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« Refuser une coupe de champagne est une erreur politique »

« Refuser une coupe de champagne est une erreur politique »

Alors que nous célébrons la « Fête du Champagne » ce 25 octobre, Le Figaro Vin a rencontré Franck Leroy, président de la région Grand Est et ancien maire d’Épernay.

« En tant que région, nous devons être aux côtés des acteurs économiques en général, c’est notre responsabilité« . Franck Leroy (ex-Horizons), président de la région Grand Est – où 36 % de la production agricole est issue de la viticulture – semble avoir un vrai et sincère tropisme vitivinicole. Amoureux du vin et de son terroir, en l’occurrence la Champagne, puisque ce natif du Pas-de-Calais vit dans la région depuis la fin des années 1980, jusqu’à devenir, en 2000, maire d’Épernay, « l’autre » capitale du champagne avec Reims. Depuis deux ans, il occupe la plus haute fonction régionale et défend volontiers la cause des vignerons locaux, difficilement épargnés par des contextes climatiques et économiques délicats. Particulièrement inquiet pour les vignerons de l’Aube, qui ont concentré tous les malheurs en cette année 2024, Franck Leroy y voit néanmoins «une capacité de résilience assez extraordinaire» parmi les acteurs de la vigne. « Car quand leur travail est gâché en quelques minutes parfois, par un phénomène climatique majeur, ils se remettent quand même au travail sans se plaindre, même si c’est difficile.« . A l’approche des fêtes de fin d’année, période clé pour la vente du champagne en France, et alors que nous célébrons la Journée Mondiale du Champagne le 25 novembre, nous l’avons rencontré.

VIN LE FIGARO. – Face à toutes les difficultés que rencontrent les vignerons, que fait la région Grand Est pour les aider ?

FRANCK LEROY. – Par exemple, il y a la formation, nous travaillons autour des lycées vitivinicoles et agricoles pour diversifier l’offre de formation car elle nécessite, compte tenu des phénomènes climatiques, de plus en plus de connaissances et de compétences techniques. Il faut donc élargir l’offre de formation, faciliter l’installation de nouveaux viticulteurs et développer des filières comme l’œnotourisme par exemple, dans lesquelles des investissements doivent être réalisés. La région contribue également à développer les exportations des vignerons en retard dans ce domaine. Les Champenois ont donc évidemment une longueur d’avance car le vin de Champagne s’exporte de plus en plus. Pour d’autres, c’est plus compliqué. Nous leur apportons donc un accompagnement et des diagnostics pour leur permettre de rechercher de nouveaux marchés. Telles sont quelques-unes des orientations qui peuvent être privilégiées au sein de la chambre d’une région.


Le mois de janvier sec est ridicule. Nous prétendons boire du vin.

Franck Leroy

Quel regard portez-vous sur la santé du Champagne ?

La reprise post-Covid a été assez incroyable par sa puissance et elle a fait avancer tout le vignoble. Des hausses de prix ont été réalisées, ce qui a permis de compenser la hausse des coûts liés à la guerre en Ukraine, à l’énergie, etc. Le vignoble champenois n’est pas le plus à plaindre. Il faut dire qu’il est aussi très organisé : le comité Champagne est une organisation unique au monde, c’est l’organisation interprofessionnelle la plus puissante et la plus tournée vers la recherche et l’innovation. Citons par exemple Qanopée, un projet dont l’objectif est de produire sous serre des plants de vigne les plus sains possibles afin d’assurer l’avenir du vignoble (lancé en partenariat avec les interprofessions de Bourgogne et du Beaujolais, NDLR). Cela démontre qu’il y a un côté visionnaire en Champagne. Ce sont des vins enviés dans le monde entier et avec lesquels tout le monde rêve de rivaliser. Mais ce sont aussi des vins qui doivent constamment avoir une longueur d’avance en termes d’innovation et de recherche.

Comment avez-vous vu évoluer le champagne depuis que vous êtes dans la région ?

Je vais retenir deux anecdotes. Dans les années 1990, on parlait pour la première fois de viticulture durable. Et lorsque le mot a été prononcé lors d’une conférence, les dirigeants du syndicat des vignerons se sont retirés sous les sifflets de l’assistance car personne n’avait compris l’intérêt d’une viticulture durable. Aujourd’hui, vous avez la même réunion, vous avez un millier de personnes dans la salle et vous entendez les épingles tomber, car tout le monde est extrêmement attentif à cette question du changement climatique. C’est l’une des mutations importantes que le champagne a pu opérer. Puis, lorsque je suis arrivé dans la région à la fin des années 80, le champagne était un produit générique. Nous parlions de champagne. Désormais on parle de champagnes au pluriel et on voit des vignerons ou des maisons diversifier leurs cuvées. Vous avez une richesse en termes de diversité qui est absolument exceptionnelle. C’est ce qui a stimulé l’envie de venir dans la région.

Et qu’avez-vous fait en tant que maire pour le soutenir ?

