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sa tournée est la dernière ligne de vie

sa tournée est la dernière ligne de vie

Il faut aimer se lever tôt et rouler par tous les temps, souvent sans rencontrer personne. Dans le département le moins peuplé de France (76 000 habitants), il est 5h15. Le centre de tri de Mende, préfecture de Lozère, se réveille. Grâce à l’équipe de 35 facteurs et leurs collègues de Marvejols et de La Canourgue, tout le courrier y converge depuis Montpellier pour être distribué dans la plus petite boîte aux lettres isolée.

Il fait encore sombre et très frais en ce matin d’avril lorsqu’ils regagnent leur poste. Avec plein d’élastiques, il faut préparer la tournée. L’organisation de la distribution à l’aide des fameux racks verticaux est méthodique. L’itinéraire connu par cœur. Au bout de deux heures, chacun charge ses cartons gris dans son véhicule, pour la plupart des Renault Kangoo, robustes et tout-terrain, « jaune PTT », couleur officielle et meilleur ambassadeur de La Poste depuis 1962.

De 18 milliards d’objets traités en 2008 à 6 milliards en 2024

Changement notable : les grandes caisses isothermes noires qui sont désormais incluses dans le chargement. Ils contiennent des repas préparés dans les cuisines de l’hôpital de Mende. Ici, ils sont environ 250 par jour, à livrer avant midi aux crèches, maisons de retraite et particuliers. Soupes, plateaux de côtelettes de porc et petits pois, tranches de fromage et morceaux de pain remplacent peu à peu les relevés bancaires, les cartes postales et la presse d’abonnés. Une révolution, commencée en 2016.

Sous le choc du numérique, le nombre de plis a irrémédiablement fondu, et l’usage du papier semble destiné à ne plus devenir bientôt qu’un souvenir, au même titre que la plume d’oie et la lampe à pétrole. Les sacs des facteurs, qu’ils soient à pied ou à vélo, s’amincissent. A l’arrière des véhicules, les caisses grises sont plus légères et moins nombreuses. « La lettre quitte La Poste », résume Philippe Wahl, son PDG. De 18 milliards d’envois traités en 2008, on n’atteindra pas 6 milliards en 2024. Le courrier représentait 40 % du chiffre d’affaires en 2010 ; en 2024, ce n’est que 15 %. Et le boom des colis avec le commerce électronique ne compensera que partiellement cette perturbation systémique. »

Au Cénaret, Samantha livre à Marie un repas indispensable pour la maintenir à la maison.

Paris Match / © Philippe Petit

Pour maintenir le niveau d’activité et d’emplois – 240 000 salariés en 2024 – il n’y a pas d’alternative : il faut se diversifier. On connaît déjà les cabines d’essayage, le passage du code de la route dans les bureaux de poste, le coffre-fort numérique, les fonctions bancaires et d’assurance, les envois de colis express internationaux. La France vieillit et pourtant elle devient numérique. Un paradoxe dans lequel l’entreprise se réinvente : « Le « home shift » dans la politique vieillesse entraîne une très forte demande de services à la personne, analyse Philippe Wahl. Pourtant, nos facteurs ont les qualités nécessaires : le sens du service public et le goût du contact. »

Le reste après cette annonce

Les drones sont déjà apparus

Sans oublier ce capital de confiance unique et précieux qui en fait le deuxième personnage préféré des Français après… les boulangers. Les postiers ont une éthique professionnelle, encadrée par un serment, une connaissance de leurs droits et devoirs, ainsi que le respect de la vie privée des usagers. Sans compter qu’à la campagne, ils représentent souvent le dernier lien social.

Pour l’instant, Olivier Guillemin, directeur de l’établissement courrier-colis de Lozère, accompagne son équipe dans ce changement avec une obsession : « Que le délai d’acheminement du courrier soit le même pour un Lozérois que pour un Parisien ! » L’enjeu : continuer à assurer la livraison sur tous les points de France. Ainsi, six jours par semaine, environ 65 000 agents desservent 38 millions de boîtes mail. Mais pour combien de temps encore ? Des drones sont déjà apparus pour une prestation quasi expérimentale limitée à trois sites très isolés. Et pourtant, tout le monde veut encore croire que, dans ce grand bouleversement, le facteur restera irremplaçable.

Samantha redécouvre les gestes traditionnels du métier en livrant son courrier à Régine, agricultrice à Villaret.

Paris Match / © Philippe Petit

Samantha Tichet n’a donc pas hésité à rejoindre l’entreprise. Trentenaire originaire de Marvejols, cette dynamique mère de deux enfants a quitté la compétition moto enduro (pilote professionnel, vice-championne de France et 4ème du championnat du monde en 2014) pour signer son CDI. Elle a trouvé le métier qui correspondait à sa personnalité : action, contact humain, goût de la nature et des grands espaces, amour de sa Lozère bien-aimée. Et puis, les après-midi libres à consacrer à sa famille, dont ses grands-parents, ça compte.

