Safran, Figeac Aero, Latécoère… La crise de Boeing bouleverse la supply chain
Un mois de grève chez Boeing et les négociations sont toujours dans l’impasse. Face au mouvement social de grande ampleur qui paralyse la production de best-seller, Avec le 737 MAX, l’avionneur américain se prépare à de lourdes pertes – une marge opérationnelle négative de 54% au troisième trimestre pour la division avions commerciaux. Dans ce contexte, le constructeur a annoncé la suppression d’environ 10 % de ses effectifs mondiaux, soit 17 000 postes.
Les répercussions de cette crise ne s’arrêteront pas aux portes de Boeing ni même à la frontière américaine. Largement impliqué dans les programmes de l’avionneur américain, le secteur aéronautique français aura du mal à échapper à la vague, même s’il subit déjà depuis de nombreux mois les difficultés répétées de Boeing.
Cette grève pourrait donc être un véritable coup dur pour Safran. Selon les informations recueillies par La TribuneBoeing a décidé de ne plus prendre livraison des moteurs Leap-1B, produits par le motoriste français et son partenaire américain GE Aviation via leur joint-venture CFM International.
Une information sur laquelle Safran n’a pas souhaité commenter, alors que Boeing affirme toujours prendre des livraisons de Leap pour le moment. Reste à savoir pour combien de temps. Le constructeur américain précise également qu’il n’a donné aucune instruction générale au chaîne d’approvisionnementavec des décisions au cas par cas pour chaque entreprise et chaque produit.
L’arrêt des livraisons pourrait avoir de multiples impacts pour le groupe dirigé par Olivier Andriès. Safran et GE se retrouveront ainsi privés des paiements de Boeing, l’essentiel d’un moteur étant payé à la livraison. D’autant que les livraisons du Leap (tous modèles confondus) avaient déjà baissé de 15% au premier semestre par rapport à la même période en 2023 et que les deux partenaires avaient déjà dû abaisser leurs prévisions annuelles lors des résultats semestriels : une hausse en production comprise entre 0 et 5%, contre 10 à 15% initialement prévus.
Autre problème, les deux motoristes vont se retrouver avec un stock de moteurs coûteux entre les mains. Là aussi, Safran avait déjà enregistré un impact négatif sur son bilan, avec une variation de son besoin en fonds de roulement de -140 millions d’euros due en grande partie à des livraisons inférieures aux attentes de Leap.
Ralentissement pour les équipementiers
Le motoriste n’a pas arrêté ses approvisionnements, afin de limiter l’impact sur ses propres sous-traitants, mais le rythme devrait être revu à la baisse, avec des conséquences sur l’activité des fabricants de pièces métalliques. C’est le cas par exemple du groupe lotois Figeac Aero qui fournit les pièces des moteurs Leap-1B équipant le Boeing 737MAX (valeur d’environ 40 000 euros par avion).
» La baisse de production de Boeing a généré un ajustement supplémentaire des besoins en moteurs et Safran nous répercute ses besoins en pièces. Cela représente pour nous un ralentissement d’activité de l’ordre de 20% », témoigne à La Tribune Jean-Claude Maillard, PDG de Figeac Aero.
Même si le deuxième constructeur mondial ne représente que 15% de l’activité de Figeac Aéro, le groupe avait déjà anticipé une perte de quatre millions d’euros pour son exercice au printemps, en raison de multiples problèmes de qualité sur les Boeing 737MAX depuis le début de l’année. Safran a d’ailleurs déjà décidé de ralentir la cadence avant même cette grève, tandis que Boeing s’est retrouvé limité dans sa montée en puissance par la Federal Aviation Administration (FAA) américaine en raison des problèmes récurrents rencontrés par l’avionneur américain.
Évitez de nouveaux problèmes de qualité
Au-delà de la question des moteurs, le mouvement social a des répercussions sur les constructeurs français d’aérostructures et d’équipements, comme le groupe toulousain Latécoère. Boeing ne représente que 15 % du chiffre d’affaires et la majorité des contrats portent sur le 787, l’avion long-courrier épargné par la grève. Le mouvement social touche cependant la production de la porte cargo du 777 sur son site gersois de Gimont et le câblage du 737 MAX dans l’usine d’Hermosillo au Mexique.
Mauvaise nouvelle. Et pour cause, Latécoère comptait sur l’augmentation significative annoncée des cadences de production du 737MAX pour réduire sa dépendance aux programmes Airbus et trouver de nouveaux relais de croissance. Le groupe centenaire n’a pas encore retrouvé son niveau d’avant Covid et sa dette s’élevait à 125 millions d’euros à la fin de l’année dernière.
Une source interne souligne néanmoins « la bonne volonté de Boeing pour amortir les effets de cette grève et trouver des solutions « . Les négociations sont intenses avec les sous-traitants. Objectif : éviter un arrêt brutal de la fabrication, comme lors de la crise sanitaire, qui rendrait très difficile la reprise de l’activité d’une supply chain, déjà fragilisée par un manque de trésorerie. Avec le risque aussi de créer de nouveaux problèmes de qualité sur l’avion final.
La solution Airbus ?
L’industrie française espère compenser en partie ce manque de Boeing par une forte demande de son rival européen. » Airbus connaît une très forte dynamique, qui permet de compenser une grande partie du déclin de Boeing. Malgré ces vents contraires, nous maintenons nos objectifs financiers pour cette année », souligne le PDG de Figeac Aero qui vient de remporter 65 millions d’euros de nouveaux contrats sur l’A320.
En attendant la fin de la grève, au grand désarroi de l’industrie et d’Airbus, il n’est pas simple de transférer des moyens vers le programme Leap-1A qui équipe l’A320 NEO du constructeur européen. Comme l’expliquait Olivier Andriès à La Tribune en juin dernier : « Il y a très peu de pièces communes entre le moteur Leap-1A (qui équipe l’Airbus A320neo, NDLR) et le Leap-1B (du 737 MAX de Boeing, NDLR). Et ce n’est pas sur la chaîne de montage que cela se produit. Une fois les pièces reçues dans notre usine, nous sortons un moteur en moins de quinze jours. Cela se passe en amont. » De plus, une partie du chargement Safran destiné au Leap-1B se trouve au Mexique, l’assemblage final étant réalisé par GE aux États-Unis.
Des conséquences rapides
Les sous-traitants français devront de toute façon trouver des solutions rapidement. Leur situation financière, déjà compliquée, peut se dégrader très rapidement, comme l’explique Louis Catala, vice-président du cabinet de conseil Efeso et ancien de Daher. Il met particulièrement en garde contre l’effet fouet (ou coup de fouet), où les variations de rythme du donneur d’ordre – en l’occurrence Boeing – ont des répercussions à tous les niveaux de la supply chain, affectant sa visibilité et des décisions potentiellement intempestives.
Si les stocks commencent à s’accumuler chez certains sous-traitants, les effets sur la trésorerie pourraient très vite se faire sentir. Et cela pourrait même s’avérer néfaste pour les entreprises dont le bilan est déjà fragile ou dont l’activité n’est pas suffisamment diversifiée.