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rencontre avec leurs enfants en mission pour sauver le château des jumeaux

rencontre avec leurs enfants en mission pour sauver le château des jumeaux

Bientôt millénaire, le château d’Esclignac est le plus vieux château du Gers encore debout. Pour combien de temps ? Les tempêtes ont ébranlé la charpente et fragilisé la toiture du donjon ouvert à tous les vents ; l’eau s’infiltre désormais. La tour d’escalier, la tour carrée et le corps principal du logis sont également menacés. Fous du Moyen Âge, Igor et Grichka Bogdanov l’ont acheté en 1986. Un rêve qui les dépassait, mais que les enfants d’Igor veulent prolonger pour honorer la mémoire de leur père et de leur oncle, emportés par le Covid il y a trois ans.

Lorsque Sasha, Anna-Claria et Wenceslas Ostasenko-Bogdanov, trois des enfants d’Igor Bogdanov, se retrouvent à Esclignac, ils renouent avec des souvenirs d’enfance heureux. « C’est sur ce porche de pierre que notre père a écrit nombre de ses livres, confie Sasha. Il a trouvé dans ce lieu le silence, la tranquillité et la distance nécessaires au développement de son imaginaire. Ici, on est à l’abri du monde. Peut-être ces pierres donnent-elles le sentiment d’appartenir à une histoire plus grande que la sienne, où passé lointain, présent et futur se confondent. » Anna-Claria ajoute : « C’est là que nous avions le plus facilement accès à lui, car lui-même était profondément attaché à cette campagne gersoise qu’il décrivait merveilleusement dans le roman « La mémoire double »… Nous y passions toutes nos vacances. Esclignac était le lieu de tous les rêves, de tous les possibles, de toutes les libertés. »

« Igor et Grichka ont voulu faire de cette maison un lieu ouvert à tous, entre passé et futur, histoire et innovation scientifique »

Tous décrivent l’incroyable terrain de jeu que représentait pour eux ce château à moitié vide, la vie rustique et bohème de cette famille atypique mais harmonieuse, dont le seul pilier stable était leur grand-père Youra, un réfugié russe que les jumeaux y avaient installé, le laissant cultiver son potager. « Ils ont acheté Esclignac à crédit, c’était fou car les taux étaient alors à 13,5 % ! Ils ont toujours imaginé la vie en grand », témoigne Wenceslas. Les origines de l’ancienne résidence du duc d’Esclignac remontent à un seigneur gascon de Preissac en l’an 1030, miroir de l’imaginaire familial. Car Istenne, la grand-mère adorée d’Igor et de Grichka Bogdanov, une comtesse de l’Empire austro-hongrois, a caché dans ce Gers sa fille Maya, fruit de son amour interdit avec Roland Hayes, un chanteur d’opéra noir américain. « Elle se souvenait d’être venue ici prendre le thé sous le cèdre du Liban », ajoute Wenceslas.

Le château, à Montfort (Gers), est classé « immeuble protégé et souffrant ».

Paris Match / © Eric Hadj

Personnage fantasque et romantique, la figure tutélaire des jumeaux Bogdanov recevait dans son salon, au cœur de Vienne, les personnalités artistiques les plus en vogue. C’est elle qui leur prodiguait leur éducation littéraire, artistique, musicale et même scientifique. A sa mort en 1982, rapidement suivie par celle de leur mère Maya, Igor et Grichka se séparèrent douloureusement de son château de Saint-Lary mais, viscéralement attachés au Gers, ils en trouvèrent un autre qui leur convenait : fondé sur un sanctuaire druidique, et où fut établi un cimetière mérovingien… « Ils aimaient créer de la magie, et la porte médiévale, vestige de la cuisine de Guillaume de Preissac en 1030, les inspirait. Dans leur esprit spatio-temporel, elle devenait la porte du temps. Notre père et Grichka avaient la capacité de raconter des histoires fantastiques sous le ciel étoilé du Gers. »

Les animateurs de l’émission culte « Temps X » étaient obsédés par le Big Bang mais savaient se projeter dans le futur. « Portés par les valeurs du Moyen-Âge, ils étaient des chevaliers des temps modernes et voulaient faire de cette maison familiale un lieu ouvert à tous, entre passé et futur, entre histoire et innovation scientifique. Un lieu de culture aussi, car ils aimaient organiser de grands banquets où ils récitaient des poèmes… C’étaient des artistes mais ils ne savaient pas gérer », conclut Sasha. « Parce qu’on les voyait à la télé, un mythe est né selon lequel ils étaient riches, ajoute Anna-Claria. La fortune des Bogdanov n’existe pas, on en sait quelque chose ! Mais cela a créé un malentendu dans le Gers où certains les ont accusés de n’avoir rien fait pour entretenir le château. »

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Leur disparition, à quelques jours d’intervalle, n’a rien amélioré.

