Des villas réduites en cendres, des flammes s’échappant d’une fenêtre d’église, un fast-food emporté par une averse incandescente et des palmiers consumés à la vitesse d’une cigarette… Regarder une ville brûler, pour l’historien de feu Stephen Pyne, cité par le Los Angeles Times, « C’est comme assister au retour de la polio. » Autrefois éradiquée par des siècles de progrès dans la construction, la menace d’incendies urbains meurtriers et destructeurs réapparaît grâce à l’expansion des villes dans les zones forestières, couplée à des conditions météorologiques extrêmes favorisées par le changement climatique.
Dix jours après le début des incendies, les flammes engloutissent toujours des centaines d’hectares. Au total, plus de 12.300 maisons et autres bâtiments ont été détruits ou endommagés, selon une estimation provisoire au vendredi 17 janvier. Derrière ces chiffres, autant de familles traumatisées que le gouverneur de Californie Gavin Newsom veut aider »récupérer plus vite et plus fort. Partir de zéro, mais comment reconstruire sans répéter les erreurs du passé ?
« Quand la première maison prend feu, ce n’est plus un feu de forêt » observe Rémi Savazzi, expert incendie de l’Office national des forêts (ONF). « Là, on observe bien que ce n’est plus la végétation qui sert de combustible, c’est la maison qui, en brûlant, génère de l’énergie telle que le feu se propage à une autre, puis à une autre, puis à une autre, etc.« La lutte contre les incendies passe par la construction de logements qui brûlent moins », souligne-t-il, pointant les vulnérabilités des maisons à ossature bois, courantes outre-Atlantique. A l’intérieur d’une maison, le feu, redoutable, gagne en puissance, convient Anne Ganteaume, spécialiste des feux de forêt à l’Institut national de recherches sur l’agriculture, l’alimentation et l’environnement : « Il y a une masse combustible extrêmement importante. Une fois que le feu éclate, c’est fini. »
A la frontière entre la ville et la nature, les quartiers « interface habitat-forêt » sont naturellement les plus exposés au risque d’incendie. Aussi, le défi n’est pas seulement d’empêcher les incendies de forêt de s’y déclarer, mais aussi de s’y propager.
Les nombreuses villas luxueuses du quartier de Pacific Palisades dévorées par le feu confirment ce constat. « Ils sont bien construits, mais ils ont souvent de grandes baies vitrées avec vue sur l’océan et pas de volets »poursuit Anne Ganteaume. Dans ces conditions, « Les fenêtres se brisent et le feu entre. Mettez des volets, choisissez des verres plus épais pour que la fenêtre résiste au rayonnement thermique… Ce sont des choses un peu évidentes. » Elle cite également l’Australie, où il est désormais obligatoire dans certains endroits d’équiper les nouvelles maisons de poutres en aluminium.
Dans une Californie régulièrement en proie à des mégaincendies, les constructions en zones à risques ne sont réglementées que depuis 2008. Si certains matériaux sont imposés pour les extérieurs et les toitures des bâtiments neufs, « la question se pose toujours de ceux qui étaient déjà là », point Anne Ganteaume. Ainsi, la plupart des maisons détruites en 2018 en le feu du paradisdans le nord de la Californie, avaient été construits avant l’entrée en vigueur de ces normes.
Cependant, les vieilles maisons peuvent aussi se défendre, notamment contre Los Angeles, une mégalopole enveloppée de chaparral, un bosquet de buissons typique du sud de la Californie. La règle d’or ? Cassurer la continuité de la végétation susceptible de s’embraser grâce au déboisement. Cette pratique obligatoire en France autour des habitations (jusqu’à 50 m au minimum), ainsi que le long des voies d’accès, vaut les meilleures technologies, mais se heurte souvent à l’ignorance et parfois à la négligence des habitants.
Dans un guide pratique aux airs de manifestele California Chaparral Institute estime ainsi que les pouvoirs publics ont abandonné le levier de la pédagogie. « Il est possible de rendre les maisons presque entièrement résistantes au feu grâce à des rénovations, des gicleurs extérieurs et des groupes communautaires de lutte contre les incendies » assure cette ONG, créée en 2003 après le dramatique incendie de Cedar (15 morts et 2 232 maisons détruites) dans le comté de San Diego.
Au milieu de la zone dévastée, la Villa Getty, musée situé sur une colline boisée, a résisté aux flammes grâce à un protocole incendie rigoureux et un personnel mobilisé, rapporte son directeur exécutif. À Los Angeles Times. De même, dans la ville de Lahaina (Hawaï), détruite en 2023 par un incendie, la « maison au toit rouge », devenue emblématique, a survécu grâce à sa toiture métallique fraichement rénovée et à la coupe de la végétation directement en contact avec le sol. bâtiment, ses propriétaires ont expliqué au site Battement civilbasé à Honolulu. Une bordure de galets d’un mètre de large avait été installée à l’initiative d’habitants qui ne craignaient alors pas le feu, mais les termites.
