L’avocat montpelliérain David Guyon exhorte les propriétaires de véhicules équipés d’airbags Takata défectueux à ne pas laisser faire cette erreur. Mais « il faudra être patient ».
A Montpellier, le cabinet d’avocats David Guyon accompagne les victimes du scandale des airbags.
Vous avez été contacté par des victimes de pannes d’airbags Takata, où en est la procédure judiciaire ?
Nous préparons actuellement des convocations que nous enverrons par lots de 50. Ce qui nous ralentit un peu, c’est le temps nécessaire pour rassembler les documents de chacun des candidats, indispensables pour justifier de la réalité de la situation. Si vous dites que vous possédez un véhicule, vous devez fournir la carte grise. Si vous dites que cela impacte votre vie professionnelle, vous devez pouvoir présenter votre contrat de travail et tout élément qui permet de justifier de l’impact réel de cette situation professionnelle… cela fait beaucoup de documents à rassembler, et c’est ce qui nous prend le plus de temps.
Combien de victimes ont sollicité vos services ?
La semaine dernière, 80 personnes avaient validé les conventions d’honoraires et nous avaient officiellement mandatés. Nous sommes actuellement en train de recueillir leurs documents pour bien préparer leurs dossiers. Il faut agir vite, mais il ne faut pas confondre rapidité et précipitation. Le plus difficile est de faire comprendre aux gens quels sont leurs droits et ce à quoi ils peuvent s’attendre en matière de poursuites judiciaires.
Avoir un avocat qui prend en charge votre dossier est rassurant et cela ne vous empêche pas d’entreprendre d’autres démarches pour obtenir une solution à plus court terme, comme l’obtention d’un véhicule de prêt. Je leur explique qu’ils auront peut-être une réparation dans quelques semaines et qu’ils auront de la chance, mais que ce sera une exception.
Ça y est, on n’est pas bloqué dans les autres étapes…
Non, pas du tout. Nous expliquons tout cela de la manière la plus pédagogique possible, notamment via une newsletter envoyée à un peu plus de 800 contacts, qui les tient au courant de l’actualité, au moins une fois par semaine.
Cette semaine, par exemple, nous avons donné des informations sur les autres modèles concernés. Globalement, nous proposons des solutions qui vont au-delà du cercle restreint des clients qui nous ont officiellement mandatés. Nous devons aussi apporter du conseil, sans que cela ne coûte rien, nous devons rassurer.
« Citroën fait l’objet d’une campagne médiatique. D’autres constructeurs sont concernés »
Pensez-vous que beaucoup d’autres finiront par intenter une action en justice ?
Oui, beaucoup plus. Aujourd’hui, les gens pensent encore qu’ils auront une solution rapidement, et ils ne voient pas l’intérêt de demander un avocat. Plus le temps passe, plus les gens vont voir qu’il ne se passe rien. Je leur ai expliqué : 200 000 véhicules Citroën sont concernés, mais c’est 400 000 pour Mercedes et Volkswagen, sans compter que l’Argus publié le 15 juin liste toute une série de modèles de véhicules qui sont également concernés par la campagne de rappel. Le problème a été éclipsé par l’actualité politique.
Avec le même problème, alors qu’on en parle beaucoup moins ?
C’est exactement le même problème. De nombreux constructeurs automobiles achetaient chez Takata et installaient des airbags défectueux.
Il y a donc des gens qui ne sont pas conscients qu’ils conduisent un véhicule dangereux, et qui n’ont même pas été prévenus ?
Assez.
Mais pourquoi ?
Seul Citroën l’a fait car seul le constructeur fait l’objet d’une campagne médiatique, et notamment d’un reportage accablant de TF1, informant sur la dangerosité des airbags des C3 et DS3 qui a provoqué la panique. Les autres savent très bien qu’ils sont inquiets mais ils tentent, pour l’instant, de gérer la situation sereinement et de procéder progressivement au changement des airbags.
« Je ne pense pas que nous serons obligés d’attendre une décision de justice »
Qu’est-ce qui va changer avec l’assignation que vous vous apprêtez à signifier ?