Concernant mon rôle de maire, il s’agissait évidemment de ne pas intervenir dans les affaires de la profession, même si j’ai toujours entretenu les meilleures relations possibles avec l’ensemble des professionnels. Mais j’ai par exemple participé à l’aménagement de l’avenue de Champagne. Nous avons créé le musée du vin de Champagne et d’archéologie régionale à Épernay, ce qui est une merveille. Je pense que nous avons apporté notre contribution. Et puis, un dernier exemple, que je m’attribue avec Maxime Toubart, président de l’Union Générale des Vignerons de Champagne : nous avons veillé, avec l’aide précieuse de l’actuel Président de la République, à ce que nous n’associions pas le Ministère de la Santé avec cette campagne sur Dry January qui est absolument stupide et qui laisse entendre qu’on peut boire autant qu’on veut pendant 11 mois et que pendant un mois on est dans l’eau. C’est absolument ridicule. Nous revendiquons le fait que nous buvons du vin, avec modération bien sûr, que nous le dégustons et qu’il doit être bu avec beaucoup de raison et de délicatesse. Car derrière le vin, il y a parfois, disons-le, une œuvre d’art. Et ça, il faut respecter et surtout ne pas passer d’un extrême à l’autre, de la surconsommation déraisonnable qui nuit à l’image du vin à la volonté de certains d’interdire le vin ou d’avoir une tolérance zéro. Boire un verre de vin au déjeuner ou au dîner n’a jamais tué personne.

Cette hygiène a l’air de vous agacer…

C’est insupportable. D’autant plus que ceux qui le revendiquent, j’en suis sûr, prennent un bon verre de vin lors des dîners entre amis. Personne ne me fera croire que ces médecins fonctionnent à l’eau du matin au soir. Il y a beaucoup d’hypocrisie. Le vin est une des fiertés de la France. Lorsque vous partez à l’étranger et parlez du vin français, vous ressentez de l’admiration dans les yeux de vos interlocuteurs. Nous n’avons pas à avoir honte de faire du vin en France, bien au contraire, nous sommes connus dans le monde entier, appréciés et admirés pour cela. D’ailleurs, je rends hommage à Emmanuel Macron qui est le premier à assumer depuis longtemps de boire du vin tous les jours. Quand il y avait des présidents qui refusaient une coupe de champagne parce que selon eux c’était un symbole de luxe ostentatoire, c’était une erreur politique. Je respecte leur goût, mais les vins ont besoin d’être aimés par leurs dirigeants, tout simplement parce qu’ils sont l’un des joyaux de l’art de vivre à la française.


En Champagne, on parle plus d’extension de l’aire d’appellation que d’arrachage.

Franck Leroy

L’État vous accompagne-t-il également dans le soutien à la filière vitivinicole du Grand Est ?

Pour échanger beaucoup avec les préfets de régions ou de départements, chacun est très attentif au monde du vin, d’abord parce qu’il fait partie de l’économie locale et parce que selon les territoires, ce monde souffre plus ou moins. C’est un secteur économique dont tous les acteurs étatiques locaux savent parfaitement qu’il s’agit d’un secteur sensible aux enjeux météorologiques, sanitaires et économiques, et parfois exposé à des difficultés importantes. En tout cas, je n’ai jamais vu un représentant de l’État ignorer les difficultés du monde vitivinicole.

On constate une énergie assez considérable de la part des grandes maisons pour développer un oenotourisme haut de gamme. Toutes ces dépenses sont-elles vraiment raisonnables à l’heure où la consommation baisse et où le contexte économique n’est pas très bon ?

C’est peut-être précisément une réponse à ce constat. Plus vous inviterez de personnes à venir visiter vos vignobles, plus vous en ferez des adeptes de la consommation responsable du vin. Parce que l’éducation au vin se transmet. Ma génération a eu la chance d’avoir des parents auprès desquels apprendre, mais aujourd’hui si vous n’avez pas cette éducation et que vos habitudes alimentaires vous amènent à privilégier les sodas, c’est sûr que pour venir au vin, il faut vivre une expérience un peu originale. Et je dois dire qu’en la matière, l’Alsace était avant-gardiste, car l’accueil à la propriété s’y est développé bien avant la Champagne. Le deuxième facteur important est que depuis le Covid on assiste au retour d’une certaine forme d’authenticité et le vin est authentique. On a donc assisté à une forte augmentation du nombre de séjours touristiques car je pense qu’une partie de la clientèle qui partait loin en vacances privilégie désormais des destinations plus locales, pour aller redécouvrir sa région. et ses richesses.

Et la région est-elle prête au cas où les vignerons seraient contraints d’arracher, comme cela se fait ailleurs ?

La question ne se pose pas pour nous. J’ai évidemment une pensée pour le vignoble du sud de la France, où l’on sait qu’il y a beaucoup de souffrance et où cela conduit parfois à des déracinements. La région Grand Est n’est pas dans cette situation car nous n’avons pas de volumes excessifs. Il y a parfois des problèmes de commercialisation en Alsace, dont les vins mériteraient d’être vendus plus chers. En Champagne, on parle plus d’extension de l’aire d’appellation que de réduction ou d’arrachage. Mais à long terme, si on n’était pas prudent, s’il n’y avait pas cette qualité d’analyse de marché et si on laissait tout le monde faire tout et n’importe quoi, on se retrouverait avec des problèmes comme l’a connu Bordeaux ces derniers mois.

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