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revue d’une Twilight Zone provocatrice et cruelle

revue d’une Twilight Zone provocatrice et cruelle

Tuerie du sacré Hollywood

Avant d’arriver à Sortes de gentillesseYorgos Lanthimos a réussi à étendre son cinéma (et sa popularité) à un public plus large avec ses deux derniers films. Loin des récits très austères de ses débuts grecs (Canin Et Alpes), plus accessible que ses expérimentations dystopiques (Le homard) ou tragique (Mise à mort du cerf sacré) avec Colin Farrell, Le préféré Et Pauvres créatures étaient des œuvres plus attractives sur papier, plus agréables à résumer, notamment grâce à la collaboration du cinéaste avec le scénariste Tony McNamara.

Et vu son changement de style, même de pensée avec Pauvres créatures abandonnant un cynisme caractéristique pour une forme d’humanisme, on pourrait se poser une question : le Yorgos Lanthimos des débuts a-t-il disparu ? Son culot légendaire et son humour noir féroce avaient-ils été adoucis par son arrivée à Hollywood ? Six mois seulement après son Lion d’Or, le Grec a décidé de répondre de la plus belle des manières avec son Sortes de gentillesse.

L’étrange entre dans les lieux

Il y a en effet quelque chose de jubilatoire à voir le Grec, aidé par sa célébrité durement conquise, se lancer dans transposer la cruauté de ses premiers univers au cœur de l’Amérique moderne dans Sortes de gentillesse. Et c’est d’autant plus jubilatoire que le cinéaste le fait avec surtout Jesse Plemons (décidément un acteur capable de tout jouer) et l’admirée (et admirable) Emma Stone.

Sept ans après avoir reçu l’Oscar de la meilleure actrice pour La La Terre, l’actrice a complètement changé ses choix de carrière. Alors qu’elle jouera prochainement dans le western déjanté du roi de Malaisie Ari Aster et qu’elle a participé à l’OVNI La malédictionelle poursuit sa mue à Lanthimos depuis Le préféré. Et les fans de l’actrice devraient être complètement déçus après l’aventure colorée et humaniste de sa Bella Baxter, tant Sortes de gentillesse est peut-être l’ennemi absolu de Pauvres créatures (pour lequel elle a reçu sa deuxième statuette).

Un duo qui fonctionne à merveille

l’amour, la mort et les humains

En retrouvant son scénariste Efthymis Filippou (derrière ses premières œuvres ultra-cyniques), Yorgos Lanthimos renverse complètement la table. Fini les décors sophistiqués et les costumes affriolants, c’est Sortes de gentillesse est tout le contraire. Accompagné d’une musique envoûtante volontairement agaçante (même si jamais aussi stressante que les notes stridentes de Le homard), sa mise en scène conserve une influence kubrickienne évidente (dans la symétrie notamment) mais retrouve une forme de sobriété et un caractère moins ostentatoire.

Fini les cadrages et les objectifs fous (pas de fish-eye à signaler), Lanthimos compose ici des plans d’une rigidité inquiétante pour mieux se concentrer sur la place de ses personnages. Le cinéaste les plonge dans un monde d’uniformité terrifiante (les couloirs vides, les maisons témoins, l’amour des fenêtres et de la transparence, etc.) et au cœur d’une contemporanéité qui lui sied si bien. Certes, Sortes de gentillesse Est son film le plus austère depuis ses expériences grecques, le plus grinçant et le moins aimableexactement.

Aimer jusqu’à en perdre la tête… et pas seulement

Parce que le film risque bien de démarrer sur un ton accrocheur Fais de beaux rêves de l’Eurythmie, c’est évidemment une tromperie insolente de la part de Lanthimos. Aucun rêve tendre (ou presque) ne nous attend durant les 2h44 de cette triple fable cruelle ce qui va au contraire nous plonger dans une myriade de cauchemars quotidiens. Types de gentillesse, soit Des sortes de gentillesse en français, transformera les belles attentions de ses personnages pour en faire l’objet de mal-être et le déclencheur d’excès.

L’amour que peuvent avoir les personnages l’un pour l’autre n’est plus tant un simple désir ou une simple émotion. Comme toute sa filmographie, Yorgos Lanthimos étudie tous les retranchements, révélant les pires aspects de l’amour comme moyen de domination, de soumission, de contrôle, de consommation… Alors, dans un monde où les humains ressentent le besoin d’être aimés pour continuer à exister, jusqu’où pourraient-ils aller pour jouir de cette condition ? Le mensonge, le dévouement, l’automutilation, la violence, l’horreur… et enfin une douceur trop souvent opportuniste ou intéressée.

Le poids du monde sur nos épaules

zone la plus étrange

Avec trois histoires différentes (mais liées par un mystérieux personnage nommé RMF), Lanthimos explore alors toutes les vicissitudes de la condition humainenotamment à travers les questions de pouvoir, de contrôle, de croyance, d’identité, de travail et de libre arbitre. Il s’amuse à décortiquer les paradoxes de ses anti-héros au gré de leurs relations sociales, professionnelles, sexuelles, amoureuses… pour mieux sonder la manière dont elles vont (inévitablement) se tordre.

Il en résulte une triple bizarrerie dans laquelle il est franchement impossible de déterminer à l’avance ce qui va arriver aux personnages. Il est même difficile de saisir réellement leurs intentions, l’ambiguïté de chacun augmentant au fur et à mesure des situations. C’est particulièrement flagrant dans le deuxième segment (peut-être le plus réussi) où Lanthimos joue brillamment de sa narration (et de la question du point de vue) pour installer une atmosphère très dérangeante avant que tout ne nous explose au visage et ébranle nos certitudes.

La photo de Robbie Ryan, toujours magnifique

Qu’il suive un homme dont la vie est écrite par un autre, retrace la paranoïa grandissante d’un mari envers sa femme ou nous plonge dans le quotidien d’une secte, Types de gentillesse est donc totalement imprévisible. L’histoire est capable de projeter à l’écran une orgie outrancière autant qu’une danse techno libératrice ou une pièce de collection déjantée, au milieu de rêveries complètement hallucinées (les chiens rois du monde) et de percées sanglantes inattendues (on mange beaucoup en Sortes de gentillessedu chocolat à une bonne tranche de chair humaine).

Pour décrire sa Twilight Zone, Rod Serling parlait d’un monde « au carrefour des ténèbres et de la lumière, de la science et de la superstition, au point de rencontre des ténèbres créées par les peurs ancestrales de l’Homme et la lumière de son savoir ». Sortes de gentillesse est une sorte d’hommage plus transgressif et contemporain… sauf qu’il ne se déroule pas dans un univers « au-delà de ce que l’homme connaît » mais bien dans notre monde, celui où nous nous sommes progressivement retrouvés emprisonnés sans nous en rendre compte.

Admirez l’étrange

Avec l’évolution des segments (un premier réaliste, un deuxième surréaliste et un troisième embrassant totalement le fantastique) et derrière l’absurdité de ces petites histoires, Lanthimos permet alors à l’ensemble de prendre une véritable dimension sociologique, parfois sauvage, brutale et sinistre, parfois hilarant, grotesque et galvanisant. C’est bien sûr le double ou rien et Sortes de gentillesse se divisera nécessairement, mais Il est difficile de reprocher à Lanthimos sa pertinence et son mordant.

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