Raymond Depardon décrypte ses images des JO
Depuis le 24 juin, huit photographies immenses, et parfois même des formats ultra-grands de 500 mètres carrés sur bâches, peuvent être découvertes dans les rues de Paris et autour des sites olympiques. Huit moments décisifs et décalés d’athlètes qui ont marqué l’histoire des Jeux Olympiques captés par Raymond Depardon. De son côté, Simon Depardon, avec son regard, dévoile également en grand format huit athlètes issus de la jeune génération, champions dans leurs disciplines, et en couleur.
Rencontre avec celui qui ne se définit pas comme un photographe sportif, mais un reporter aux aguets lors de ces grandes cérémonies, « ces stades bouillonnent d’énergie et de bruit ». A ses côtés, Simon Depardon, photographe et réalisateur qui a exploré des centaines de planches-contacts et d’archives à la recherche de ces clichés extraordinaires. La conversation commence. Ils parlent presque d’une seule voix.
Rencontrer Raymond Depardon pour parler de ses photos des Jeux Olympiques, c’est aussi revivre la seconde moitié du XXe siècle. Le photographe parle rarement de ses photos cultes, mais il a ce talent de conteur pour donner vie aux scènes qu’il a capturées. La modestie et l’humilité sont des qualités d’un homme qui sait regarder.
Pour Raymond Depardon, exposer ces huit photos prises sur des bâches et aux coins des rues de Paris est un honneur. « VSC’est très impressionnant de voir mes photos en si grand et c’est vrai que ça me rappelle la première fois que je suis venue à Paris en 1958, j’avais 16 ans et on m’a dit de prendre le métro. Mon patron de l’époque me l’avait dit : tu verras de grandes photos dans les couloirs du métro.
En regardant au coin de la place de l’Hôtel de Ville sa photo de l’athlète du 400 m Lee Evans, médaillé d’or au Mexique, il remarque : « Paris est une ville haussmannienne et du coup ces photos de sport donnent un air de fête, un régal pour les yeux, j’espère. »
Raymond Depardon a exposé dans les plus grands musées, les galeries les plus prestigieuses, mais la place de ses images est aussi ailleurs, dit-il.
« Il y a deux manières de regarder ces photos, soit avec un beau cadre, un beau cadre, une belle pièce mais elles n’ont pas été faites pour ça. Soit dans les journaux, car ils ont été faits pour être publiés en vignettes ou en pages entières. On s’est dit qu’on voulait les montrer dans l’espace public et gratuitement. Quelque chose de gratuit. C’est une idée de Simon, mon fils, qui gère mon compte Instagram (rires) et il dit qu’il y a vraiment de bons retours sur mes photos. »
Parmi les huit photos cultes, il y a Nadia Comaneci. Nous sommes à Montréal en 1976. « C’est une photo très importante pour moi. J’ai été le premier à faire Nadia Comăneci. » La jeune gymnaste roumaine n’a que 14 ans et 8 mois, elle est inconnue et la photo de Depardon va la faire entrer dans l’histoire, à une époque où la télévision n’est pas encore le média dominant. Depardon se souvient parfaitement de cette journée.
« Les matchs, vous savez, durent deux semaines et l’athlétisme dure dix jours, il faut s’occuper des cinq autres jours. Il y a des disciplines moins nobles, des lieux loin des dieux du stade, l’escrime ou la gymnastique… Comaneci, c’est vrai Je n’ai pas été déçu, je m’étais un peu préparé, j’avais acheté un 300 mm. Lors des précédents matchs que j’avais couverts, j’avais remarqué que les gymnastes des pays de l’Est avaient quelque chose donc à Montréal je me suis dit : j’ai. aller là.
Le 19 juillet 1976, du haut de 1,62 m, la Roumaine se lance sur la poutre. « C’est un gymnase qui n’est pas très éclairé, ce n’est pas aussi beau qu’un stade, il y a des juges à vos pieds, on ne peut pas s’approcher. J’ai regardé comment passaient les autres athlètes. J’avais donc mon 300 mm, ouverture 2,8 être au millième de seconde. (Un objectif perfectionné pour l’époque) J’avais calculé qu’à plus de 20 mètres, je devais capturer cet instant… Dans le sport, ce n’est jamais la même chose. En temps de guerre, malheureusement, les choses se répètent. Jamais dans le sport. Cette photo n’avait pas été prise à l’époque… Je ne savais pas que je prenais une photo historique. »
Simon Depardon poursuit et insiste sur ce qui est pourtant la prouesse photographique de son père qui ne prétend jamais avoir réalisé une photo historique : «Sa photo est donc prise au bon moment. Ce salto à la poutre, c’est à la toute fin de son passage, de sa performance et il n’est passé qu’une seule fois. Et c’est la première fois qu’un athlète obtient un 10 sur 10 et Raymond capte parfaitement cela. »
Raymond Depardon le répète à plusieurs reprises lors de notre rencontre. « Je ne suis pas un photographe sportif. » Avant les Jeux de Mexico, il a déjà parcouru le monde et les photographes de Magnum comme lui sont des observateurs des bouleversements qui secouent la planète.
