Par
Léa Giandomenico
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Le Nouveau Front Populaire a gagné, de justesse, le dimanche 7 juillet 2024, mais pas de majorité absolue Le programme du syndicat de gauche n’est pas sorti des urnes à l’issue des législatives. Le programme du syndicat de gauche a néanmoins été mis à l’épreuve, dans l’attente de la nomination d’un nouveau gouvernement, et notamment les mesures économiques du NFP.
Parmi eux, l’idée d’augmenter le salaire minimum de 14%ce qui le ferait donc passer de près de 1400 euros net à près de 1 600 euros net par mois.
Une mesure phare, mais vivement critiquée par les opposants de gauche. D’un côté, le gouvernement et Les patrons voient un danger pour l’emploi dans les entreprises, alors que de l’autre côté, le NFP y voit plutôt un moyen de relancer la croissance et la consommation. Décryptage des raisons pour lesquelles cette mesure divise.
Une augmentation sans précédent
L’augmentation de 200 euros du Smic net mensuel (+14%), si elle est mise en œuvre, serait inédite depuis plus de 40 ans et les +10% accordés en 1981 par la gauche arrivée avec François Mitterrand à l’Élysée.
Un « choc » de pouvoir d’achat
D’abord, en augmentant le salaire minimum de 14% à 1.600 euros net par mois, le NFP veut provoquer un « choc » de pouvoir d’achat. Oui, mais comment ?
« Le pari des économistes du NFP est de dire qu’en augmentant le pouvoir d’achat, et notamment des classes les plus précaires, ils auront tendance à dépenser plus et à consommer plus ce coup de pouce que nous leur donnons », analyse pour actu.fr Léo Charles, enseignant-chercheur en économie à l’Université de Rennes II.
Si on donne 100 euros de plus à quelqu’un qui touche le SMIC, il en dépensera probablement 95. Si on donne la même chose à Bernard Arnault ou à Kylian Mbappé, ils ne dépenseront probablement rien et économiseront cette somme. On soutient le pouvoir d’achat de ceux qui ont un potentiel de consommation plus élevé. Donc si on consomme plus, on crée un cercle vertueux dans l’économie, avec plus de production, plus d’emploi, plus de croissance, etc.
« Ce n’est pas un pari très risqué »
Outre les bas salaires, cette mesure toucherait également les salaires plus élevés : elle est perçue comme un moyen de déclencher une véritable cercle vertueux dans l’économie.
« Ce que l’on sait, c’est que lorsqu’on augmente le salaire minimum, l’effet positif se propage. Potentiellement, les salaires supérieurs au salaire minimum vont aussi augmenter. Et même si les plus riches consomment moins de ce revenu supplémentaire, ils le dépenseront quand même. au moins, et contribuera également à accroître la croissance », explique encore Léo Charles.
L’économiste analyse cette mesure comme « un pari peu risqué », et cite des études menées depuis le début des années 2000, qui mettent en avant ces entreprises qui ont des problèmes de demande et pour lesquelles un « choc » de pouvoir d’achat et une hausse des salaires permettent de remplir ces carnets de commandes vides.
Et puis, ce serait aussi vertueux pour l’économie locale, car parmi les Français, les plus bas salaires sont ceux qui consomment le moins de produits importés, selon Léo Charles. « Avec ce coup de pouce, pas trop de risque de fuite. Non seulement on booste le pouvoir d’achat, et en plus, il y a de fortes chances que ce soit de la consommation locale. »
Et les répercussions sur l’économie peuvent être très rapides, car les entreprises vont se dire qu’avec cette augmentation du pouvoir d’achat, Il est temps d’investir, d’embaucher, explique l’économiste. Même s’il est difficile d’anticiper quand ce coup de pouce se fera sentir, Léo Charles évoque une durée d’environ six mois.
Risque de destruction d’emplois ?
Cela pourrait donc être une véritable aubaine pour les entreprises. « Lorsque la demande des entreprises augmente, elles embauchent », ce qui générerait 142 000 emplois, estime l’économiste Éric Heyer, de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Mais la droite et le patronat, plus largement, voient plutôt cette mesure comme un risque de destruction d’emploisPatrick Martin, président du Medef, l’organisation patronale française, a même déclaré : « Si nous voulons précipiter la faillite des entreprises, allons-y joyeusement. »
Car d’un autre côté, l’augmentation du salaire minimum renchérit le coût du travail pour les emplois les moins qualifiés, ce qui pourrait aussi dissuader les entreprises de recruter, et, dans le pire des cas, pousser les plus fragiles à fermer leurs portes.
Et c’est la première inquiétude du patronat : si les entreprises à faible marge « n’ont pas la possibilité d’augmenter immédiatement les coûts de vente, c’est fini pour elles », a réagi François Asselin, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), à l’AFP. L’Est républicain.
