L’amour sur la plage, ou plutôt sur la piste d’athlétisme, la piste d’escrime ou les tatamis. Les sportifs et sportives français de haut niveau ont accepté de parler de leurs relations amoureuses. Et d’en révéler les effets sur leurs performances. À moitié issu du monde sportif ou simplement « moldu », en référence aux non-sorciers de la saga Harry Potter ? Il appartient à chaque athlète de choisir son âme sœur parmi les sportifs de haut niveau, ou de préférer un partenaire aux talents très différents.
Lila*, membre de l’équipe de France d’escrime, a rencontré son petit ami en dehors du monde sportif, via les réseaux sociaux. Une façon de se rencontrer parfaitement anticipée.Je voulais être sûre de ne pas le croiser dans mon cercle d’entraînement ou dans le cercle des sportifs qui m’entourent. Je voulais avoir une vie privée vraiment séparée de ma vie sportive et professionnelle.« , justifie l’athlète, ravie de retrouver chez son compagnon « une bulle séparée sur laquelle se reposer » quand elle rate une compétition.
Pour Fabrice Allouche, préparateur mental et ancien triple champion du monde de kick-boxing et de boxe thaï, ce type de couple permet d’apporter « un équilibre en dehors du monde sportif qui peut être rafraîchissant pour l’athlète« Mais c’est aussi un risque à prendre avec une gestion d’emploi du temps différente, tant au niveau personnel que professionnel. »C’est une question de compromis et de patience.« , dit-il. Compromis, car les deux individus ne mènent pas forcément la même vie et cela peut avoir un impact sur leur relation.
« En tant que sportif de haut niveau, on vit des expériences hors du commun. On voyage beaucoup, et l’éloignement peut créer un sentiment de perte pour ceux qui ont une vie plus « classique » et restent à la maison. Il y a aussi beaucoup de rencontres, qui peuvent aussi créer du doute et de l’insécurité. »
Lila*, escrimeuse de haut niveauà franceinfo : sport
A l’inverse, le sportif de haut niveau est confronté à une certaine incompréhension de la routine métro-boulot-dodo de sa moitié.Par exemple, j’ai du mal à comprendre qu’il ait eu une mauvaise semaine parce qu’il a eu des problèmes avec les transports en commun à trois reprises. Nous n’avons pas le même stress quotidien« , illustre Lila.
Il se trouve que cette solution – vivre en couple avec un « moldu » – n’est même pas accessible à ces sportifs de haut niveau, qui vivent et évoluent principalement dans l’isolement. « J’avoue que je n’ai jamais regardé en dehors du monde du sport. Je ne me suis pas ouvert, on traîne toujours entre nous », concède la judoka Marie-Eve Gahié, en route pour Paris 2024 (-70 kg), en couple depuis trois ans avec un judoka de haut niveau.
« En partageant des expériences similaires, les partenaires peuvent se soutenir efficacement face aux défis spécifiques de la vie sportive. Ils comprennent les sacrifices nécessaires, la rigueur de l’entraînement et les exigences des compétitions », « C’est ce que vit Nathan Ismar. Le champion de France de saut en hauteur 2021 et 2022 partage sa vie depuis près de trois ans avec la sprinteuse Mallory Leconte, également membre de l’équipe de France. Être en couple avec un sportif de haut niveau facilite son travail, car ils ont les mêmes impératifs et obligations.
Avant Mallory Leconte, il partageait sa vie avec une femme sportive, mais ce n’était pas son activité principale. « C’était compliqué car il y avait beaucoup d’incompréhensions. Si j’avais un week-end tranquille sans compétition, elle ne comprenait pas que je voulais rester tranquille et me reposer. Je veux végéter, pas aller ici, là, au cinéma… et elle me faisait des commentaires. »
En 2021, la judoka Marie-Eve Gahié a décidé de mettre l’amour de côté pour se concentrer sur Tokyo. « Je ne voulais pas être en couple avant les Jeux parce que je ne voulais pas avoir à gérer ces émotions également », confie-t-elle. Mais les sentiments étaient finalement plus forts.
« C’est une fausse image du sportif de haut niveau qui compartimente toute sa vie et ne se laisse influencer par rien. On ne peut pas tout planifier. »
Marie-Ève Gahié, judokaà franceinfo : sport
Le judoka confirme que la vie de couple peut avoir une influence sur les performances d’un athlète. « Si elle traverse des moments difficiles, elle (la personne qui partage sa vie) peut devenir une source de distraction et détourner l’attention de l’entraînement et des compétitions », dissèque Fabrice Allouche. « On est assez intelligent pour calmer les choses s’il y a une dispute. Si c’est avant une compétition et qu’on ne trouve pas de terrain d’entente, on se dit qu’on en reparlera après. Mais parfois, il arrive qu’on ne puisse pas attendre et que ça explose », explique Marie-Eve Gahié.
Pour atténuer ces risques, Lila a très vite établi les règles du jeu, notamment concernant la gestion de ses émotions en période de stress. « Nous n’avons jamais eu de disputes avant une compétition car il sait que cela pourrait jouer en ma défaveur. Normalement, rien n’est censé nous faire dévier de la performance », raconte Nathan Ismar, qui avoue néanmoins avoir déjà vécu une relation dont la fin a eu un impact sur l’athlète. « Quand on s’est séparés, j’ai beaucoup mieux dormi, j’appréhendais moins d’ouvrir mon téléphone. J’avais la tête plus légère, dit le sauteur. Mon entraîneur m’a même dit qu’il se sentait plus détendu. Du coup, on a pu sauter un peu plus longtemps. »
Pour Fabrice Allouche, il est essentiel que l’impact d’une relation amoureuse, tant négatif que positif, soit pris en compte par ses participants. « Une rupture peut aussi être stimulante et motrice pour le sportif, qui va transformer cette colère et cette tristesse en détermination à réussir et à atteindre ses objectifs », analyse le préparateur mental.
Si Lila refuse d’être en couple avec un sportif de haut niveau, c’est aussi pour éviter les situations inconfortables, notamment en cas de résultats différents. « Quand l’un performe et l’autre non, on peut se sentir mal à l’aise. On va cacher un peu notre bonheur pour ne pas affecter l’autre, et il va falloir gérer les émotions négatives de notre partenaire, car on veut être là pour lui », énumère l’escrimeur.
La dynamique de la rivalité, « surtout si les deux athlètes évoluent dans le même domaine ou le même sport », C’est un paramètre à ne pas négliger non plus, précise Fabrice Allouche. Marie-Eve Gahié n’y voit que du positif et parle d’une concurrence très saine. « Quand j’ai été sélectionnée pour les Jeux de Paris en novembre, la première chose que mon partenaire m’a dite c’était : ‘Tu ne vas pas abandonner, ne crois pas que tu vas te reposer’elle se souvient. Mais c’est un esprit de compétition très sain qui me tire vers le haut. J’ai besoin de soutien, pas d’un concurrent. »
En 2021, alors qu’elle n’était pas sélectionnée pour les JO, elle avait pu bénéficier du soutien de son partenaire, lui aussi resté à quai en raison d’une blessure. Il s’agissait d’une oreille attentive, doublée d’une compréhension évidente de la situation.Nous avons eu des conversations très approfondies sur les raisons pour lesquelles je n’étais pas qualifié, sur ce qui n’allait pas et sur la façon de changer les choses à l’avenir. Il m’a vraiment aidé dans mon introspection. » « Le couple est une œuvre d’orfèvre », conclut Fabrice Allouche. Comme le sport de haut niveau.