robots humanoïdes fabriqués à Bordeaux
LLes robots sont partout. On connaissait « Atlas », celui de Boston Dynamics (Hyundai), une firme qui développe des usages militaires. Et, depuis début octobre, celle de Tesla (Elon Musk), dont le surnom, « Optimus », fait référence aux Transformers. Pas vraiment de quoi dissiper les fantasmes qui nourrissent la science-fiction, d’Asimov à « Terminator » en passant par « Blade Runner ». Ce n’est pas seulement au Massachusetts ou au Texas que des humanoïdes synthétiques sont conçus. Dans les locaux néoclassiques de Pollen Robotics, place Jean-Jaurès à Bordeaux, dans le centre historique, on façonne également des créatures anthropomorphes animées par une intelligence artificielle (IA). La comparaison s’arrête là.
« Quand les gens voient Reachy, ils nous disent qu’il est mignon. Il a l’air un peu bête avec ses yeux de tailles différentes et ses deux antennes qui bougent, mais c’est tout à fait intentionnel », explique Simon Automne-Pinto, responsable de la communication. « Nous ne voulions pas trop humaniser cela, car c’est quelque chose qui peut déranger. »
Pollen Tools est une réussite 100% locale. Fondée en 2016 par Matthieu Lapeyre et Pierre Rouanet, deux anciens élèves de l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) de Talence, cette entreprise a remporté le prix du public lors des trophées French Tech 2023 et a rejoint l’incubateur IA de Meta. Une trentaine de personnes y travaillent, aux profils variés : recherche, ingénierie, techniques…
Un outil
Leur créature, Reachy, est ce que nous appelons un « avatar ». « Non, ce robot ne va pas remplacer l’humain », promet Simon Automne-Pinto. C’est un outil… Comme une clé. En cas de besoin, il saura remplacer l’homme dans des tâches ingrates, répétitives ou dangereuses. Nous pourrons former les personnes qui les ont réalisés à opérer Reachy sans risquer de souffrir de sciatique ou d’être irradié par exemple. »
« Il pourra remplacer les humains dans des tâches ingrates, répétitives ou dangereuses »
En octobre prochain, Pollen est en train de lancer la deuxième génération de son humanoïde. Reachy 2 est un Reachy 1 qui serait allé à la salle de sport – « Il peut désormais soulever jusqu’à 3 kg » – et dont les capacités d’apprentissage ont été boostées par les progrès de l’IA. Exemple : « Reachy peut être téléopéré avec un casque de réalité virtuelle. Et si je lui prépare du café 50 fois, il collectera des données et pourra le faire automatiquement. » Il est également capable de reconnaître des objets par vision grâce aux bibliothèques fournies par Hugging Face.
Avec ses préhenseurs (pinces), Reachy sait aussi ouvrir une porte (un puzzle pour robots), jouer aux échecs, glisser une carte bancaire dans la fente d’un distributeur automatique… Ces avancées permettent à la société d’ouvrir sa commercialisation. « Pour l’instant, nos clients sont des laboratoires, des spécialistes de la robotique, de l’IA ou des universités, comme Bonn en Allemagne ou l’Imperial College de Londres. » Outre la recherche et l’éducation, les secteurs cibles de Pollen sont l’industrie et la santé.
Reachy est en fait une plateforme « open source » (ses « plans » sont librement accessibles) sur laquelle chacun peut mettre en œuvre ses propres développements. Et imaginez toutes les applications possibles. Prix du kit complet : 75 000 euros. Mais Pollen développe aussi des technologies brevetées, comme Orbita, le système commun de Reachy, utilisé par les robots de la société Enchanted Tools.
marin et marcel
Capable de plier le linge, Reachy l’est aussi dans les chiffons : « Nous avons un partenariat avec Armor Lux, qui a habillé la version 1 d’une marinière, et la version 2, plus musclée, d’un débardeur », sourit Simon Automne-Pinto. Pollen pense à Reachy 3, car son ambition est de « sortir les robots des labos ». « Nous l’avons déjà rendu mobile, pour qu’il puisse, par exemple, faire le ménage. À l’avenir, nous aimerions améliorer ses capacités physiques afin qu’il soit capable de transporter de gros colis. »
La méfiance à l’égard des robots est encore plus ancienne que les pierres de l’immeuble qui abrite l’entreprise bordelaise. Au 14èmee siècle, le savant Albert le Grand aurait construit un automate surmonté d’une tête parlante, que Thomas d’Aquin, le futur saint, aurait démoli, y voyant « une idole maléfique ».
Alors on a envie de croire Simon Automne-Pinto : « Reachy ne va pas asservir la terre – en tout cas, il est monté sur roulettes et ne prend pas les escaliers. » Néanmoins, le petit robot part, à sa manière, à la conquête du monde : en novembre, il sera à la Corl (Conférence sur l’apprentissage des robots) à Munich. Et en janvier, au CES (Consumer Electronics Show) de Las Vegas.