l’AIE. Malgré la guerre qu’elle mène contre l’Ukraine et les sanctions internationales, la Russie reste le leader mondial du secteur et exporte sa technologie, avec à elle seule 22 projets nucléaires GigaWatt prévus. « La forte concentration des marchés pour les technologies nucléaires, ainsi que pour la production et l’enrichissement de l’uranium, représente un facteur de risque pour l’avenir et souligne la nécessité d’une plus grande diversité dans les chaînes d’approvisionnement », prévient creusement l’agence. Manière de souligner la dépendance des pays occidentaux qui importent encore de l’uranium ou des assemblages combustibles russes pour leurs centrales électriques et risquent également de perdre du terrain dans leurs exportations vers la Chine.
Les petits réacteurs nucléaires, sauveurs du secteur ?
Parmi les autres écueils à éviter pour les États nucléaires ou en passe de le devenir, la gestion des coûts figure au premier plan. Dans un rapport publié mardi 14 janvier sur le développement des nouveaux EPR en France, la Cour des comptes a notamment alerté sur le « incertitudes » qui devra être levée avant de poursuivre le programme de construction de nouveaux réacteurs. Pierre Moscovici, le président de l’institution, allant jusqu’à appeler les pouvoirs publics à « suspendre la décision finale d’investissement du programme EPR2 jusqu’à ce que son financement soit assuré et que les études de conception détaillée aient progressé ». « Réduire les risques de dépassements de coûts et de retards est une condition préalable à l’expansion du financement, tant public que privé, et à la protection des intérêts des consommateurs. » est d’accord avec l’AIE. L’agence appelle à une production massive de réacteurs, à des prévisions plus fiables et à la généralisation des contrats d’achat d’électricité à long terme pour sécuriser les investissements dans le nucléaire.
Il faut dire que les sommes nécessaires pour relancer le nucléaire sont vertigineuses. D’environ 65 milliards de dollars par an aujourd’hui, les investissements dans le nucléaire devraient passer à 70 milliards par an d’ici 2030, voire 120, voire 150 milliards en cas d’accélération de cette technologie. Les coûts pourraient toutefois baisser grâce aux « SMR », ces petits réacteurs nucléaires modulaires déjà embarqués à bord des sous-marins que le secteur souhaiterait disséminer à proximité des métropoles, des industries électro-intensives notamment et des centres de données. « Des PRM compétitifs, stimulés par le soutien du gouvernement et de nouveaux modèles commerciaux, peuvent contribuer à ouvrir la voie à une nouvelle ère de l’énergie nucléaire. » affirme même l’agence, qui fixe la mise en service commerciale des premières unités à 2030. Vantés par Emmanuel Macron, les SMR ont été qualifiés de « nouveau mirage de l’industrie nucléaire » dans un rapport signé de l’ingénieur et consultant Antoine Bonduelle, expert auprès du GIEC. En effet, en 2024, EDF a mis entre parenthèses son projet Nuward pour repartir de zéro avec une nouvelle conception, tandis que l’américain Nuscale arrêtait complètement ses activités.
En fin de compte, les délais de construction de nouveaux réacteurs nucléaires restent longs, cinq ans quand tout va bien, le triple lorsque le chantier tourne mal, comme ce fut le cas en France ou en Finlande avec les EPR de Flamanville et d’Olkiluoto. Il faudra donc accélérer en parallèle dans les énergies renouvelables, prévient l’AIE, notamment sur le solaire et l’éolien. Pour lutter efficacement contre l’urgence climatique, le GIEC a rappelé, dans son sixième rapport, que la plupart des scénarios scientifiques sur le mix énergétique choisissent d’avancer sur toutes les énergies décarbonées. Pour l’AIE, le monde évolue dans cette direction.