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rencontre avec Emma Benestan au 50ème Festival de Deauville

Emma Benestan, cinéaste franco-algérienne et figure de la nouvelle génération du cinéma français, fait partie du Jury Révélation du 50e Festival de Deauville. Nous l’avons rencontrée pour qu’elle nous parle de « son » cinéma américain, de son attachement aux « territoires » dans les films et aussi de son rôle déterminant dans l’un des meilleurs films français de 2023 : « Chien de la casse ».

L’irrésistible ascension d’Emma Benestan

N’ayons pas peur des mots : Emma Benestan est très belle et imposante. Sa grande stature la fait paraître grande, même assise sur un canapé dans une chambre de l’hôtel Normandy à Deauville, transformée en salon pour cet entretien. Ses longs cheveux noirs ondulés, comme ses yeux tout aussi noirs, ont cette grâce méditerranéenne et son visage a la finesse d’une statue grecque. On se dit alors que la scénariste et réalisatrice franco-algérienne, née en 1988 à Montpellier et auteure des longs métrages Fragile Et AnimalElle aurait pu être sur la photo, elle aurait pu être actrice. Mais c’est derrière la caméra qu’elle se fait un nom. Et si ce nom n’est pas encore très connu du grand public, ce n’est qu’une question de temps avant qu’il ne soit sur toutes les lèvres.

Emma Benestan sur le tournage d’Animal ©Julien Coquentin

Membre du Jury de la Révélation de cette 50ème édition du Festival du Cinéma Américain de Deauvillenous avons souhaité la rencontrer pour en savoir un peu plus sur son cinéma, son travail avec Abdellatif Kechiche pour qui elle a notamment monté Mektoub, mon amour : chant un. Mais aussi parce que, entrée dans le cinéma après des études de montage à la Fémis, elle est très active dans les coulisses de cette industrie, où c’est dans une dynamique collective qu’elle a commencé à relire les scénarios de ses amis, avant de se mettre à écrire elle-même. Sans elle, peut-être Chien de la casse de son ami Jean-Baptiste Durand – dont elle est la coscénariste et a provoqué la rencontre entre la réalisatrice et Raphaël Quenard – n’aurait pas été ce film magnifique, lauréat du César du Meilleur Premier Film et du César de la Meilleure Révélation Masculine en 2024.

Vous faites partie du Jury Révélation de la 50e édition du Festival de Deauville. Quel est votre rapport au cinéma américain, célébré ici ?

Emma Benestan :Je vais vous présenter ici mon film préféré, celui qui m’a donné envie de faire du cinéma : Imitation de la vie (Mirage de la vie (en français) de Douglas Sirk. J’ai été élevé au cinéma américain, mon père regardait beaucoup de westerns et de grands mélodrames, donc les westerns de Douglas Sirk et de John Ford. Le cinéma américain est donc le début de ma cinéphilie. C’est le rêve, les émotions, les aventures et le grand spectacle. Et en même temps ce sont aussi des histoires sur la question de l’identité.

Qui sommes-nous, quelle est notre place ? Je trouve incroyablement impressionnant de voir comment le cinéma américain aborde ces questions avec beaucoup d’ambivalence et de force.

En tant que Franco-Algérien, ce cinéma me parle particulièrement. C’est un cinéma qui représente la diversité à l’écran, sans qu’elle en soit le sujet. C’est aussi ce que j’essaie de faire dans mon cinéma. Voyez Will Smith dans Les Grandes Plaines, ou Morgan Freeman dans Robin des Boisc’est ce que fait le cinéma américain, voir de grands personnages issus de la diversité. Je pense que Animal comme dans Fragile… J’ai toujours voulu ça dans mon cinéma. La diversité n’est pas le sujet, et c’est pour ça que je pense que c’est politique.

Fragile ©Haut et Court

C’est une position qui rapproche votre cinéma de celui d’Abdellatif Kechiche, avec qui vous avez beaucoup travaillé.

Emma Benestan :Oui, complètement. Quand j’avais 19 ans, j’ai regardé La graine et le mulet et j’ai eu le même sentiment que lorsque j’ai découvert Imitation de la vie. J’ai pleuré, et je me suis dit : « ah ! enfin… ». Je me suis sentie moins seule. Quand on grandit, à l’adolescence, avec une représentation assez négative de la culture dont on est issu dans les médias, on se pose beaucoup de questions. Je pense que dans le travail d’Abdellatif, on voit du romantisme, des gens vivants, de la joie. Et pas seulement de la misère, de la souffrance, des rôles où l’on est ancré dans une forme de violence. Quand on parle de questions sociales, Abdellatif présente des personnages plus grand que natureCe sont des personnages qui veulent tout.

Dans La faute de Voltairele personnage veut de l’amour, dans La graine et le muletil veut ouvrir un grand restaurant… Comme encore dans Imitation de la vieCe sont des personnages qui veulent quelque chose mais qui malgré eux sont prisonniers d’un système. Pourtant, ils restent passionnés et ça me parle beaucoup.

Ce sont des films sur des personnages, mais aussi sur des personnages qui sont très ancrés dans des territoires, qui ont leur propre identité.