Cela a quatre intérêts. D’abord, accélérer le changement de l’airbag. Quand vous avez un client un peu embêtant, il aura la priorité… Ensuite, cela leur permettra d’avoir une indemnisation conséquente. Il y a des pertes qui sont en jeu : payer une assurance alors que vous ne pouvez pas utiliser votre véhicule, votre voiture n’a plus de valeur, et vous vous retrouvez avec un véhicule que vous ne pouvez pas revendre, vous avez des coûts qui explosent parce que vous êtes obligé de louer un véhicule pour partir en vacances…
Le troisième intérêt est la mutualisation des frais de justice. Les conditions tarifaires que je propose aujourd’hui sont inférieures à celles que je propose habituellement à mes clients pour une procédure devant le tribunal judiciaire traditionnel. En général, une assurance (soit une assurance habitation, soit une assurance vie, soit une assurance bancaire, etc.) permet de couvrir le coût de la procédure, ou la protection juridique permet son financement intégral, ce qui est le cas pour 80% de mes clients.
Finalement, la négociation sera plus facile avec Citroën. Quand on représente 200 à 300 personnes, et je pense qu’on va réussir car notre action ne se limite pas à Montpellier, c’est toute la France, on a un pouvoir de négociation plus important que quand on est seul. On est crédible.
Je ne pense pas qu’on sera obligé d’attendre une décision de justice pour obtenir une indemnisation décente et un changement d’airbag. C’est ça la priorité. Sachant qu’on se retrouve avec un véhicule qui ne vaut plus rien. Personne n’achètera une C3 ou une DS3 après ça.
Nous savons combien les décisions judiciaires sont lentes, c’est rassurant…
On n’ira pas jusqu’au bout. Les gens veulent que leur véhicule soit réparé le plus vite possible en priorité et ils ne peuvent pas laisser passer une situation comme celle-là. Il y a quelque chose qui cloche ici : on ne sacrifie pas la sécurité des conducteurs sur l’autel de la rentabilité économique. C’est un scandale industriel, c’est évident. Mais on n’a pas affaire à des réclamants virulents. Ils veulent surtout sortir rapidement de cette situation.
Menez-vous une procédure collective ?
Je l’appelle une action collective, mais il s’agit plutôt d’une action mutualisée. L’argumentation juridique, les règles de droit que nous allons appliquer, sont les mêmes. Il s’agit d’une action en responsabilité du fabricant du fait d’un produit défectueux, c’est l’article 1245 du Code civil. Mais l’indemnisation est individualisée.
Dans un recours collectif, une association représente une multitude de consommateurs qui ont subi un préjudice minime et qui, individuellement, n’auraient aucun intérêt à intenter une action en justice. Ce n’est pas le contexte.
« Chaque jour, les dégâts s’accumulent »
Pensez-vous que les choses peuvent évoluer rapidement aujourd’hui ou allons-nous devoir être patients ?
Il faudra être patient, bien sûr. Mais on va essayer de faire bouger un peu les choses.
La compensation pourrait-elle être substantielle ?
Oui, avec des dommages qui s’accumulent tous les jours. Et il y a surtout le préjudice moral. Je travaille avec un psychiatre qui peut intervenir partout en France grâce à la visioconférence, il y a des dossiers médicaux très détaillés.
Au total, je pense qu’on est dans une fourchette de 10 000 à 20 000 euros d’indemnisation par sinistré. Sans compter le coût du véhicule. Cette indemnisation sera automatique car la loi est très claire : le constructeur doit changer la pièce défectueuse et indemniser toutes les conséquences, le montant ne sera pas évalué, c’est connu.
Il n’y aura pas de faille juridique ? On suppose que Stellantis dispose de moyens colossaux pour se défendre…
Bien sûr. Il faut savoir que les constructeurs automobiles ne communiquent jamais sur le droit de leurs clients à une indemnisation. Mais ce droit existe, et il n’y a pas de place pour la négociation.
Des millions d’euros sont en jeu. Aujourd’hui, Citroën veut limiter les dégâts en occupant l’espace public et en disant aux gens qu’ils font de leur mieux, en s’appuyant sur la méconnaissance des droits des conducteurs. Ce n’est pas de gaieté de cœur que nous engageons une action en justice.