Safran change d’échelle pour quadrupler ses capacités de maintenance
Un milliard d’euros sur la table, trois nouveaux sites opérationnels entre 2024 et 2026, des extensions de capacités existantes, de nouveaux équipements… Safran sait mettre les bouchées doubles lorsqu’il s’agit de renforcer le réseau mondial de maintenance de son moteur phare, le Leap, réalisé en partenariat avec le groupe américain GE Aviation, via leur joint-venture CFM International. Il faut dire que son modèle économique repose en grande partie sur la commercialisation de services après-vente, bien plus que sur la vente de moteurs neufs.
Un milliard d’euros d’investissement
Safran Aircraft Engines (filiale moteurs de Safran) entend ainsi « changer d’échelle », comme l’explique son président Jean-Paul Alary, lors d’une présentation au nouveau site de Bruxelles, en Belgique, ce mardi. Opérationnel depuis le 11 juin, il sera rejoint par un nouveau site à Hyderabad (Inde) l’année prochaine et un autre au Maroc à Casablanca (Maroc) en 2026. Ce dernier fait l’objet d’un protocole d’accord signé le 28 octobre, à l’occasion de la visite d’Emmanuel Macron à Rabat. Cette augmentation de capacité sera complétée par l’extension des sites français de Villaroche (2025) et de Saint-Quentin-en-Yvelines (2026), un nouvel atelier de maintenance et un nouveau banc d’essais à Querétaro au Mexique (2026).
Démarrée en 2021, cette montée en puissance doit être pleinement opérationnelle d’ici 2028. Safran disposera alors de sept ateliers dont les capacités seront réparties à parts égales entre la France et l’international. Cela correspondra à une multiplication par quatre des capacités de maintenance propres de Safran Aircraft Engines, par rapport à son réseau historique construit pour la génération précédente du moteur CFM56. Alors qu’il ne maintient que 10 % de la flotte de CFM56, le motoriste souhaite monter à 25 % avec le Leap. D’où un investissement de plus d’un milliard d’euros engagé sur l’ensemble du projet.
« Nous mettons bien en œuvre le plan pour 2028, pas pour 2040 », précise Jean-Paul Alary pour souligner le défi qui attend Safran.
Cela s’accompagnera du recrutement de 4 000 personnes d’ici 2028 à travers le monde. Les effectifs vont donc quasiment doubler par rapport à fin 2023, avec une répartition équitable entre la France et l’international.
Croissance coordonnée avec GE Aviation
Cette montée en puissance s’inscrit dans le cadre du partenariat CFM Services, à l’occasion du lancement de Leap. Alors que les accords précédents couvraient uniquement la production de moteurs, la répartition « 50-50 » de la charge de travail est désormais étendue aux activités de maintenance et de service. Cela nécessite que leurs deux réseaux de maintenance se développent de manière coordonnée, avec des standards communs. Comme l’explique Jean-Paul Alary, la règle est alors de répartir équitablement la charge de maintenance des différents clients entre les capacités des deux partenaires.
Motoristes à l’origine du programme, Safran et GE réalisent actuellement l’essentiel des opérations de maintenance. D’où la nécessité d’évoluer rapidement pour répondre à une demande croissante et à des opérations de plus en plus complexes. L’effort de développement sera moins important pour GE, qui disposait déjà de capacités importantes pour le CFM56. Au-delà de 2028, les capacités supplémentaires seront principalement fournies par des sociétés tierces. A ce jour, 14 ont déjà reçu des licences de CFM International, l’objectif étant d’en atteindre une vingtaine, dont plusieurs opérateurs majeurs bénéficiant d’un soutien accru des deux motoristes. Désigné « Leap Premier MRO », ils sont actuellement 5 : Air France Industries-KLM E&M, Lufthansa Technik, Delta TechOps, StandardAero et ST Engineering.
A terme, GE et Safran souhaitent conserver la moitié du marché et laisser l’autre moitié à ces sociétés tierces. Et il n’y a aucun risque de pénurie de travail. Comme l’explique Jean-Paul Alary, le parc Leap doit doubler d’ici 2030 pour approcher les 16 000 exemplaires. Lorsqu’il atteindra sa vitesse de croisière d’ici 2040, le moteur générera 5 000 événements de maintenance par an. C’est deux fois plus qu’aujourd’hui. Le patron de Safran Aircraft Engines a refusé de donner des détails sur ce que cela pourrait représenter en termes de chiffre d’affaires et de rentabilité, mais affirme tout de même que chaque visite coûte » quelques millions de dollars « .
Airbus attend ses moteurs
La nouvelle de cet investissement massif laissera certainement un goût doux-amer du côté d’Airbus. L’avionneur se plaint depuis de nombreux mois de ne pas recevoir suffisamment de nouveaux moteurs, ce qui freine ses livraisons. Lors d’une réunion avec l’Association des journalistes professionnels de l’aéronautique et de l’espace (AJPAE), Christian Scherer, directeur général de la branche avions commerciaux d’Airbus, a déclaré : « Les moteurs CFM restent sur le chemin critique. Je le regrette, mais c’est le cas. » Le constructeur regrette particulièrement la politique de Safran de privilégier l’après-vente par rapport aux moteurs destinés aux avions neufs.
Et pour cause : face à d’importants problèmes d’approvisionnement, Safran a revu sensiblement à la baisse ses prévisions de livraisons. Cette année, elle livrera environ 10 % de moteurs en moins qu’en 2023, où elle prévoyait initialement une augmentation de 10 à 15 %.
Interrogé sur ce point, Jean-Paul Alary a répondu que l’évolution vers ce modèle répond avant tout aux demandes du marché, les entreprises souhaitant les mêmes performances en termes de durabilité et de disponibilité que le CFM56 – un moteur mature devenu une référence dans le domaine. -, sans prendre le risque de supporter seul un nouveau moteur. D’où la nécessité pour le motoriste de prendre ce risque seul, par exemple avec des contrats tout compris à l’heure de vol. Une formule exigeante, mais qui peut s’avérer très lucrative : plus un avion vole, plus il gagne.
« Le succès de Leap est aussi le succès des avionneurs, Airbus, Boeing et Comac. Nous sommes ensemble, nous sommes partenaires, il est important de le rappeler », déclare Jean-Paul Alary.
Le patron de Safran Aircraft Engines déclare avoir énormément investi dans la production de pièces et l’assemblage de moteurs et assure qu’il continue de le faire : « Il n’y a pas d’investissements qui priment sur ceux que l’on peut faire pour la livraison de nouveaux moteurs. »