Je pense à un ami, Jean-Baptiste Durand, qui a fait Chien de la casse et auquel j’ai collaboré. Je suis très content de son succès, parce qu’il portait son film avec une telle sincérité et une telle justesse. Ça m’a fait du bien parce que je me suis dit que les gens avaient envie de revenir à ça, des films où les territoires ne sont pas interchangeables, où les territoires ont une force, une façon de parler et de penser. Le cinéma de Pagnol l’a fait, à sa manière, je trouve ça assez beau quand un décor raconte quelque chose. J’ai l’impression qu’avec tout ce qui se passe en ce moment, après tant de choses, on a envie de regarder les lieux précisément, ce qu’il y a de spécifique là-bas, de montrer quelque chose d’universel mais à travers quelque chose de très local.

C’est aussi ce que fait Thierry de Peretti avec ses films sur la Corse, récemment encore avec À son image.

Oui, c’est un très bon exemple, Thierry de Peretti creuse de plus en plus son territoire. On sent qu’il aime la Corse mais qu’il la critique aussi, il regarde un certain système. Je trouve ça vraiment fort, il fait de ce territoire un personnage avec son ambivalence et sa noirceur, j’aime beaucoup ce cinéma. Quand j’ai commencé AnimalJe pensais beaucoup au premier film de Chloé Zhao, Les chansons que mes frères m’ont apprisesqqui portait directement sur cela, sur les gens d’une réserve qui remettaient en question leur situation. Elle a continué ce travail en Le cavalierAlors Pays nomade.

Je voulais juste te parler de Chien de la cassecar sans vous ce film n’aurait peut-être pas vu le jour. Lorsque nous avons rencontré Raphaël Quenard en 2023 pour Chien de la casseil a indiqué que vous aviez joué un rôle fondamental.

Emma Benestan :Ce sont deux garçons très talentueux. C’est drôle parce qu’on parle beaucoup de la relation entre les femmes et les hommes en ce moment, et c’est beau cette amitié entre les femmes et les hommes qu’on peut avoir. Avec JB, sur Chien de la casseon s’est beaucoup interrogé sur cette masculinité toxique, et aussi sur le personnage féminin.

Mirales (Raphaël Quenard) – Chien de la casse ©BAC Films

Raphaël est à l’origine un élève que j’ai eu en cours de théâtre à Mille Visages, il y a 8 ans. Il n’avait pas d’agent, rien. Son tout premier court-métrage, il l’a réalisé avec moi dans un atelier Mille Visages. J’ai toujours cru en lui parce qu’il avait quelque chose d’exceptionnel, c’est un garçon qui était et est toujours extrêmement curieux. Il a une passion et une envie folle d’apprendre. JB était au tout début de son écriture de Chien de la casseRaphaël essayait d’être acteur. J’ai servi de pont parce que c’était évident. Dès le premier traitement de Chien de casse, J’ai immédiatement pensé à Raphaël.

C’est une très belle histoire.

Emma Benestan : La vie est belle quand ça arrive comme ça ! C’est rare, il y avait une évidence. Peut-être que si je n’avais pas parlé à JB, ou si je n’avais pas parlé à Raph… Ils ne pouvaient pas forcément se trouver, parce qu’ils étaient chacun à leur place. A ce moment-là, ils essayaient tous les deux, mais ils n’étaient pas encore « visibles ». C’est une belle histoire, je suis vraiment contente pour eux deux, et je sais aussi qu’ils me sont très reconnaissants. J’ai fait le pont.

Pour mémoire, quand je me préparais FragileFinancé par JB Chien de la casseet il y avait presque un conflit d’horaire ! J’avais écrit le rôle de Raph dans Fragile pour Raphaël, donc cette situation était drôle. Finalement, il l’a tournée plus tard. Et j’ai pu dire à JB quelles étaient les tendances de Raphaël lors des prises de vue.

Je me sens entourée de réalisateurs de ma génération qui se remettent en question et veulent faire les choses différemment. On se soutient, on réfléchit ensemble au cinéma. Je pense qu’on n’y arrive jamais seule. Je peux parler de beaucoup de gens qui m’ont aidée dans mon parcours, qui m’ont mise en contact, qui ont cru en moi. Tous ensemble, on arrive à être plus exigeante.

Cette notion de « collectif » est-elle importante dans votre approche du cinéma ?

Emma Benestan :Il y a un documentaire que j’aime beaucoup, Trois amissur Alfonso Cuaron, Guillermo del Toro et Alejandro G. Inarritu. On les voit faire, passer d’un montage à l’autre, discuter de leurs versions… C’est extrêmement riche. Je me suis toujours identifié à des réalisateurs qui sont des « familles », comme Cassavetes, Rohmer, et aussi à des gens qui développent des amitiés, des liens épistolaires entre écrivains par exemple.

Nous nous nourrissons les uns des autres et il est bon d’être unis. Nous sommes dans une telle période… Quand j’enseigne le théâtre, je souligne que les amitiés que les élèves créent contribueront à ce qu’ils deviendront.

Au début j’étais monteuse, je travaillais avec Abdellatif et, comme j’adore lire, c’est en relisant les scénarios de mes amis que je suis devenue consultante, puis collaboratrice sur les scénarios. J’aimais ça et j’aidais les autres, puis à un moment on m’a demandé d’en faire plus. Et je suis devenue professionnelle comme ça. Le collectif est très fort, comme l’a souligné Michael Douglas lors de la cérémonie d’ouverture lorsqu’il a dit qu’un cinéaste est entouré d’une « armée ». Et je suis très émue de voir autant de monde dans les salles ici. Le cinéma rassemble les gens, et c’est très beau.

Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.

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