REPORTAGE. Guerre en Ukraine : « Ils n’ont pas leur place sur nos terres »… à Koursk, la détresse des Russes évacués après l’incursion de Kiev
Depuis le début de l’invasion de la région de Koursk, l’armée ukrainienne a réussi à pénétrer sur au moins 27 kilomètres à l’intérieur de la Russie. Selon le président ukrainien Volodymyr Zelensky, Kiev a pris le contrôle de dizaines de localités. Les autorités régionales ont déclaré que 120 000 habitants des zones frontalières étaient déjà en sécurité et que 180 000 personnes devaient être évacuées. Reportage depuis Koursk.
Debout sur les caisses en bois, les mains sur les hanches, vêtue d’un gilet jaune fluo, Svetlana Kozina, directrice de l’association « Maison des bonnes actions », tente de réguler le flux incessant de réfugiés. Dans la file d’attente pour recevoir l’aide humanitaire, l’écrasante majorité sont plutôt âgées, presque toutes des femmes. La tension se lit sur leurs visages, mais on ne note ni disputes ni bousculades. Mais dès qu’elles parlent, elles éclatent en sanglots.
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« Nous sommes de Soudja. Nous avons tout quitté et nous nous sommes enfuis ici. Des proches nous ont donné quelques affaires. Mais nous n’avons pas de chaussures, pas de literie, rien », raconte une femme déprimée aux cheveux gris soigneusement peignés, vêtue d’un survêtement qui n’est visiblement pas le sien. « Il ne reste probablement plus rien de notre maison. Nous sommes de Donetsk. Nous sommes partis de là-bas et maintenant tout recommence ici. » Kiev affirme contrôler cette ville, ainsi que 82 autres villes.
Personne ne s’attendait à ce que la guerre change de territoire. « Mes grands-parents pensaient que l’offensive ukrainienne serait terminée en un jour », raconte une réfugiée. « Depuis deux ans, il y a des explosions constantes dans l’oblast de Koursk. Mais ce n’est pas le choc que les gens ont ressenti en février 2022, lorsque plus rien n’a pu fonctionner normalement pendant deux mois », raconte une femme qui tente de rejoindre sa famille à Soudja. « Il n’y a pas eu d’évacuation générale le 6 août, les gens n’ont pas été prévenus à temps. Maintenant, il est trop tard pour partir, il y a des mines et des drones partout, c’est dangereux. Deux de mes connaissances sont mortes. »
Les Russes pris au dépourvu
Les autorités russes ont tardé à réagir, prises au dépourvu par Kiev. « Le pire, c’est de ne pas comprendre ce qui se passe. On ne parlait presque pas de nous, tout allait bien à la télé. Il y avait de la musique à la radio », se souvient Larissa du 6 août à Soudja. Ce n’est que le 9 août que l’état d’urgence fédéral a été décrété à Koursk. Puis ce n’est que le 12 août que Vladimir Poutine a convoqué une réunion sur la situation dans les régions frontalières de l’Ukraine.
Les jours suivants, les évacuations obligatoires ont commencé dans les villes frontalières, avec la mise en place d’un réseau de bus. Jusqu’alors, les habitants étaient livrés à eux-mêmes.
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Assise près d’une caserne militaire, Olga guette un marshroutka (une navette) vers Lgov, une ville à 35 kilomètres du front, qu’elle a fuie précipitamment avec son mari il y a quelques jours. « On a entendu dire qu’il y avait des pillages partout dans la ville, on veut s’assurer que tout reste en place, surtout nos deux voitures », s’inquiète la quadragénaire, coquettement vêtue d’une longue robe fleurie, ignorant le danger qui l’attend à chaque coin de rue. « Les soldats ukrainiens sont des sauvages ! Des assassins ! Ils n’ont pas leur place sur notre terre, ils devraient rentrer chez eux. » marshroutka ne viendra jamais. Pendant ce temps, quelques véhicules militaires passent, laissant la femme songeuse. « Pourquoi ces soldats sont-ils ici et pas à la frontière ? » se demande-t-elle.
« J’ai toujours été contre la guerre »
« J’ai toujours été contre la guerre, j’ai toujours soutenu les Ukrainiens et je me suis toujours méfiée des nationalistes russes et de leurs discours patriotiques. Mais le destin en a décidé autrement », regrette une jeune femme de Soudja, prénommée Aliona.
« J’attends que nos soldats chassent les forces armées ukrainiennes de mon pays. Cependant, je n’ai pas changé d’avis, j’ai toujours une dent contre Poutine. Mais maintenant, j’espère le succès de ceux que je haïssais. C’est un sentiment très étrange. »