SSource d’inspiration pour les signataires de la Constitution des États-Unis d’Amérique, Montesquieu a placé la vertu politique au fondement même de la démocratie. C’est peu dire que celui qui dirige pour la deuxième fois depuis lundi 20 janvier la république la plus puissante de notre monde a construit son existence en opposition à ce principe. Mensonges, violence, manipulation, chantage, cynisme, égoïsme, sexisme, racisme, haine du droit et des institutions, sont les traits distinctifs de Donald Trump, au cours de sa carrière de magnat de l’immobilier, candidat, président élu en 2016, puis battu en 2020.
Rien de tout cela, pas plus que la tentative de coup d’État qu’il a contribué à fomenter il y a quatre ans, avec l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021, ou les multiples condamnations judiciaires qui le menaçaient, ne l’ont empêché d’être réélu clairement, en dominant le vote populaire, et c’est un fait qui en dit long sur l’évolution de nos sociétés, pas seulement outre-Atlantique.
Dans ce cercle restreint qui se constitue, dont Donald Trump reste le centre, de nouvelles figures sont apparues ces derniers mois. Le plus éminent est Elon Musk, l’homme le plus riche du monde – grâce à ses sociétés Tesla, SpaceX et Starlink, auxquelles s’est ajouté, en octobre 2022, le réseau social Twitter, rebaptisé paraétatique qui le placera en effet au cœur de pouvoir. D’autres milliardaires de la tech lui ont prêté une allégeance bien plus récente, comme Mark Zuckerberg, le patron de Meta (Facebook, WhatsApp, Instagram), ou Jeff Bezos, le propriétaire d’Amazon et Washington Post.
Cette alliance sans précédent ne fait pas seulement peser sur la démocratie américaine un danger majeur, dont Montesquieu avait anticipé les ravages, celui d’une confusion à grande échelle entre intérêt général et intérêts particuliers. Composé de patrons de médias ou de plateformes sociales, ce « une oligarchie d’une richesse, d’un pouvoir et d’une influence extrêmes »selon les propos tenus le 15 janvier par le président sortant, Joe Biden, qui n’a pas pu s’y opposer, représente aussi une menace à l’échelle mondiale pour le libre accès à une information fiable.
Ce danger est pour l’instant minimisé, voire occulté, par nombre d’observateurs, notamment en Europe et en France, pourtant cibles principales de l’offensive. La sphère réactionnaire est ainsi passée, du jour au lendemain, d’une inquiétude exagérée face au « wokisme » qui allait engloutir l’Occident, à un engouement incessant pour la liberté d’expressioncomme le préconise, dans une version radicalisée, Elon Musk. L’histoire de la liberté d’expression aux Etats-Unis montre pourtant que cette notion est bien plus fluide et controversée que ne le laisse penser le concept défendu par le patron de X.
Mais cette caricature permet de se lancer, à moindre coût, dans des plaidoyers enflammés pour une liberté sans aucune restriction, tout en feignant de ne pas comprendre que cela revient à prôner un retour à la violence de l’État sauvage, ou du moins à consentir à la loi de l’État. le plus fort, c’est-à-dire le plus riche. Cela permet aussi de mettre en lumière le récit éculé d’une pseudo-hégémonie culturelle progressiste, qui aurait fini par se briser, même si cela fait près de quinze ans que les militants de chaque camp politique, de l’extrême droite à la gauche radicale, en passant par le centre, utiliser les mêmes procédés pour réaliser les mêmes dérives sur le champ de bataille numérique.
La problématique est entièrement différente. Bien au-delà de la liberté d’opinion, ce sont une fois de plus les faits qui sont attaqués en même temps que les méthodes qui permettent de les placer au centre du débat public. Sans ces faits, aucune discussion n’est possible, aucune opinion n’est fondée. Les journalistes ont l’utilité sociale de les établir, grâce à leur savoir-faire professionnel : techniques d’enquête, vérification et recoupement des informations obtenues, précision des sources, recherche de la contradiction, séparation du fait et du commentaire.
En éclairant ainsi les citoyens, ils contribuent d’autant mieux au fonctionnement de la démocratie s’ils savent reconnaître au plus vite les erreurs qu’ils peuvent commettre ; À Mondenous en prenons soin, car personne ne peut prétendre être infaillible.
Par certains aspects, ces méthodes s’apparentent à celles des scientifiques ou au travail de révélation de la vérité lors de procédures judiciaires. Ce n’est pourtant pas un hasard si ces trois catégories professionnelles sont celles qui ont été les plus exposées aux foudres de Donald Trump ces dernières années, et aux répercussions futures de la formation de son cabinet.
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La recherche médicale devra composer avec un secrétaire d’État à la Santé qui s’est illustré par son militantisme anti-vaccin. Les enquêteurs qui ont mené les investigations pour déterminer les responsabilités du milliardaire dans nombre d’affaires, notamment dans l’assaut du Capitole, ont de bonnes raisons de craindre des représailles de la part de leurs supérieurs, mises en place par Trump.
Il ne s’agit pas ici d’opinions, mais de la volonté de limoger ou de punir les personnes dont le travail a empêché, d’une manière ou d’une autre, la réécriture de l’histoire par le président. républicain. Opposer des faits précis à ce révisionnisme, qualifier de mensonges les innombrables distorsions ou falsifications imposées à la réalité par le leader du MAGA, sont des démarches qui ne constituent en aucun cas des actes de censure, pour reprendre le mot qui revient si souvent des deux côtés. de l’Atlantique pour discréditer des femmes et des hommes qui tentent de maintenir un principe de vérité au cœur des débats citoyens.
Parce qu’il s’agissait d’un réseau social spécifiquement tourné vers l’actualité, Twitter, devenu X, a toujours représenté un enjeu majeur dans cette bataille. Les affrontements pour prendre le contrôle du récit sont vite devenus si véhéments que l’application de microblogging a cessé d’être un lieu de débat pendant de nombreuses années. Mais, depuis son rachat par Elon Musk, le réseau s’est orienté dans une autre direction. Le milliardaire l’a transformé en un prolongement de son action politique, un libertarisme de plus en plus proche de l’extrême droite, en un instrument de pression qu’il veut exercer sur ses concurrents ou sur les gouvernements sociaux-démocrates européens.
Ce mélange d’idéologie et de commerce a continué à faire Le monde toujours plus, comme la plupart des autres médias traditionnels. Cela nous pousse, depuis plus d’un an, à réduire nos publications sur Au sein de l’appareil de pouvoir trumpiste, la toxicité croissante des échanges nous amène à considérer que l’utilité de notre présence pèse moins que les nombreux effets secondaires subis.
Nous avons donc choisi d’interrompre le partage de nos contenus sur ce réseau, tant qu’il fonctionne ainsi, et de recommander aux journalistes de Monde faire de même. Nous allons également accroître notre vigilance sur plusieurs autres plateformes, notamment TikTok et celles de Meta, après les déclarations inquiétantes de Mark Zuckerberg.
En espérant que l’Union européenne ne cédera pas sur sa définition d’un débat public, doté de règles, respectueux des participants, des informations qui y circulent et des opinions qu’ils nourrissent. C’est une condition essentielle pour ne pas se laisser entraîner dans les graves dérives qui menacent la démocratie américaine, à la veille du second mandat de Donald Trump.
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