RAPPORTS. A Yssingeaux, où le Rassemblement national a battu un record aux élections européennes, « les gens ont majoritairement voté contre Macron »
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RAPPORTS. A Yssingeaux, où le Rassemblement national a battu un record aux élections européennes, « les gens ont majoritairement voté contre Macron »

RAPPORTS.  A Yssingeaux, où le Rassemblement national a battu un record aux élections européennes, « les gens ont majoritairement voté contre Macron »

Avec 41,1% des suffrages, le score de Jordan Bardella a quasiment doublé en cinq ans dans ce terrain traditionnellement acquis à la droite républicaine. Les raisons du vote RN sont multiples, entre précarité accrue et rejet de l’immigration.

« C’est fou, je n’ai pas beaucoup dormi et j’ai une centaine d’appels sur mon téléphone »s’exclame Jean-Charles Angevin, chef de projet du Rassemblement national en Haute-Loire. « Nous nous attendions à de bons résultats, mais pas aussi bons. » Dans ce département, le parti de Jordan Bardella a convaincu près de 38% des électeurs lors des élections européennes, loin devant le PS (11,7%) et la majorité présidentielle (11,3%). Symbole de cette percée de l’extrême droite, la commune d’Yssingeaux, 7.300 habitants, a voté à 41,1% pour le RN, soit vingt points de plus qu’aux élections européennes de 2019 et même douze points supplémentaires par rapport à la présidentielle de 2022. Il s’agit de la plus forte progression en France parmi les villes comptant au moins 2 500 suffrages exprimés.

Fief de l’ancien commissaire européen et figure de la démocratie chrétienne Jacques Barrot, la sous-préfecture de la Haute-Loire ne ressemble pourtant pas à un fief du RN. «C’est étonnant et surprenant pour une ville de centre droit»réagit Isabelle Valentin, la députée Les Républicains sortante, mardi 12 juin, en déambulant le long des nombreux commerces du centre-ville rénové. « Il fait bon vivre ici. Nous ne sommes pas mécontents »se demande aussi un habitant.

Dans cette petite commune située à 45 minutes en voiture de Saint-Etienne et à un quart d’heure de la première gare SNCF, Pierre Liogier, le maire de centre gauche, entend parfois ses électeurs se plaindre de la baisse des services publics, tel médecin généraliste non en cours de remplacement ou le manque de transports publics. « Mais nous ne pouvons pas dire que nous sommes enclavés. Nous sommes privilégiés, notamment en matière de santé. », assure la députée sortante Isabelle Valentin, qui habite la ville. La commune de 8 000 hectares, soit presque la taille de Paris, a même mis en place un service de navettes à la demande pour transporter les habitants.

Comment expliquer donc une telle montée au Rassemblement national ? « Les gens ont majoritairement voté contre Macron »répond aussitôt Pierre Liogier, assis dans son bureau à l’hôtel de ville, devant la feuille des résultats électoraux. « Il y a eu la crise des « gilets jaunes », la réforme des retraites qui commence à faire ses effets, la colère du monde agricole… Et puis surtout l’inflation. »

« Quand les gens ont payé le gaz, l’électricité et la nourriture, il ne reste plus grand-chose pour leurs loisirs. »

Pierre Liogier, maire d’Yssingeaux

sur franceinfo

« Nos compatriotes, évidemment, nous ont envoyé un message simple : leur vie ne s’est pas suffisamment améliorée », a concédé Emmanuel Macron lors d’une conférence de presse. Les Yssingelais ont tendance à parler de sentiment de déclassement. « On a du mal à vivre de notre salaire, on nous impose partout… C’est devenu difficile de faire beaucoup de courses »» confirme Nathalie, 50 ans, en finissant son repas dans l’une des boulangeries du centre-ville.

Yssingeaux a la chance de bénéficier d’un réseau associatif riche et diversifié pour venir en aide aux plus vulnérables. « Je constate une augmentation de la précarité, y compris chez les personnes âgées »» dit Gabriel, bénévole au Secours catholique, au milieu d’un amas de meubles récupérés à gauche et à droite. « Tout augmente et quand on a une petite pension, c’est compliqué. Nous distribuons 120 colis alimentaires par mois à 260 personnes. Nous avons beaucoup de femmes célibataires avec des enfants. »témoigne également Chantal, bénévole de la Croix-Rouge, au milieu du stock de vêtements et de nourriture collecté par l’association.