Horaires variables

Premier arrêt à Cénaret, un hameau situé au-dessus de Barjac, chez Marie Brun, 81 ans, qui ne sort presque plus de chez elle. « Est-ce que celui périmé ira aux poules ? » Samantha connaît ses habitudes, la vieille dame est installée dans sa loggia, où la vue donne envie de mettre les voiles… « Quand il y a du vent du sud, ça se sent, non ? » La petite mamie, souriante, nous explique qu’elle trouve « tout très bon » et précise encore, avec un brin de malice, que « peut-être demain » ce sera un autre facteur qui lui apportera le repas « mais ce sera quand même sois sage! »

Elle doit s’accommoder de l’organisation de tournées et d’horaires variables. Samantha place la livraison au réfrigérateur en vérifiant systématiquement les dates de péremption sur les étagères. Ce qui ne nous empêche pas d’avoir une conversation : « Comment vas-tu aujourd’hui ? » » Quelques brefs échanges pendant qu’elle tape un rapport sur son téléphone professionnel, et au revoir, à la prochaine fois.

Le transport de petits colis par drone permet d’atteindre les plus isolés sans avoir recours à un facteur. Déjà trois zones desservies, situées dans le Var, le Vercors et l’Isère.

©DR

La voilà déjà en route pour une autre visite. Il reste encore du courrier à distribuer, de quoi occuper Samantha jusqu’à 13 ou 14 heures. Nous traversons la douce campagne verdoyante du printemps, en suivant la vallée du Lot. Pas de boîte ici ? Samantha coince les enveloppes dans la poignée d’une porte d’entrée. Nous atterrissons dans la ferme en pierre et ardoise de Marie-Louise Chabert. Debout dans sa cuisine lambrissée avec le poêle à bois toujours en marche, elle a, à 94 ans, belle mine et toute la gentillesse du monde.

« Veiller sur mes parents », concept né au Japon, a été lancé en 2019

« Je vais sortir les gâteaux pour toi. » Je ne peux pas vous servir de café, il n’y en a pas, mais j’ai du sirop ou des apéritifs. » Il est 11 heures, un peu tôt pour le port. Mais elle insiste. «J’aime voir le monde. J’ai le facteur plusieurs fois par semaine. Ici, une lettre pour ma petite-fille qui n’habite plus ici. »

L’ancienne agricultrice, qui a transmis l’exploitation à son fils, n’est pas seule. Le cas est rare. Si la « silver économie » s’est imposée dans l’offre de services de proximité comme une nouvelle opportunité pour La Poste, c’est avant tout parce qu’elle comble un vide : l’absence d’enfants loin des parents âgés et isolés. « Veille sur mes parents », concept né au Japon, a été lancé en 2019. Il compte à ce jour environ 15 000 adhérents en France. Un abonnement, couplé à une option de suivi à distance, qui consiste en une à six visites par semaine. De quoi rassurer et aussi, sans doute, déculpabiliser une société fragmentée, dispersée.

Internet, je ne sais pas. J’ai l’impression d’être analphabète

Christiane

Nous voici à Rabeyral, village de moyenne montagne perdu au bout d’une petite route sinueuse. La porte s’ouvre sur le séjour cuisine ensoleillé de Christiane Declerck, assise près du poêle à bois. Il doit faire 25°C. « La pompe à chaleur qui vient d’être installée ne fonctionne pas bien… »

Originaires de Lille, Christiane et son mari ont été séduits par l’environnement. Ils ont acheté cette maison pour leurs vacances. Elle y a pris sa retraite, seule, il y a quelques années. Ce choix coupe l’ancienne citadine, qui jouait dans une troupe de théâtre, de ses contacts et de ses activités culturelles. Son interlocuteur, son complice et souvent son ennemi, c’est désormais la télé : « Sainte télé, de plus en plus moche… Et que dire des jeux, c’est terrible… » grogne-t-elle. Et rien à attendre d’Internet.  » Je ne sais pas. J’ai l’impression d’être analphabète. Ce qui est terrible, c’est que je ne peux plus me promener dans la campagne. Personne ne passe par ici. Ma fille a souscrit l’abonnement il y a quatre ans, elle pense que sa mère est indestructible. « .

Si je suis obligé d’aller dans une maison de retraite, j’arrêterai de manger

Christiane

Christiane souffre de solitude, répète que c’est presque insupportable pour elle. Heureusement, il y a le passage de la gouvernante et la visite du facteur le mercredi, ce petit quart d’heure qu’elle attend comme une bouffée d’oxygène, toujours trop brève. « Est-ce que tu vas bien aujourd’hui ? » « Je survis… Mais rester chez moi, c’est le plus important. Si je suis obligée d’entrer en maison de retraite, j’arrêterai de manger. » Déterminée, Christiane nous retient par tous les moyens. Mais nous devons repartir, à contrecœur, la gorge nouée.

La Poste pourra-t-elle accueillir toute la misère de la vieillesse ? « Quand je voyage, j’entends souvent : ‘La seule personne que je vois en semaine, c’est le facteur’ », souligne Philippe Wahl. « Facteur » : du latin « factotum », « sait tout faire ». À La Poste, pas besoin de connaître le latin pour le comprendre.

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