Risques « à court terme » uniquement
Et c’est effectivement un risque. Cette mesure devrait conduire à 29 000 pertes nettes d’emplois« Cela ne devrait pas être une bonne chose », a reconnu à l’AFP l’économiste Julia Cagé, engagée publiquement à gauche, citant un chiffre de l’OFCE. De son côté, le gouvernement a estimé à 500.000 les pertes d’emplois que cette augmentation des coûts engendrerait.
Mais le chercheur relativise : « C’est quasiment neutre » sur le plan macroéconomique – autour de 0,1 point de taux de chômage – ainsi que sur celui de la compétitivité, les entreprises exportatrices étant peu exposées aux bas salaires.
Pour Léo Charles, en effet, « il y a un risque, mais je crois que c’est un risque à court terme, et qui ne sera pas présent dans tous les secteurs. Ces pertes d’emplois à court terme seront compensées par une meilleure croissance, plus d’investissementetc. », anticipe le chercheur rennais.
Il souligne également que dans le programme du Nouveau Front Populaire, l’accent est mis sur l’accompagnement des petites entreprises pour faire face à ces augmentations de salaires en attendant que ce cercle vertueux s’installe.
Le NFP vise à aider les petites entreprises
Et pour cause, l’économiste Julia Cagé admet aussi que les TPE et PME risquent de ressentir la pression dans un premier temps. « Vous prenez la finance, elles ne souffriront pas du tout de la hausse du Smic car elles n’ont personne au Smic. En revanche, elles paieront une partie de la hausse des bas salaires qui touchera la coopérative qui vend des produits alimentaires », a illustré Julia Cagé, renvoyant la balle aux partenaires sociaux.
Léo Charles rappelle donc que le Nouveau Front Populaire vise à réduire la charge fiscale de ces petites entreprises« Nous les aiderons », a également déclaré à l’AFP la députée écologiste sortante Eva Sas, interrogée sur la question, évoquant des mesures de soutien financier aux PME et TPE.
L’argument est de dire oui, on augmente le prix du travail, mais on baisse les impôts (avec maintien de l’exonération des cotisations, prêts à taux zéro, etc.). Je pense que dans certains secteurs, ce sera compliqué. Mais les plus gros groupes qui en auront les moyens pourront aider les plus petits.
Augmentation du salaire minimum = inflation ?
En revanche, les économistes et les employeurs de droite anticipent avec une telle mesure une inflation future.
« Théoriquement, c’est un risque », admet Léo Charles.
L’augmentation du salaire minimum a conduit à l’inflation dans les années 1970 et 1980. Mais aujourd’hui ce risque est très limité car l’inflation que nous connaissons actuellement n’est pas la même que durant les années 1970 et 1980 : nous avions connu un choc pétrolier, des problèmes énergétiques, une boucle prix-salaires, etc.
L’inflation actuelle n’est pas monétaire, elle est tirée par les profits : certaines très grandes entreprises ont profité du Covid pour augmenter les prix, ce qui a alimenté la hausse des prix et c’était un véritable cercle vicieux.
Dans le contexte actuel, la hausse des salaires risque donc de ne pas avoir de réel impact sur les prix. « Nous avons les moyens de dire aux entreprises de ne pas augmenter les prix, de prendre sur leurs marges », ajoute le spécialiste.
Pour la droite, augmenter le salaire minimum encourage les chômeurs
Alors que de nombreux syndicats de salariés soutiennent un Smic à 1.600 euros, la CFDT se démarque, prônant une augmentation plus diffuse des salaires. « L’essentiel n’est pas seulement le niveau du Smic, mais aussi comment sortir du Smic ? Comment ne pas rester au Smic à vie ? », estime Luc Matthieu (CFDT).
Par ailleurs, la droite et le camp d’Emmanuel Macron se méfient de l’idée d’une augmentation du salaire minimum, et préfèrent plutôt réduire le montant de certaines prestations sociales.
« Ils considèrent que l’écart entre ceux qui sont au Smic et qui travaillent et ceux qui sont au chômage n’est pas assez important. Donc, ils veulent augmenter cet écart pour inciter les gens à aller travailler », pointe Léo Charles. Mais au lieu d’augmenter le Smic pour réduire cet écart, la droite et le camp d’Emmanuel Macron préfèrent « frapper l’assurance chômage, le RSA… »
Le NFP estime en revanche qu’il ne faut pas frapper encore plus durement les chômeurs et les plus pauvres. « Ils disent que l’augmentation des salaires va encourager les gens à retourner au travail. » Le parti de gauche ne veut pas précariser encore plus les personnes les plus précaires.
Avec l’AFP
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