Révoltés, ils serrent les poings pour rêver

A la lumière vacillante de quelques lampes de poche, ils dessinent à la craie, sur le mur, au fond d’une pièce que l’on devine, le plan de leur univers quotidien. Il y a la clôture, là encore la clôture et là les murs. Infranchissable aussi. Au bout, au-delà des lourdes portes verrouillées, c’est la ville, la vie. Les trois petites filles, Kaïna (Lola Blanchard), Annette (Évelyne Didi) et Billie (Paola Valentin) sont les porte-parole de tant d’autres, et leurs prénoms sont interchangeables : Gisèle, Sakina, Awa, Salomé…
Sandrine Lanno, artiste associée au théâtre de Chelles en Seine-et-Marne, où le spectacle a été créé en janvier dernier, a conçu « Mauvaises filles » et l’a mis en scène, à partir d’un texte qu’elle a commandé à Sonia Chiambretto. Avec la volonté de donner la parole à « une multitude de jeunes femmes », dont le point commun est d’être obligée de vivre (ou d’avoir vécu) dans un centre éducatif fermé pour mineurs.
Dans les années 1950, on parlait d’institutions, de maisons de redressement, souvent gérées par des structures dépendant du clergé. Dans ces établissements (il y en a aussi pour garçons), les demoiselles, en vertu d’une loi de 1850, « sont élevées en commun, sous une discipline sévère et appliquées à des travaux qui conviennent à leur sexe ». Histoire de rassurer les familles et la société en général.
Cela n’empêche pas ces adolescents, qui refusent à leur manière « le chaos par lequel ils sont souvent passés avant de se retrouver placés par la justice » de se révolter, explique Sandrine Lanno, qui se dit frappée par leur « invisibilité ». Billie, dans une lettre à « Madame Justice » explique : « Je n’ai pas grand-chose. Ma vie, oui, mais ma vie ne vaut pas grand-chose, même ma mère le pense ». Pourtant, ce ne sont pas des portraits, ni des « personnages » qui racontent leurs histoires et les confrontent, mais à travers ces fragments, c’est tout un désespoir interchangeable qui défile.
Bénédicte Villain, au violon, accompagne de ses compositions ce théâtre à mi-chemin entre document et évocation poétique. Sans jugement sur ces « rebelles », mais avec l’envie de faire entendre leur humour autant que leurs souffrances, leurs rêves comme leurs amours. Pour les déplacer et les faire sortir de l’ombre grise.
Grb2