« LE tas de bois stocké contre la maison, le beau cyprès collé à la façade, la haie qui touche le mur, le salon de jardin, les feuilles mortes ou les épines de pin coincées dans le caniveau ou entre les planches de la terrasse » sont autant de nourriture pour le feu, énumère Rémi Savazzi. « On ne soulignera jamais assez l’importance du nettoyage de ces éléments. » insiste l’expert de l’ONF, rappelant qu’il suffit d’une étincelle lancée par le vent pour déclencher un nouvel incendie.
À Los Angeles, « Les pompiers ont rapporté avoir vu ces braises déclencher des incendies à deux ou trois kilomètres du front principal des flammes », confirmé dans L’Atlantique Michael Gollner, spécialiste de l’étude du feu à l’Université de Californie à Berkeley. Pour lui aussi, des mesures doivent être prises « pour que ces braises ne déclenchent pas de nouveaux incendies », » a-t-il poursuivi, faisant écho à l’histoire du gérant d’un complexe d’appartements de Pacific Palisades. Ce dernier a raconté à l’AFP avoir évité une catastrophe en plongeant dans la piscine pour éteindre un eucalyptus voisin, touché par une braise.
Faut-il laisser les gens vivre dans des zones à haut risque d’incendie comme Malibu, déjà touchée par l’incendie de Franklin en décembre (20 structures détruites), quelques semaines seulement avant la catastrophe actuelle, ou par l’incendie de Wooley, en 2018 (1 600 structures détruites) ? Pour Crystal A. Kolden, directrice du UC Merced Fire Resilience Center à l’Université de Californie, le danger ne vient pas tant de l’implantation des résidences dans une région exposée que du changement d’utilisation des sols. au sens large.
« Jusqu’aux années 1960, une grande partie des montagnes de Santa Monica était encore exploitée par des ranchs » se souvient cet ancien pompier. Or, « Les animaux au pâturage consomment des combustibles fins et réduisent la croissance des arbustes »poursuit-elle dans un message publié sur le réseau social Bluesky. Prisées pour leur accès à la nature, ces poches urbaines se sont développées conjointement au départ des agriculteurs et de leurs animaux, qui assuraient cette zone tampon entre la ville et le chaparral.
Le problème ne concerne pas seulement les Etats-Unis, souligne Rémi Savazzi. « Il suffit de regarder des images aériennes d’il y a cinquante ans, en Méditerranée. Nous avions une organisation du territoire très différente : un noyau villageois bien concentré, des champs bien entretenus autour et, plus loin, la forêt, décrit l’expert de l’ONF. La progression de l’urbanisation dans un sens et des forêts dans l’autre, au rythme de l’abandon agricole, a créé plus d’interfaces ».
Face à cette évolution du paysage, la France s’appuie sur des plans de prévention des risques établis par les différents acteurs étatiques présents sur un territoire donné. « DDans les zones à risque élevé d’incendie, les permis de construire sont refusés.illustre Anne Ganteaume, même si là aussi, « Il existe encore des maisons qui ont été construites avant la mise en œuvre de ces plans. »
Fin juin, une étude de l’Université de Californie On estime qu’au moins 1,5 million de maisons ont été construites dans la zone d’interface forêt-habitat au cours des trente dernières années, faisant de cet Etat le champion en termes de nombre d’habitants vivant dans ces zones, plus souvent à risque. Ce boom est alimenté par une profonde crise immobilière qui frappe les classes moyennes et populaires, contraintes désormais de s’éloigner des centres-villes.
Face à cette pénurie de logements et pour répondre à la détresse des sinistrés de Los Angeles, Gavin Newson a signé un décret le 12 janvier permettant « réduire le temps nécessaire pour obtenir les permis (à construire) ». Ce texte abroge, pour les victimes des incendies, les règles du California Environmental Quality Act, pilier de la politique environnementale locale. Car dans les villes frappées par de violents incendies, la reconstruction est lente et douloureuse. A Lahaina, à Hawaï, les habitants de la « maison au toit rouge » n’ont toujours pas retrouvé leurs voisins, seize mois après l’incendie.
À Paradise, la municipalité a exigé que chaque nouvelle maison réponde aux normes les plus récentes en matière de systèmes de protection incendie. Six ans après la tragédie, le Chronique de San Francisco sont revenus sur place, à la rencontre des habitants en sécurité… et moins nombreux : sur 11 000 maisons détruites en 2018, seules 2 500 ont été reconstruites.