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Réduire le stationnement dans les centres-villes ne nuit pas aux commerçants, bien au contraire

En mars 2024, des associations de commerçants ont saisi le Conseil d’État pour protester contre la future piétonnisation de la Presqu’île lyonnaise. Les mesures de ce type se multiplient en France dans une volonté d’apaiser les centres-villes pour les rendre plus agréables et réduire la pollution. Mais elles suscitent presque systématiquement une levée de boucliers de la part des commerçants qui y sont établis.

Déjà frappés par la concurrence croissante du commerce en ligne et des zones commerciales périphériques – qui se traduit par un taux de vacance commerciale (façades vides) en forte augmentation dans les villes françaises –, ils voient toute mesure visant à réduire la place de la voiture (piétonnisation, stationnement, etc.). ) comme une menace supplémentaire pour le bon fonctionnement de leurs entreprises.

Pour répondre aux difficultés du commerce de centre-ville, deux écoles se font face. La première, souvent prônée par les commerçants, consiste à faciliter la circulation et le stationnement des voitures dans l’espoir d’attirer une clientèle lointaine. La seconde propose au contraire de travailler sur l’ambiance urbaine, en reprenant de l’espace à la voiture au profit des piétons, en misant sur le fait que ces derniers seront plus nombreux à venir s’y promener et y consommer.

Sur ce sujet sensible où dominent les avis et les ressentis, peu d’études se sont penchées sur la mobilité des clients qui fréquentent les commerces de centre-ville pour objectiver le débat. Il en existe cependant quelques-unes, réalisées à Rouen, Lille ou encore à Nancy.

Tous mettent en avant les mêmes constats : la plupart des clients habitent à proximité des commerces, viennent majoritairement à pied et en transports en commun et souhaitent des espaces paisibles et un espace voiture limité. De leur côté, les détaillants surestiment systématiquement l’usage de l’automobile par leurs clients.

La plupart des clients habitent à proximité

L’idée selon laquelle les clients se rendent massivement au centre-ville pour y consommer, depuis la périphérie, est mise à mal par les études existantes : dans les grandes villes, 84 % des habitants du centre-ville achètent majoritairement dans cette même ville. centre-ville, alors que très peu d’habitants de la périphérie viennent faire leurs courses.

Ainsi à Lille, une étude de terrain que j’ai réalisée révèle que 63 % de la clientèle de centre-ville réside en intra-muros et 6 % en petite couronne, soit 70 % très proche du centre. Mêmes résultats à Nancy où 57% des clients vit en ville et à 89% en métropole, sachant que cette dernière est particulièrement compacte. A Nantes enfin, 53 % des consommateurs de centre-ville vivent en ville.

Dans les villes moyennes (de 10 à 100 000 habitants), on observe généralement une tendance similaire : seuls 25 % des habitants de la périphérie consomment majoritairement dans la ville centre.

La majorité des clients sont des piétons

Deuxième constat, la plupart des consommateurs au cœur des grandes villes s’y rendent à pied, mode de déplacement qui arrive généralement devant les transports en commun puis la voiture.

A Lille, la marche est le mode de déplacement pour 42 % des clients, les transports en commun 28 % et la voiture 21 %. A Nantes, ces parts s’élèvent respectivement à 27%, 38% et 21%. A Saint-Omer, qui ne compte que 13 000 habitants, près de 40 % des clients viennent à pied et 60 % en voiture. Si elle est minoritaire, la marche reste très présente.

Cette répartition modale apparaît très dépendante de la taille des villes : à Paris, 5 % des clients arrivent en voiture, alors que cette part est de l’ordre d’un tiers dans les villes autour de 100 000 habitants. Et même dans une ville comme Cahors, qui compte 20 000 habitants, seuls 45 % des clients des commerces de centre-ville s’y rendent en voiture, à égalité avec la marche.

Plus les villes sont peuplées, moins les clients se déplacent vers le centre-ville. | Document fourni par l’auteur

Les clients veulent un espace avec moins de voitures

Troisième constat, les clients estiment qu’un déclin du rôle de la voiture dans les centres-villes les inciterait à y consommer davantage. Dans plusieurs études, des propositions leur ont été soumises afin d’améliorer l’attractivité des entreprises dans les centres-villes : transports en commun, infrastructures cyclables, végétalisation, trottoirs plus larges, accès et stationnement facilités, etc.

A Lille, seuls 23% estiment que cette dernière modalité est prioritaire. Les trois quarts restant privilégient d’autres avenues. A Rouen également, la réduction du bruit et de la circulation sont saluées alors que seulement 20 % des réponses évoquent le stationnement.

Et même dans une ville comme Saint-Omer, où l’influence de la voiture est forte, seuls 39% citent l’accès et le stationnement comme mesure prioritaire. Autrement dit, même pour ceux qui viennent en voiture, ce n’est pas forcément le plus important… Ce qui, finalement, se comprend puisque tout consommateur (même automobiliste) devient à un moment donné un piéton pour accéder à son commerce.

