Bourse Entreprise

Reporters sans frontières victime d’une opération d’influence menée par une société de communication liée à l’empire Bolloré – Libération

L’ONG qui défend la liberté de la presse a révélé ce jeudi 4 juillet qu’elle était ciblée depuis le printemps par l’agence Progressif Media, après que le Conseil d’Etat lui a donné raison en février et demandé à l’Arcom de mieux contrôler CNews.

La page d’accueil reprend la charte graphique et le logo de Reporters sans frontières (RSF), et son nom de domaine ressemble fortement à celui de l’ONG. Sauf qu’à y regarder de plus près, il n’y a rien à voir : sur les sites « reporterssansfrontieres.fr » ou « reportersansfrontieres.fr », un texte accueille l’internaute pour l’informer que l’organisation, rebaptisée « Sectaristes sans frontières » ouvrages d’art « au profilage des journalistes », ou souhaite « modifier désormais le paysage audiovisuel public français (PAF) selon (sa) vision du pluralisme. » Une opération de « typosquatting » (c’est-à-dire l’enregistrement d’un nom de domaine proche d’un nom de domaine connu) concernant cinq sites qu’a récemment découvert Reporters sans frontières. Dans une enquête publiée ce jeudi 4 juillet, l’ONG révèle l’organisation derrière cette opération d’influence destinée à les discréditer : l’agence Progressif Media, une société de communication liée à l’empire de Vincent Bolloré.

Libérer Le site d’information français racontait en septembre les basses œuvres de cette « usine à influenceurs » dont le milliardaire breton avait acquis 8,5% des parts début 2022. Progressif Media, une société d’une trentaine de salariés dirigée par les entrepreneurs David Bonhomme et Emile Duport, compte des clients plus ou moins réputés – parmi eux, le mouvement Génération Identitaire avant sa dissolution en 2021 ou l’appli de chant Canto dont le répertoire comprenait quelques airs du IIIe Reich. Mais cette société mène aussi plusieurs campagnes d’influence destinées à défendre les intérêts de Vincent Bolloré, qui héberge Progressif dans les locaux de son groupe Vivendi. C’est notamment le cas du projet « Corsaires », qui cherche à contrer Sleeping Giants France, le groupe qui appelle les annonceurs à couper les revenus publicitaires des médias d’extrême droite.

« La panoplie des pires pollueurs dans le débat public »

C’est dans ce contexte que Progressif Media semble avoir pris pour cible Reporters sans frontières, suite à la décision du Conseil d’État du 13 février dernier. Pour rappel, le Conseil d’État avait donné raison à l’ONG dans le litige qui l’opposait à l’Arcom sur l’affaire CNews, en exigeant du régulateur des médias qu’il contrôle mieux le pluralisme et l’indépendance des radios et télévisions françaises. Dans la foulée, les médias Bolloré, de CNews à Journal du dimanche en passant par le TPMP de Cyril Hanouna, s’étaient déchaînés contre RSF. De son côté, Progressif Media a donc, une semaine après la décision, créé cinq noms de domaine proches de celui de Reporters sans frontières pour dénigrer l’organisation. Des contrefaçons particulièrement bien référencées sur Google et dont les « contacts presse » indiqués sur la page d’accueil renvoient à des numéros « massivement utilisé et signalé pour des tentatives d’escroquerie et de spam », indique RSF. « Contrefaçon, dissimulation, cybersquatting, trolling, désinformation… Toute la palette des pires pollueurs du débat public », souligne Arnaud Froger, chef du bureau d’enquête qui a mené cette enquête.

L’ONG a également découvert que les caractéristiques techniques et le mode opératoire de cette campagne d’influence sont proches d’un nombre très réduit de sites. Deux sites inactifs qui font référence à Jean-Marie Le Pen, mais aussi le site du projet « Corsaires », et le site « Fan de CNews », qui héberge notamment une pétition demandant le maintien de la chaîne, dans le processus actuel de renouvellement des fréquences TNT mené par l’Arcom. « La dissimulation de l’adresse IP d’un serveur web révèle la volonté des développeurs de Progressif Media d’imiter les tactiques, techniques et procédures de certains groupes de cybercriminels à la solde de régimes totalitaires, note Nicolas Diaz, responsable de la sécurité numérique à RSF. Ces groupes sont connus pour mener des campagnes de désinformation et même du phishing par l’usurpation de noms de domaine avec un objectif principal : nuire à la démocratie.

« Les diktats d’une société faussement bien pensante »

Enfin, Reporters sans frontières rapporte dans son enquête avoir obtenu un document stratégique interne de Progressif Media détaillant cette campagne de riposte. Intitulé « Vivendi Reporting », Ce document, destiné à son actionnaire, porte sur les cinq noms de domaine achetés pour « occuper le classement Google » et diffuser un « Manifeste sur le sectarisme de RSF ». Mais il détaille également d’autres projets actuellement menés pour l’empire Bolloré, notamment une campagne visant à positionner CNews comme « le seul endroit en faveur de la liberté d’expression », chaîne « qui ne se laisse pas contraindre au silence par les diktats d’une société faussement bien pensante. » Les équipes de Progressif Media seraient également payées par Vivendi pour surveiller les chaînes concurrentes de CNews, afin de scruter « le bagage militant de leurs invités » et en rendre compte à l’Arcom. Sans succès, selon RSF.

Cette campagne d’influence suscite des interrogations en plein processus de renouvellement des fréquences TNT de C8 et CNews – les auditions des dirigeants des deux chaînes par l’Arcom auront lieu les 9 et 15 juillet prochains. Contactés par RSF, les dirigeants de Progressif Media n’ont pas répondu à leurs sollicitations, tandis que Vivendi a simplement indiqué qu’il ne ferait aucun commentaire sur cette affaire, tout en rappelant sa participation minoritaire au capital de l’entreprise de communication.

Ray Richard

Head of technical department in some websites, I have been in the field of electronic journalism for 12 years and I am interested in travel, trips and discovering the world of technology.
Bouton retour en haut de la page