Leur disparition, à quelques jours d’intervalle, n’a rien arrangé. « Nous avons hérité d’une situation catastrophique, et il y a une urgence dramatique à sauver Esclignac. Pendant deux ans et demi, nous n’avons rien pu faire, car la maison était dans le patrimoine d’une société en nom collectif en redressement judiciaire. Mais nous ne sommes pas restés les bras croisés pour attendre de sortir de cette impasse juridique et administrative. » Sasha, Anna-Claria et Wenceslas forment une « famille soudée et solidaire ». La mort de leur père, disent-ils, les a rapprochés de leurs deux petits frères, Constantin et Alexandre, nés du mariage d’Igor avec Amélie de Bourbon-Parme. « Nous sommes comme des relais, car pour eux l’absence de notre père est vertigineuse. Il y a beaucoup d’Igor en eux. »

De gauche à droite, Anna-Claria, Wenceslas et Sasha. Sur la cheminée, le portrait de leur arrière-grand-mère, la comtesse Bertha, installée également dans le Gers.

Paris Match / © Eric Hadj

Anna-Claria, 33 ans, est réalisatrice et écrit actuellement son premier long-métrage. Sasha, 35 ans, auteur-compositeur-interprète, est aussi le cofondateur des Petites Ruches, une école inclusive et alternative au milieu des bois à Moret-sur-Loing, lauréate du Prix de la Fondation Kairos pour la nouvelle école innovante. Quant à Wenceslas, 30 ans, il est chanteur mais aussi compositeur de musique et travaille sur un projet d’album. Face à une succession compliquée, ils se sont posés la question de garder ou non Esclignac. Mais ils disent ne pas vouloir renoncer à ce lieu, à ce lien, « une partie de nous-mêmes, de notre histoire, de notre héritage, de nos racines ».

Au-delà des pierres, c’est avant tout une question d’identité ! La fidélité au passé n’empêche pas de se projeter. Avec ce lieu atypique, ils espèrent mettre en lumière ce que leur père et leur oncle leur ont transmis. Un centre culturel, à la croisée de l’art et de la science, un lieu d’observation des astres, un studio de musique, une résidence d’artiste… les possibilités sont infinies. Ils expliquent à l’unisson : « Entre patrimoine et science, passé et futur, nous voulons faire de notre mieux pour rendre Esclignac accessible au public et achever le rêve que les jumeaux n’ont pu accomplir. C’est une question de vie et d’engagement. Notre force est d’être trois et d’avoir hérité de notre père la liberté de rêver, d’imaginer, de créer. »

La restauration de la toiture et de la maçonnerie est estimée à environ 10 millions d’euros.

Le Gers bruisse des rumeurs les plus folles. L’une d’elles rapporte qu’Esclignac, classé par la Drac d’Occitanie en « immeuble protégé et en souffrance » début 2024, pourrait faire l’objet d’un arrêté de péril imminent. La fratrie s’attèle à monter des dossiers, contacter les autorités compétentes, faire établir des devis pour les travaux les plus urgents à réaliser et proposer un plan qui pourrait séduire la région, l’Etat, les fondations culturelles, à commencer par la Fondation du patrimoine dans le cadre de la mission Berne et le Loto du patrimoine… Il faut trouver d’urgence au moins 2 millions d’euros pour rendre le château étanche à l’air et à l’eau. Un devis d’environ 10 millions d’euros a été avancé pour restaurer l’ensemble de la toiture et de la maçonnerie.

La priorité : refaire la toiture. Attaqués par l’humidité, les planchers des étages supérieurs menacent de s’effondrer.

Paris Match / © Eric Hadj

« Nous souhaitons développer ce projet en partenariat étroit avec la région. Dans un monde où tout va de plus en plus vite, il nous paraît essentiel de préserver des lieux refuges comme Esclignac, qui existaient hier et méritent d’exister demain. » Forts de leurs convictions, ils veulent convaincre l’État de les suivre dans ce programme ambitieux qui « s’inscrit non seulement dans la préservation du patrimoine, mais aussi dans le développement des innovations. » Les enfants d’Igor Bogdanov et de Ludmilla d’Oultremont, portraitiste et illustratrice, ont grandi dans un environnement propice à l’épanouissement artistique.

Une dimension qu’ils souhaitent ardemment développer à Esclignac. « Nous souhaitons enrichir ce projet d’une vision contemporaine, proposer aux nouvelles générations des expériences immersives et pédagogiques qu’elles affectionnent. » Pour l’heure, chacun sait que le nœud de cette guerre, c’est l’argent. Maintenant que la succession est réglée, après de longs mois d’incertitude, les héritiers d’Igor Bogdanov peuvent concentrer leurs efforts sur la collecte de fonds. Sasha, Anna-Claria et Wenceslas sont déterminés à sauver le château pour qu’il puisse continuer à défier le temps et fêter son millénaire en 2034.

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