Les détaillants surestiment leurs clients automobiles

Enfin, et c’est sans doute le constat le plus important pour comprendre le contenu des débats, des études révèlent que les enseignes surestiment largement la proportion de clients qui viennent en voiture. A cet égard, l’exemple le plus frappant est celui de Nancy, où les commerçants interrogés estiment que 77 % de leurs clients viennent en voiture : c’est en réalité le cas pour… 35 % d’entre eux. Ils imaginaient aussi que les piétons ne représentaient que 11 % de leurs clients, contre 39 % dans la réalité, et que 1 % s’y rendaient à vélo, tandis que les cyclistes constituent 13 % de leurs acheteurs.

Cette surestimation pourrait être observée dans de nombreuses autres villes. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que les commerçants craignent plus que tout les projets de réduction de l’espace réservé aux voitures.

Cette surestimation peut impliquer une part de bluff : surjouer le rapport de force dans l’espoir d’obtenir une compensation de la part de la municipalité.

Les raisons de ce biais sont diverses. En France, les commerçants font partie de la catégorie socioprofessionnelle qui a le moins recours à la mobilité alternative. Comme ils voyagent beaucoup en voiture, ils semblent calquer leur situation personnelle sur l’ensemble de leurs clients.

Autre explication de ce biais : les automobilistes sont généralement assez « grincheux » et expriment fréquemment leur mécontentement envers les commerçants concernant les conditions de circulation ou de stationnement. Nous avons tous entendu un client dire « on ne peut plus se garer dans le quartier » à peine la porte du commerce fut-elle ouverte. Les commerçants l’entendent cinq fois par jour.

A l’inverse, les piétons expriment beaucoup moins souvent ce type de gêne, même si les cheminements sur les trottoirs laissent souvent à désirer (présence d’obstacles, de poubelles… voire d’automobilistes garés sur le trottoir !).

Enfin, cette surestimation peut comporter une part de bluff : surjouer le rapport de force dans l’espoir d’obtenir une compensation de la part de la municipalité. A Madrid, les commerçants ont dénoncé une perte consécutive de chiffre d’affaires de 15% lors de la création d’une ZFE. Après analyse des données réelles, le chiffre d’affaires du quartier a effectivement augmenté de 8,6 % en un an.

Un chiffre qui invite à prendre du recul par rapport au discours marchand, et qui souligne la nécessité de mener des études préalables aux projets de transformation de l’espace public. C’est ce qu’a fait la ville de Cahors, qui souhaitait réduire l’emprise des voitures sur une de ses places : l’étude de terrain réalisée en amont a permis d’apaiser les craintes des commerçants.

« Pas de parking, plus d’affaires ? »

Même si les automobilistes sont minoritaires parmi la clientèle du centre-ville, leur poids n’est pas négligeable. Leur expulsion ne pourrait-elle pas entraîner une perte pour les entreprises ? La question semble légitime.

Il s’agit en réalité de rompre avec le cloisonnement entre piétons, automobilistes et usagers des transports en commun. Souvent, nous sommes tous les trois à la fois. La plupart des automobilistes déclarent venir parfois par d’autres moyens que la voiture.

A Lille, parmi les clients venant en voiture, seuls 13 % utilisent uniquement ce mode de déplacement pour venir en centre-ville. Autrement dit, 87 % d’entre eux empruntent parfois un autre mode de transport pour s’y rendre. La fréquentation du centre-ville a également bondi de 15 % après la piétonisation. Ce chiffre montre qu’en rendant l’accès en voiture – un peu – plus compliqué, la ville devient en réalité beaucoup plus agréable pour tous. Ce qui se traduit par une fréquentation accrue.

D’autres études ont été réalisées à l’étranger et montrent le même constat. En Espagne, quatorze villes (petites, moyennes et grandes) ayant mis en œuvre des projets de piétonisation ont été analysées. Ces projets se sont systématiquement accompagnés d’une augmentation significative du chiffre d’affaires, avec un effet encore plus fort dans les petites villes.

Aux États-Unis et au Canada, quarante-cinq études de cas réalisées sur des projets favorables à la marche, au vélo ou aux deux montrent le même constat. Dans 90% des cas, ils ont bénéficié aux entreprises, une très faible proportion de cas d’usage ont entraîné une baisse du chiffre d’affaires.

Rappelons enfin qu’il faut relativiser cette tendance. La réduction de l’espace automobile en ville est une problématique ancienne et les commerçants l’ont toujours combattue, faisant craindre « la mort du centre-ville ». Mais une fois les transformations opérées, elles ne sont jamais remises en question et on finit par se demander pourquoi on ne les a pas faites avant.

Mathieu Chassignet est ingénieur transports et mobilité à l’Agence de la transition écologique (Ademe).

Cet article est republié à partir de The Conversation sous une licence Creative Commons. Lire l’article original.

Ray Richard

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