Résister au désastre – L’Humanité
Il est certain que nous sommes au bord du désastre. De quelle catastrophe s’agit-il exactement ? Et comment l’éviter (un peu) ? Peut-être en échappant à certaines opinions mal fondées qui ont toutes les apparences de conneries réactionnaires empêchant la réflexion. Donc quelques questions. Et d’abord sur la dramatisation actuelle de la situation.
Dramatisation de Macron qui dissout l’Assemblée après le résultat – certes important, mais bien moins que lors des élections présidentielles de 2022 – d’un opposant à des élections normalement sans enjeux « internes », des élections intermédiaires où la protestation contre le pouvoir en place est la règle, où le taux d’abstention est élevé ? Ne devrait-on pas déjà s’alarmer du score de Marine Le Pen (Jordan Bardella 7,7 millions d’électeurs ; Marine Le Pen 8,1 millions en 1euh tour, 13,3 dans la seconde) et agir ?
L’historien Pierre Serna évoque un « coup d’État légal » dans un article de Humanité et évoque les épisodes passés. Pas les années trente en l’occurrence, mais 1940 et les pleins pouvoirs à Pétain. Dit avec élégance : un moment de faillite intellectuelle et politique. Ici une différence soulignant la médiocrité ambiante.
Sans défaite militaire, sans ennemis armés occupant le pays, la décision d’un seul, sévèrement battu électoralement, pour qui la démocratie est depuis le début une aberration, ouvre la possibilité d’un désastre. Preuve d’un narcissisme vexé ou d’une tactique un peu grotesque ? Tout le monde est abasourdi, dit-on. Vraiment ? On aurait pu penser que le sens politique des autres dirigeants politiques les aurait avertis de cette possibilité faite de cynisme, de calcul à court terme et de « je m’en fiche » méprisant le sort des autres et les valeurs démocratiques. Mais il « assume » sans doute comme il aime à le dire.
Dramatisation aussi dans les rangs de la gauche : que faire ? Comment faire ? Créer un « front populaire » ? Quelle belle idée, n’aurait-elle pas déjà dû se concrétiser il y a quelques années ? La question est sans doute aussi un peu bête, mais on ne peut qu’être abasourdi et affligé par cette situation de la gauche qui n’a cessé de démoraliser et de décourager tous les espoirs. Une référence à 1936 ?
Nous sommes alors envahis soit par une soudaine envie de tousser, soit par un ricanement amer. Les gauches de l’époque étaient… des gauches avec des idées, des convictions, un ancrage social, une volonté de lutter avec tous ceux – les ligues certes, mais aussi le patronat et ceux qui les représentaient dans d’autres partis – qui empêchaient toute tentative d’émancipation. des plus démunis. Ce n’est pas tout à fait ce qui existe actuellement, n’est-ce pas ? Passons, dernière question.
Pourquoi tant de peur et tout ce frémissement provoqué par les 31,5% du RN aux élections européennes (et les 5% de la Reconquête) ? Je croyais, en lisant sans cesse la presse et en entendant les dirigeants politiques sur toutes les chaînes, qu’on n’avait pas trop peur à avoir avec le RN, on n’avait plus affaire à une extrême droite (raciste, xénophobe, ultralibérale) avec ses connotations fascistes. , mais avec un populisme (idéologiquement faible, peu crédible et très simpliste) banalisé, diabolisé et respectable (ses représentants ressemblent aux autres, propres sur eux-mêmes avec des attaches ayant effacé dans leurs discours – moins dans les pratiques – les aspérités un peu gênantes, une sorte de réflexe du Docteur Folamour et de son salut nazi, sur la violence verbale et physique contre les étrangers, ceux qui leur apportent de l’aide ou leurs adversaires politiques).
J’ai dû mal comprendre car soudain le terme d’extrême droite refait surface. Un peu tard, non ? Disons que cela va de pair avec tous ces mots de mode constamment utilisés qui ne veulent rien dire et confondent la réalité, mais qui, prononcés avec fermeté et un air savant, ressemblent à des constatations évidentes qui vont de soi. Tout un lexique colonise l’espace public et les esprits, déconsolide la conception de la démocratie et déradicalise (et défascistes) l’opposition déloyale au regard des règles et valeurs humanistes d’ouverture, de tolérance et d’égalité.
Par exemple, comment discuter sérieusement du « post-fascisme » de Giorgia Meloni, qui a récemment déclaré avec émotion son admiration pour Mussolini, qui criminalise l’opposition politique et dont les politiques anti-migratoires sont terriblement brutales et meurtrières (combien de morts en Méditerranée ? ?) – Macron a indiqué, rappelons-le, qu’il partageait les décisions de ce dernier. Pourquoi pas simplement fasciste ? Il en est de même de la « démocratie illibérale », de l’« autoritarisme démocratique » dont le sens exact est difficile à saisir, mais on comprend très bien à quoi servent ces termes.
Orban ou Trump (et d’autres de leur sinistre envergure) deviennent des gars certes un peu folkloriques, mais acceptables, leurs méthodes et pratiques anti-démocratiques peuvent servir ailleurs, les idées du RN deviennent aussi estimables (contrairement à celles du vraiment exécrable gauche et souvent en dehors de « l’arc républicain » selon les mots de l’ancien Premier ministre qui ne voyait aucun problème démocratique à fonctionner à 49-3).
Ne faudrait-il pas commencer par s’en tenir aux mots en leur donnant de l’intelligence, ce qui éviterait que des banalités réactionnaires soient présentées comme des réflexions « de premier ordre » – comme faire passer un banquier d’affaires pour un président philosophique parce qu’il portait le sac de Paul Ricœur -, éviterait-il de penser à dérailler et à se tromper sur ce à quoi on a exactement affaire avec le RN et tous ceux qui se réapproprient les propos et les analyses honteuses avec un grand sourire et une affabilité pour une démocratie ?
Revenir enfin sur terre et sortir de soi pour se rendre compte que la démocratie est déjà dévastée sans que le RN soit au pouvoir, qu’elle réussit très bien sans avoir à beaucoup lutter, les autres agissant très adroitement à sa place ?
Cela, défendre ses principes contre toutes les médiocrités qui gouvernent ou aspirent à le faire, suppose non seulement une alliance enfin réalisée de toutes les gauches enfin à la hauteur de ce qu’elles devraient être, mais aussi une alliance avec toutes les forces sociales existantes – syndicats, associations, ONG, ce qui aurait déjà dû être réalisé depuis le grand mouvement social de 2023 – et un programme social de lutte en faveur de projets d’émancipation multiformes qui donnent au plus grand nombre la liberté d’être et de penser, la possibilité de retrouver devenir des « citoyens utiles », actifs et actifs, mobilisés dans la construction d’une société désirable.
Bref, quoi qu’en pensent certains à gauche, en finir avec le néolibéralisme qui abîme des vies, verrouille les destins, fait de la démocratie une futilité superflue réservée à quelques-uns et destinée à sauver les apparences et non une pratique politique ancrée dans le quotidien de chacun. Allez, rassurez-vous, laissez vagabonder votre imagination et croyez à l’incroyable.