Retour forcé au bureau chez Amazon : un cas isolé ?
Retour au bureau tous les jours de la semaine. La décision extrême d’Amazon a surpris, mais ce présentéisme imposé fait son retour dans les grandes entreprises américaines. Au-delà d’un besoin d’encadrement, cette politique pose la question de la créativité et de l’apprentissage à distance.
L’annonce est tombée comme une guillotine. La décision d’Amazon de demander brutalement à ses salariés de revenir au bureau cinq jours par semaine fait grincer des dents certains. Au-delà d’une politique qui pourrait masquer une vague de licenciements, pourrait-on y voir une tendance plus générale vers la fin du télétravail ?
Selon Marie-Sophie Zambeaux, fondatrice du cabinet de conseil RethinkRH : « Il ne s’agit pas d’une tendance isolée, mais d’un véritable mouvement de fond venant des Etats-Unis et plus particulièrement des Gafam. »
Amazon n’est pas la seule entreprise à avoir pris cette décision. D’autres comme Zoom (fournisseur de services de visioconférence) ou Dell Technologies ont resserré la vis. Mais Caroline Loisel, conférencière et experte sur l’avenir du travail, se montre plus mesurée.
« En dehors de Publicis, je n’ai pas entendu de tels retours en arrière de la part d’entreprises françaises », a-t-elle déclaré à BFM Business.
Retour au bureau : un mouvement porté par les géants de l’innovation
Ce qui est frappant, c’est que ce mouvement de retour au bureau (RTO) est avant tout lancé par des entreprises américaines, qui étaient jusque-là plutôt pionnières en matière de nouveaux modes de management, notamment le télétravail à 100 % ou la suppression du middle management. En 2022, Tesla avait créé la surprise.
« Toute personne souhaitant travailler à distance doit être présente au bureau au moins 40 heures par semaine ou quitter Tesla », a déclaré le PDG de Tesla. Elon Musk avait annoncé en 2022 dans son style lapidaire.
Autant dire que cela ne laisse pas beaucoup de place au travail à distance. En 2023, Mark Zuckerberg, le fondateur de Meta, a également déclaré que les ingénieurs « font plus de choses » au bureau, soulignant la nécessité de nouer des relations « en personne ».
Comment expliquer que ce mouvement de retour au bureau soit porté par les entreprises de la tech ? « Il me semble que certaines entreprises américaines sont allées trop loin en confinant leurs salariés à la maison, et qu’elles cherchent désormais à faire marche arrière », commente Caroline Loisel. « Mais la raison est aussi à chercher dans leur secteur d’activité. Elles doivent se réinventer plus souvent que d’autres industries », ajoute l’intervenante.
Pour Samuel Durand, spécialiste et conférencier sur l’avenir du travail, il s’agit d’une volonté de retour sur investissement.
Les géants de la tech ont des campus aux budgets colossaux. Avec le télétravail massif, certaines entreprises se retrouvent avec des campus ultramodernes qui font la taille de villes et dont certains sont quasiment déserts. Alors qu’elles ont investi des milliards. »
Un retour au bureau pour favoriser la créativité et la collaboration
Ce retour forcé au bureau chez les géants de la tech suscite des interrogations, car il risque d’accroître l’attrition et de décourager les recrues potentielles. Une étude de l’Apec en 2023 indiquait qu’un dirigeant sur deux envisagerait de démissionner si la possibilité de télétravail était interdite. Lors du premier serrage de vis chez Amazon, 30 000 salariés ont signé une pétition contre la politique de retour au bureau.
Pour les dirigeants, cela peut être vu comme une volonté de revenir au système du « command and control ». Ou une façon de mettre sous cloche la productivité de leurs employés pour qui le télétravail pourrait être une source de distraction. « La vraie raison, c’est le besoin de contrôle, une mise en valeur de l’ego et une sorte de nostalgie du fonctionnement d’autrefois », ajoute Samuel Durand.
Mais on peut aussi le voir, comme l’indique la note du PDG d’Amazon Andy Jassy, comme une réflexion sur la collaboration, la stimulation collective et le besoin d’inventivité. « Les bénéfices d’être tous ensemble au bureau sont importants. Nous constatons qu’il est plus facile pour nos collaborateurs d’apprendre, de concevoir, de se former et de renforcer notre culture ; collaborer, échanger et inventer sont plus simples et plus efficaces (…). »
Même les partisans du travail à distance reconnaissent que la créativité et la collaboration restent plus faciles au bureau, même si les outils connectés permettent désormais d’y remédier.
Organiser l’engagement et l’apprentissage
La possibilité d’apprendre de ses pairs à distance se pose également. « Les entreprises qui ont laissé leurs entreprises en télétravail ont perdu leur cohésion, ont empêché d’apprendre les unes des autres, et en paient aujourd’hui le prix. Apprendre les uns des autres se fait mieux au bureau », confirme Caroline Loisel. « En effet, transmettre à distance est plus difficile, notamment pour les profils juniors », convient Samuel Durand.
Ce qui ne va pas avec le télétravail, c’est bien sûr la perte de l’informalité.
« Beaucoup de choses pouvaient être réglées dans l’informel, raconte Caroline Loisel. On se croisait dans l’ascenseur, dans le hall, et on réglait les sujets. Maintenant, on essaie de ritualiser l’informel, ça marche moins bien. »
En France, pas de retour en arrière sans bond en avant
Mais ce basculement forcé vers le présentéisme n’a pas eu lieu en France. Si le Covid a permis de lever certaines barrières, il n’a pas imposé le recours généralisé au télétravail comme un mode de fonctionnement normal.La France reste plus réfractaire Les Français sont plus nombreux que les autres pays à télétravailler. En France, 47 % des entreprises ont recours au télétravail. Selon une étude menée par l’institut économique allemand Ifo et Econpol Europe*, les travailleurs français n’ont que 0,6 jour de télétravail par semaine contre 0,8 pour la moyenne européenne et 0,9 pour la moyenne mondiale. Il faut aussi rappeler la déclaration du PDG de L’Oréal qui disait au forum de Davos en 2024 : « Les télétravailleurs n’ont « absolument aucun attachement, aucune passion, aucune créativité ». La France entretient une certaine culture du présentéisme « qui est ancrée et rassurante », constate Marie-Sophie Zambeaux.
En France, loin des positions extrêmes du « full remote » ou du retour au bureau, la pratique du télétravail évolue plutôt vers une normalisation, via les accords de télétravail et les règlements d’entreprise. Il s’agirait davantage de bien anticiper les risques du télétravail, afin de permettre l’engagement et l’apprentissage, même à distance.