Il se souvient qu’au Mexique « Les journalistes sportifs se plaignaient et ils disaient : le sport n’est pas la politique, ils étaient fous de rage qu’on mélange le sport avec la politique. Moi, avant les jeux j’avais photographié le Che avec son béret, je savais aussi que trois mois avant, Gilles avait photographié les manifestations au Mexique » (Gilles Caron, photographe Magnum).
Depardon sait que les Jeux seront le théâtre de revendications et de symboles. Pourtant, le photographe n’était pas là lorsque le 16 octobre 1968, Tommie Smith et John Carlos levèrent les poings gantés sur le podium. « Smith et Carlos font un vrai spectacle et la presse américaine a été prévenue, nous, Européens, n’avons pas été prévenus et nous ne les avons pas photographiés. Mais les athlètes noirs américains ont continué ce geste. Lee Evans remporte le 400 mètres et brise le record du monde Il a ce geste magnifique et ce jour-là, je suis là.
Simon ajoute : « Dans la photo de Lee Evans, il y a celle de Smith et Carlos, le combat des noirs américains. Raymond remet chaque jour son ouvrage sur l’établi, c’est aussi ça sa force : le travail. Entre Tokyo (1964) et Munich (1972), sa photographie s’est encore améliorée grâce à cet entêtement. »
Décrypter ces images des JO en compagnie de Raymond et Simon Depardon est aussi un moment plein d’humour. La vie d’un photographe est parfois semée d’embûches. En 1972, à Munich, il se dirige vers la piscine olympique. Un mythe de la natation restera dans l’histoire, mais ce n’est pas si simple à photographier.
Raymond Depardon mime la scène et son désarroi : «Tu vas à la piscine, tu regardes les nageurs et tu te dis, ho, ils ont tout le temps la tête sous l’eau (il fait la moue), il n’y a rien à photographier ». Et parfois, les souvenirs d’enfance sauvent le photographe. « Soudainement J’ai entendu : c’est maintenant le début des 4 fois 4 nages avec le papillon. »
Depardon mime cette nage avec de grands gestes de bras : « Ha le papillon, je sais, j’ai fait ça à l’école, le papillon il faut t’arracher la tête l’eau et j’ai décidé de photographier cet événement. Mark Spitz regarde la ligne de touche, J’avais plus ou moins vu qu’il regardait parfois la ligne suivante ; il n’a pas de rétroviseur dans l’eau.
Ainsi, le septuple médaillé d’or de Munich devient une image publiée dans le monde entier.
Celui qui, avec tant d’humanité et de discrétion en capturant les paysans cévenols, les fous de San Clemente, les tribunaux du quotidien ou les conseils des ministres, a presque conceptualisé l’échec dans la photographie sportive.
« Dans mes échecs, je parle aussi des échecs des athlètes, de leurs épreuves, de leurs échecs. Ces photos ne sont pas parfaites, elles ne sont pas inintéressantes, il y a plein de gens qui échouent aux JO. La deuxième, la troisième, la dernière. » . J’ai raté quelques photos mais ça devient bien plus humain que le podium, les hymnes, l’ambiance un peu amidonné comme aux Invalides ».
Fidèle à sa philosophie de photographe, il conclut en regardant ces athlètes franchir un dernier obstacle. « Je ne recherche pas toujours l’exploit. Sur cette photo du 3000 mètres steeple, il y a un groupe, il n’y a pas que le vainqueur, il y a le deuxième, et sûrement le dernier.
Raymond Depardon est avant tout un grand photoreporter. Ses images d’athlètes, qu’ils gagnent ou qu’ils perdent, portent la signature de son regard. Il faut l’imaginer à genoux au bord de la piste voulant montrer des athlètes qui ce jour-là ont rendez-vous avec eux-mêmes et qu’ils immortalisent à jamais. Les athlètes qui participeront aux JO de Paris comprendront ce que nous offre cet œil.
Instants des Jeux : 8 photographies noir et blanc de Raymond Depardon et 8 photographies couleurs de Simon Depardon à voir gratuitement dans les rues de Paris et autour des sites olympiques. 8 films sur les 8 photos réalisées par Simon Depardon sont visibles sur YouTube.