Pour beaucoup, le vote de dimanche ressemble donc plus à un geste d’humour qu’à un vote de soutien. « Les gens en ont marre, ils se disent : ‘On va essayer autre chose avec le RN' »estime un retraité de 65 ans, une baguette sous le bras, qui se dit abstinent depuis de nombreuses années. « C’est une sorte de rébellion. Les gens voulaient montrer leur ras-le-bol. »observe également un hôtelier. « Je pense que ce vote exprime des préoccupations nationales, avec une colère de la population, une morosité ambiante, une pression sur nos charges », ajoute Stéphanie, restauratrice du centre. Pour la première fois, ceci « petite-fille d’immigrés italiens » a décidé de voter pour Jordan Bardella lors des élections législatives du 30 juin.

« J’aimerais que la France retrouve un certain niveau, des valeurs, une certaine grandeur. »

Stéphanie, électrice du Rassemblement national

sur franceinfo

Comme partout en France, le vote RN apparaît comme un catalyseur de toutes les grognes, comme le confirme un sondage Ipsos. Mais pour expliquer les 40 % de Jordan Bardella à Yssingeaux, difficile d’ignorer le sujet de l’immigration. Au milieu des allées du marché de la ville qui se tient le jeudi, « on entend des discours de plus en plus durs » sur les demandeurs d’asile, assure Stéphanie. Depuis 2015, la ville dispose d’un Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada), situé à quelques pas du centre-ville. « Nous avons une quarantaine de personnes et quelques mineurs non accompagnés, mais nous n’avons pas de soucis »assure le maire.

Dans les rues d’Yssingeaux, ils sont pourtant nombreux à n’accepter pas cette nouvelle population. « Un jour, on ne sera plus chez nous. On a l’impression qu’ils ont tous les avantages. Au bout d’un moment, on en a marre »», se crispe Nathalie, qui a voté pour l’extrême droite pour la première fois dimanche dernier. Un peu plus loin, assis sur un banc, Christophe et Jean-Paul partagent le même agacement. « Avec l’immigration, les services sociaux sont saturés. personnes qui a besoin d’aide ne peut plus l’obtenir »estime Christophe, qui a voté RN pour « stopper l’immigration aux frontières européennes ». Mais il hésite à revenir du côté de LR pour les législatives.

« Autant la commune voisine du Chambon-sur-Lignon est une terre accueillante, autant ici les mentalités sont différentes et effectivement le Cada est inquiétant. »

Isabelle Valentin, députée LR sortante

sur franceinfo

« Il y a des jeunes (demandeurs d’asile), mais nous ne sommes pas vraiment concernés par l’immigration. Je pense que les locaux ne font que cracher les nouvelles nationales. C’est un fantasme. »tempère Stéphanie, qui souhaite néanmoins voter RN. « C’est la France profonde, le monde rural. Ceux qu’on appelle les « purs jus » (en référence aux petites montagnes d’origine volcanique appelées « jus »)ceux qui sont nés ici et qui ont peur des étrangers, de ceux qu’ils ne connaissent pas »» s’agace aussi un ancien conseiller municipal de gauche, qui préfère garder l’anonymat. « Et puis, quand on regarde certaines chaînes d’information en continu, on se rend compte qu’il y a un bouillonnement cérébral… On présente les choses de manière très anxiogène »poursuit Gabriel, retraité de l’Éducation nationale.

Derrière l’église, un petit panneau indique que Paris est à 549 km. Une distance qui n’effraie pas Laurent Wauquiez, bien décidé à revenir dans la capitale depuis la Haute-Loire. Le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes a décidé, en accord avec la députée sortante Isabelle Valentin, de se présenter dans cette circonscription aux élections législatives. « Chez nous, nous avons toujours favorisé les personnes ayant des étiquettes politiques »il espère lors d’une déclaration devant l’hôpital de la ville, comme pour conjurer les 40% du Rassemblement National. Il en a profité pour rejeter le « alliances » et le « petites combinaisons »après l’appel d’Eric Ciotti à une alliance entre LR et RN.

Laurent Wauquiez entretient un solide vivier de partisans à Yssingeaux, où l’extrême droite ne dispose pas de candidat naturel. « On va vite investir quelqu’un, ce sera normalement un ‘parachute' »assure Jean-Charles Angevin. « Une élection n’est jamais gagnée d’avance, mais en effet une législative ici est un vote local, et on aime connaître le candidat »rassure Isabelle Valentin.

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