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Raqqa, dix ans après Daesh

Raqqa, dix ans après Daesh
Raqqa, l’ombre de Daesh.
Tohu Bohu Films

Dans la ville martyre, les habitants racontent leurs espoirs et leurs désillusions dans un documentaire poignant d’Hélène Lam Trong diffusé sur France 5.

Raqqa . Le nom de cette ville du centre de la Syrie sonne comme une malédiction. Raqqa, que le monde entier a découvert grâce à Daech et ses combattants au drapeau noir. Dix ans après l’instauration du califat, qui a terrorisé la population pendant trois ans avant d’être renversé militairement par la coalition internationale, que reste-t-il de cet ancien sanctuaire des jihadistes ? Comment cette ville multiculturelle autrefois prospère parvient-elle à se sortir de cette parenthèse mortifère ? Les baignades en rivière, les barbecues, le doux parfum des roses et des pâtisseries sont-ils un simple mirage, ou la garantie d’un retour à la normale ?

Pendant des mois, la réalisatrice Hélène Lam Trong a minutieusement enquêté, exhumé les archives et sondé les habitants de Raqqa pour décrypter non seulement la montée de cette monstrueuse organisation qu’est l’État islamique, mais aussi les séquelles qu’elle a laissées profondément au sein de la société. Avec la rigueur qu’on lui connaît, cette lauréate du prix Albert Londres 2023 (pour son film Daesh, les enfants fantômes) nous donne cette fois une leçon d’histoire contemporaine en rencontrant les acteurs politiques et sociaux de cette tragique séquence syrienne qui a achevé d’écraser les bourgeons du printemps arabe.

Vide politique

Car l’espoir est là, en 2011, quand toute une population se soulève pacifiquement contre la tyrannie de Bachar al-Assad. Mais la violence du régime, puis le désengagement de la communauté internationale, notamment celle des États-Unis, malgré les promesses de riposte en cas d’attaques chimiques, laissent peu à peu place à la désillusion et au vide politique, sur lesquels prospérera Daesh, d’abord. né en Irak.

Les débuts ont été discrets : distribution d’aide alimentaire aux familles, propagande religieuse et promesses de justice et de sécurité. Mais en janvier 2014, les jihadistes imposent leur influence en deux nuits. La musique, comme l’alcool, est interdite. Le tabac est interdit. Les femmes, invisibles derrière leur voile de prisonnière, risquent la lapidation en cas d’adultère. «  ISIS est venu détruire tous mes rêves. Je ne pouvais plus m’habiller comme une adolescente avec des jeans, des robes et des jupes. Je devais porter des capes, des niqabs et des gants », témoigne Joud, une jeune Raqqaoui, toujours hantée par le fantôme d’un pouvoir maléfique dont elle craint le retour. A l’époque, les combattants de la mort s’efforçaient d’imposer leur diktat sur la plus petite partie de Raqqa, tout en étendant leur réseau à d’autres villes, et en s’enrichissant grâce au racket, au pillage et aux ressources pétrolières. Dans ce fief jihadiste devenu laboratoire des attentats parisiens et symbole de terreur aux yeux du monde, certains chefs de tribus cèdent au pacte avec le diable, par crainte pour leur propre vie.  » La période n’était pas si mauvaise « , dit aujourd’hui l’un d’eux devant la caméra, visiblement en colère contre l’ampleur des bombardements de la coalition et l’abandon international de cette ville rasée à 80% et oubliée de tous.

Alors que la pauvreté sévit dans cette ville désormais administrée par une alliance arabo-kurde, la population est aujourd’hui prise en étau entre le régime de Damas, prêt à reprendre le contrôle de Raqqa, et les cellules dormantes des jihadistes. Sans compter, comme le souligne Hélène Lam Trong, la bombe à retardement que représentent les dizaines de milliers d’adultes et d’enfants qui croupissent en détention. «  Nous avons fait une révolution. Des gens sont morts. Si Bachar revient, nous aurons perdu treize ans pour rien « , s’alarme ce grand-père, parmi les huit protagonistes dont les témoignages, comme la puissance des images, font la force du film.

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