Dans le comté de Luzerne, les partisans de Donald Trump avaient alimenté les craintes de fraudes massives avant le vote. De quoi inquiéter les autorités mercredi, même si aucun événement grave n’a été signalé.
Après avoir voté, Emilia se précipite vers son 4×4 avec sa fille. « Je préfère ne pas rester devant le bureau, on m’a dit qu’il pouvait y avoir des violences »se justifie la maman de 35 ans. Autour d’elle, les voitures vont et viennent en fin d’après-midi du mardi 5 novembre. Il est 18 heures et il ne reste que deux heures pour voter à Wilkes-Barre, la principale ville du comté de Luzerne, dans l’État clé de Pennsylvanie.
Sur le parking, John, professeur de mathématiques à la retraite, prend davantage son temps. « Toute la journée, je conduisais gratuitement les électeurs aux bureaux de vote. »explique-t-il en s’appuyant contre son pick-up noir. « Il y a de la bonne humeur, mais c’est vrai que les gens sont stressés, on voit la police à chaque coin de rue »dit-il.
Si la police est aussi présente, c’est parce que le risque de troubles a été jugé élevé par les autorités locales et fédérales. – surtout après les accusations de fraude émanant du camp de Donald Trump. « Ils ont été surpris en train de tricher ÉNORMEMENT en Pennsylvanie »a lancé le candidat républicain le 31 octobre à propos de ses rivaux, sur sa propre plateforme TruthSocial. « STOP À LA FRAUDE ÉLECTORALE »» a-t-il ajouté, sans préciser de quels faits supposés il voulait parler. Dans la même veine, Scott Presler, un fervent partisan de Donald Trump en Pennsylvanie et suivi par 1,7 million de personnes sur Instagram, a pointé du doigt le comté de Luzerne pour de prétendus ralentissements des inscriptions volontaires, comme le rapporte le journal local. Le leader du temps.
« Il y a toujours des gens qui disent des choses extrêmes, c’est dommage pour notre travail de longue haleine »réagit Richard Morelli, l’un des membres du bureau des élections départementales, rencontré en début de soirée au pied de l’immeuble où le décompte est imminent. Tout autour de l’enceinte en brique, du ruban jaune a été placé par le bureau du shérif local, qui a dépêché une dizaine d’agents. Des pierres ont également été installées « pour arrêter les voitures béliers ou les camions piégés »explique la direction départementale. Cet endroit fait partie des 80 comtés où le ministère américain de la Justice a dépêché des agents chargés de surveiller le vote et de recevoir d’éventuelles plaintes.
Pour Richard Morelli, qui se décrit comme « un républicain de toujours »les accusations venant de son propre camp sont certainement « embarrassant », mais s’expliquent par « le scepticisme croissant de la population à l’égard des élections ». « Le processus est long, épuisant et peut prêter à confusion »il tempère. « Je veux dire que des erreurs arrivent, c’est vrai, mais surtout pas qu’il y ait des fraudes parmi nous »proteste le gérant. Face aux accusations, le bureau des élections « il ne comptait pas ses heures » et joué la carte de la transparence autant que possible. Voire la mise en place d’un flux vidéo en direct montrant, jour et nuit, la pièce où sont stockés les bulletins de vote, afin de balayer tout soupçon de tricherie.
« Malgré les tensions, nous avons eu un taux de participation élevé »félicite Richard Morelli, tout en regardant nerveusement sa montre. A 20 heures, le vote se termine officiellement, et il faut s’assurer que la centaine de bureaux départementaux ont fermé leurs portes. Peu de temps après, les bulletins de vote papier sont arrivés dans toute la poubelle au bureau des élections, tout comme les données du vote automatique.
Quelques minutes plus tard, le processus est stoppé net. « On va évacuer la salle de comptage, il y a un souci de sécurité »alerte le shérif, sans donner plus d’explications. Un fonctionnaire insulte, un observateur électoral s’exaspère et parle de négligence. Il est récupéré tout aussi rapidement par un employé du comté. LE « inquiétude » se révèle rapidement être une alerte à la bombe, comme il y en a eu dans plusieurs bureaux en Pennsylvanie, mais aussi en Géorgie ce soir-là. Des emails de menaces ont notamment été envoyés aux autorités, souvent depuis des boîtes hébergées en Russie, comme le rapporte le FBI, la police fédérale, dans un communiqué.
Au bout d’une heure, et après le passage d’une brigade canine, l’alerte est donnée et les évaluateurs enfilent leurs gilets jaunes avant de reprendre leur travail, sous l’oeil bienveillant d’observateurs certifiés. Seuls les journalistes et les citoyens non enregistrés ont finalement été laissés à l’extérieur de la salle, pour des raisons qui n’ont pas été communiquées. Tout ce petit monde n’a d’autre choix que d’attendre devant l’immense télévision de la salle qui affiche les résultats au fur et à mesure du dépouillement des bulletins.
A quelques pâtés de maisons, des membres du Parti démocrate et des bénévoles s’accrochent également aux résultats, mais cette fois de tout le pays. Réunis dans le cadre d’un regarder la fête (une séance publique), une centaine d’entre eux ont les yeux rivés sur les multiples écrans diffusant trois chaînes d’information différentes. « Le principe c’est de regarder la télé, de boire un verre si on a envie et surtout, il ne faut pas s’endormir »résume l’un des participants, un cocktail à la main. La peur de rater le résultat final dans le pays est presque aussi grande que celle de voir l’autre camp gagner. A chaque annonce d’une victoire démocrate, des cris de joie éclatent dans tout le restaurant. Lorsqu’un État est remporté par Donald Trump, les huées sont encore plus fortes.
Peu avant minuit, les résultats sont tombés dans certains États importants. La Californie, l’Illinois et New York sont attribués à Kamala Harris, tandis que le Texas, la Floride et l’Ohio tombent entre les mains de Donald Trump. Surtout, deux États swing sont également remportés par le candidat républicain : la Caroline du Nord et la Géorgie. L’annonce fait frissonner le public. Quelques heures plus tard, la Pennsylvanie a également été cédée au milliardaire, le rapprochant un peu plus de la victoire.