Depuis plusieurs mois, la Cour nationale du droit d’asile peut accorder l’asile à des déserteurs russes, qui ont fui la mobilisation partielle décrétée en septembre 2022 par Vladimir Poutine. À ce jour, 66 hommes et deux femmes ont obtenu le statut de réfugié dans notre pays, mais le processus est compliqué.
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Sacha* ne voulait pas se battre pour la Russie et il a trouvé refuge en France, sur la Côte d’Azur. A l’abri des regards, dans une petite pièce, les volets sont mi-clos, et pourtant il préfère garder ses grandes lunettes de soleil. « Je ne peux pas dire que je suis complètement en sécurité, même ici en France », il explique. Le jeune homme de 23 ans est méfiant et sur ses gardes depuis un an et demi. « La sécurité est meilleure ici, je me sens mieux. Mais, avec ces espions, ces mouchards, ça me rend un peu tendu. » En effet, les renseignements russes n’hésitent pas à assassiner des déserteurs, comme l’ancien pilote Maxim Kouzminov, abattu en Espagne en février 2024.
À l’hiver 2022, Sacha est convoqué au commissariat militaire. « On m’a menacé en me disant que si je ne me portais pas volontaire pour aller en Ukraine, eh bien, ils m’y forceraient », il explique. Sacha décide alors de prendre la route et de fuir son pays. Il part, direction la Turquie, puis la Bosnie et enfin la France. Il est libre, mais la liberté a un prix en Russie et c’est sa famille qui le paiera.
« Ma mère a été licenciée de son travail. Son patron lui a dit : ‘Tu es la mère d’un déserteur et nous n’avons pas besoin d’employés comme toi.’
Sasha, déserteur russesur franceinfo
Sa famille entière a subi son lot d’intimidations. « Mon père a reçu des menaces du commissariat militaire. Nous lui avons dit : ‘Si ton fils ne revient pas, c’est toi qui partiras à sa place’. Ensuite, ils ont menacé mon petit frère en lui disant que dès que à 18 ans, il devra se préparer à entrer dans l’armée », dit Sacha. Quant à ses amis, qui appartiennent comme lui à une minorité ethnique particulièrement ciblée par la mobilisation, beaucoup reviennent mutilés du front ukrainien.
Sacha est seul, ici en France. Il a obtenu l’asile en 2023, mais il vit de fortune. Il dort dans des squats, parfois même dans la rue. Il ne regrette cependant pas d’avoir quitté la Russie et il ne fait aucun doute qu’il mènera cette guerre en Ukraine. » Vous savez, si un autre pays avait tenté d’envahir mon pays, je n’aurais eu aucun problème à prendre les armes. il explique. Mais dans ce cas, envahir des terres qui ne sont pas les nôtres, tuer des femmes, des enfants, des personnes âgées et faire partie de cette armée criminelle, dans une guerre criminelle… Je ne pourrai pas vivre toute ma vie après.
Quitte ton pays pour toujours
Comme Sacha, Vlad* fuit la Russie et se réfugie dans le nord de la France. Il a 53 ans et dès le début de l’invasion russe de l’Ukraine, il a manifesté publiquement son opposition à cette guerre, ce qui lui a valu six mois de prison. A sa libération, il a reçu son ordre de mobilisation et a immédiatement quitté son pays.
« Je suis sûr que je ne pourrai pas y retourner parce que ce n’est plus la Russie. C’est une maison de fous maintenant et ce ne sera plus jamais pareil. »
Et Vlad confie : «C’est comme si j’avais quitté l’Allemagne nazie et qu’on me disait : « Tout va bien, tu peux revenir ».« . L’homme a également rompu les liens avec ses connaissances en Russie. « Il ne me reste qu’un ami là-bas, qui comprend tout et qui n’a pas perdu la tête. Les autres, c’est fini parce que sous l’influence de la propagande, ils sont devenus des zombies ». Il souhaite commencer une nouvelle vie ici en France et espère désormais trouver un emploi dans le bâtiment. En parallèle, il fait du bénévolat auprès d’associations humanitaires.
Statut de réfugié difficile à obtenir
Sacha et Vlad ont obtenu l’asile, notamment grâce à un assouplissement des conditions d’obtention du statut de réfugié. La Cour nationale du droit d’asile (CNDA) s’est en effet adaptée à l’actualité puisqu’en juillet 2023, s’agissant des crimes de guerre commis par l’armée russe en Ukraine, elle décide que les soldats récemment mobilisés peuvent obtenir une protection. La France a également accordé l’asile à 19 déserteurs de l’armée russe en 2024.
Ils doivent cependant apporter des preuves, ce qui n’est pas toujours facile, selon l’avocat Sylvain Saligari, qui a conseillé plusieurs requérants russes ces derniers mois. « Si vous ne disposez pas d’une convocation militaire, d’un livret militaire ou d’un document prouvant que vous avez réellement été enrôlé dans l’armée russe, vous pourriez avoir de grandes difficultés à convaincre les juges, il explique. Et quand vous fuyez votre pays, vous n’avez aucun document dans votre valise. »
Sylvain Saligari estime que la situation est difficile, car l’exigence de preuves est trop élevée de la part de la CNDA et de la part de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. De son côté, la CNDA répond à franceinfo qu’elle est obligée d’être exigeante puisque la mobilisation en Russie est partielle et ne concerne pas tous les citoyens. Les déserteurs doivent donc apporter des justificatifs et elle précise qu’un peu moins de la moitié des demandeurs finissent par obtenir le statut de réfugié.
*Le prénom a été modifié