Retour sur la dernière édition du célèbre festival suisse, le Montreux Jazz Festival, avec Deep Purple et PJ Harvey.
Les eaux du lac Léman se font turquoise sous un soleil radieux pour accueillir de nouveau Deep Purple sur les lieux de la création de leur album phare dans l’annexe du Montreux Palace, le Pavillon, puis au Grand Hôtel de Territet désaffecté et réquisitionné à cet effet par « Funky Claude » Nobs, fondateur du festival. « Smoke on the Water », avec le mythique riff en quartes et claves de Ritchie Blackmore inspiré de « Maria Moita » de Carlos Lyra (« Maria Quiet » d’Astrud Gilberto), raconte l’incendie du casino lors d’un concert de Frank Zappa le 4 décembre 1971, auquel le groupe assistait parmi deux mille fans. Pendant le solo de Don Preston sur « King Kong », Zdenek Spicka, un activiste tchécoslovaque hostile à l’amitié ouverte de Zappa avec Vaclav Havel, a mis le feu au toit du bâtiment avec un pistolet lance-fusées, et une épaisse fumée noire a plané au-dessus du lac pendant un long moment, inspirant le titre à Roger Glover et les paroles à Ian Gillan : « De la fumée sur l’eau, du feu dans le ciel ».
Tous deux sont présents ce lundi soir sur la scène du lac du Montreux Jazz Festival, Place du Marché (l’auditorium Stravinski est en travaux), tout comme le redoutable animateur Ian Paice. Tête de machine est à l’honneur, de l’ouverture « Highway Star » à « Lazy », en passant par « Space Truckin’ », pour finir avec l’hymne chanté en chœur par la foule. Gillan reste, à 79 ans, le meilleur hurleur à ne pas s’appeler Robert Plant, la section rythmique qui faisait l’admiration de Metallica et Iron Maiden, inarrêtable. Les deux virtuoses intriguent : Don Airey qui a succédé à Jon Lord se prend pour Keith Emerson, au point de jouer son « Blue Rondo à la Turk », et le nouveau guitariste nord-irlandais, Simon McBride, un shredder issu de l’école post-Van Halen, n’est pas encore suffisamment intégré (Steve Morse est parti en 2022 après vingt-huit ans d’excellents services), comme en témoigne son exhibition en solo. « Hush », le tube du groupe Mark I puis « Black Night » concluent la soirée sur une note enflammée.
Alors que le soleil baignait la scène à ciel ouvert de ses lumières orangées, ils étaient précédés par Alice Cooper, canne de magicien en guise de baguette de chef d’orchestre, gants de cuir noir et khôl dégoulinant autour des yeux, queue-de-pie et haut-de-forme immaculés. Toutes les guitares hurlantes de Rock’n’Roll Animal, dont celle de la blonde Nita Strauss, le groupe ne laisse jamais retomber la tension, de « Welcome to the Show » à un « Elected » de saison, en passant par « No More Mr. Nice Guy », « I’m Eighteen », « Under My Wheels », « Billion Dollar Babies », « Poison » et, en bis, « School’s Out » enchaîné à « Another Brick in the Wall » sur le même thème « We don’t need no education ». Magistral. Au point que le rituel de la guillotine est superflu.
Le lendemain, la grande prêtresse PJ Harvey, icône féministe en cape japonaise et longue robe crème sur des bottes blanches, bras maigres aux veines bleues saillantes, entame une incantatoire païenne avec trois titres de son album forestier I Inside the Old Year Dying, avant d’envoler le public sur les hymnes « Let England Shake », « The Glorious Land » et « The Words That Maketh Murder ». Théâtrale, captivante, consultant sans cesse sa setlist, elle passe de sa Fender blanche à l’autoharpe, parfaitement entourée d’un excellent groupe mené par son éternel acolyte John Parish et le batteur français Jean-Marc Butty. Après un retour à des fondamentaux plus abrasifs (« 50ft Queenie », « Man-Size », « Dress »), elle tue le jeu seule avec sa guitare acoustique pour un « Desperate Kingdom of Love » hors norme, avant de terminer à genoux avec « Down by the Water » puis « To Bring You My Love ». Queen Polly Jean.
The National, auréolé de son triomphe à Glastonbury, augmenté d’un trompettiste et d’un tromboniste qui lui donnent une couleur singulière, dense, exprime sa puissance tendue et sa solennité, incarnée par le baryton profond de Matt Berninger, dans un répertoire issu de toute sa carrière, mais végété par les nombreux morceaux de High Violet, dont « Bloodbuzz Ohio » et « England ». Ils dédient « I Need My Girl » à PJ, tandis qu’Aaron Dessner s’adresse au public en français et, après « We are half-awake in a fake empire », supplie Joe Biden de se réveiller.
Partout, le temps presse, mais à Montreux, tout est luxe, calme et volupté.
Yves Bigot
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