Nouvelles locales

REPORTAGE. « La situation est délicate » : en Espagne, les habitants manifestent contre l’afflux excessif de touristes

l’essentiel
L’Espagne bat un record de fréquentation avec 41 millions de touristes attendus cet été. À Barcelone, les manifestations se multiplient

Des touristes agressés au pistolet à eau à la terrasse d’un restaurant de Barcelone par des habitants exaspérés. Des vacanciers en excursion en quad sur l’île de Majorque contraints de rebrousser chemin face aux manifestants. La touristophobie se propage-t-elle en Espagne ? Si ces actions, qui ne font pas l’unanimité, sont très minoritaires, elles traduisent un malaise croissant dans un pays qui devrait battre un record de fréquentation cet été avec 41 millions de touristes attendus, soit 13% de plus que l’an dernier.

Le mécontentement contre le tourisme a pris une autre dimension cette saison : il s’étend à tout le pays avec des manifestations récemment organisées aux Canaries, aux Baléares, en Cantabrie et en Andalousie avant une nouvelle mobilisation appelée aujourd’hui à Palma de Majorque. A Barcelone, le 6 juillet, des milliers de personnes ont défilé de la Rambla à la Barceloneta. La colère se cristallise autour du logement. Le prix des loyers a augmenté de 68 % en dix ans et le prix du mètre carré s’élève à plus de 4 500 euros (3 300 euros à Toulouse).

« Les locataires sont expulsés »

Peu à peu, les habitants sont contraints de quitter leur ville. « Je vis en tant que locataire dans un immeuble de 120 appartements dans une zone périphérique de Barcelone », raconte Melania, mère de deux enfants. « Mais le propriétaire a demandé 120 licences touristiques. En pratique, à la fin des contrats, les locataires sont expulsés. Les appartements sont rénovés et loués à des touristes. » Melania sait qu’elle devra partir. « Il me reste deux ans de contrat. Pour mon voisin Enric, c’est encore pire : il a 82 ans ! Nous ne sommes pas contre les touristes, mais contre ce tourisme qui nous expulse. »

Les Barcelonais ont de plus en plus de mal à rivaliser avec le pouvoir d’achat des touristes ou des « nomades numériques », ces étrangers qui s’installent quelques mois pour travailler à distance et faire grimper les prix. « Je suis née à Barcelone, j’ai grandi ici et je ne sais pas si je pourrais continuer à vivre ici. Il n’y a pas d’avenir ici pour les locaux », explique avec émotion Mar, une autre mère de famille. Cette douloureuse question du logement revient dans toutes les manifestations avec des slogans souvent identiques : « Touriste, rentrez chez vous », « Majorque n’est pas à vendre » et « Les Canaries à ses habitants ».

« La situation est délicate »

Le tourisme représente 13 % du PIB espagnol, mais ses habitants ont le sentiment de ne pas en profiter suffisamment. Pour beaucoup, cette manne financière ne compense pas l’impact négatif sur les prix des loyers et la qualité de vie. « La situation est délicate, mais on retrouve des situations similaires à Paris, Rome ou Amsterdam », nuance Christian Marion, directeur de la Chambre de commerce française de Barcelone, qui reconnaît « des externalités négatives qu’il faut essayer de limiter ». « C’est fallacieux de dire que le tourisme nous fait vivre », rétorque Julia, militante écologiste. « Bien sûr que le tourisme crée des emplois. Mais ce sont des emplois très précaires, mal payés. »

Les Espagnols dénoncent aussi l’impact du tourisme sur l’environnement, dans un pays confronté à une pénurie d’eau. Ils regrettent aussi la transformation de leur ville. « Le tourisme détruit le commerce local : dans mon quartier, il n’y a plus de poissonniers ni de bouchers. Il n’y a que des restaurants qui proposent des brunchs hors de prix aux touristes ou des épiceries avec d’horribles enseignes lumineuses qui vendent de l’alcool toute la nuit », se plaint Maria, qui habite près de la Sagrada Familia.
Pourtant, malgré ce contexte et quelques incidents mineurs, les touristes français n’ont rien à craindre cet été. Ceux qui auront la chance de partir en vacances en Espagne seront bien accueillis. Mais pour s’assurer un séjour agréable, il n’est pas inutile d’être attentif à cette grogne. Et peut-être choisir des destinations moins saturées que Barcelone ou les Baléares, comme les plages de Galice ou les Pyrénées aragonaises.

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
Bouton retour en haut de la page