En affaires, cela s’appelle éplucher les comptes de l’entreprise avec une paille de fer, pour tirer un trait sur une période difficile et disposer d’une base de comparaison plus favorable. Dans son premier discours mardi depuis son arrivée à Downing Street le 5 juillet, le Premier ministre britannique Keir Starmer a affirmé avoir « hérité » non seulement d’un « trou noir économique » mais aussi d’un « trou noir sociétal » après 14 ans de pouvoir aux mains des conservateurs.
Sous le soleil de la roseraie de Downing Street, théâtre de certaines des scènes du « partygate » qui furent si fatales à Boris Johnson, celui qui a mené le Labour au sommet de l’Etat n’a pas hésité à parler de « pourriture » au cœur de la politique et des institutions britanniques. « Quand c’est pourri au cœur de la structure, on ne peut pas juste le cacher, il faut tout recommencer, s’attaquer à la racine du problème même si c’est plus difficile et prend plus de temps », a déclaré Keir Starmer.
Une manière donc de signifier aux Britanniques, une semaine avant l’ouverture d’une nouvelle session parlementaire le 2 septembre, que les mois et les années à venir ne seront pas de tout repos, malgré les espoirs suscités par l’alternance politique. « Les choses vont empirer avant de s’améliorer », prévient Keir Starmer.
Volonté de charger la barque du gouvernement précédent, qui donnait effectivement une impression de chaos que l’arrivée de Rishi Sunak n’avait pas entièrement corrigée ? Courage d’un gouvernement de gauche qui annonce que tout ne se réglera pas avec l’argent public, comme le montrent les récentes restrictions sur les subventions aux factures d’électricité des retraités ? Chacun son analyse.
22 milliards
Quoi qu’il en soit, le « trou noir » dénoncé par le nouveau gouvernement est avant tout budgétaire. Il y a un manque à gagner de 22 milliards de livres dans les comptes publics de cette année, a-t-on appris cet été, ce qui n’est pas rien comparé à une impasse de 121 milliards pour 2023 (4,4 % du PIB). Si cette somme est en grande partie due à une décision du Labour de verser 9 milliards aux employés du NHS et aux cheminots pour régler un conflit social qui paralysait depuis longtemps une partie de l’économie, l’attaque sur le coût surprise de plus de 6 milliards de la gestion des demandeurs d’asile par le gouvernement précédent semble plus solide. « L’Office of Budget Responsibility (OBR) ne le savait pas », a argumenté Keir Starmer à propos des 22 milliards, soulignant que le pays avait « emprunté 5 milliards de plus que ce que l’OBR avait prévu au cours des trois derniers mois ».
Mais le trou noir diagnostiqué par Keir Starmer se manifeste aussi dans les systèmes judiciaire et pénitentiaire. Son mandat a débuté avec les émeutes raciales de cet été, lourdes de menaces pour l’état du pays et sur lesquelles il est revenu longuement ce mardi dans ce discours sur « l’état de la nation », avant les vrais enjeux politiques de la rentrée comme la grande réforme des droits des salariés attendue en octobre.
Pour Keir Starmer, les émeutiers ont profité d’un système qu’ils savaient fragile, notamment de la surpopulation carcérale évidente. Mais ils sont aussi le symptôme d’une politique « théâtrale » et démagogique des conservateurs. Ancien chef du Crown Prosecution Service, il explique à quel point il lui a été difficile cet été de gérer les émeutes en calculant « chaque jour » combien de places carcérales étaient disponibles.
Les premières mesures
Pour bien démarrer l’année, le chef du Labour a mis en avant les premières réalisations de son administration : la création d’un Fonds national de la richesse pour soutenir les investissements publics et privés, des changements dans les règles d’autorisation de construire pour encourager la construction de 1,5 million de logements et la création prochaine d’un groupe énergétique axé sur les énergies renouvelables, Great British Energy, doté de 8 milliards de livres, une promesse de campagne. « Nous avons fait plus en sept semaines que (nos prédécesseurs) en sept ans », a-t-il déclaré.
Pas sûr que cela suffira à convaincre les Britanniques que nous avons laissé « la politique comme d’habitude », comme Keir Starmer l’a promis mardi. Le budget préparé par la chancelière Rachel Reeves, à l’automne, en dira davantage sur les économies identifiées et les éventuelles hausses d’impôts. « Ce sera difficile mais nous n’avons pas d’autre choix », a prévenu Keir Starmer.