« Quinze ans, c’est beaucoup trop tôt ! »… Comment éviter les ravages de la première gueule de bois ?
Je me souviens très bien de ma soirée de résultats du bac. Auréolée d’une mention « assez bien » inattendue, j’avais été autorisée à emprunter la petite Clio de ma mère pour aller rejoindre d’autres adolescents qui, comme moi, s’apprêtaient à quitter définitivement le lycée. Une soirée sans excès pour moi qui ne voulais pas prendre le risque de perdre un permis chèrement acquis un mois plus tôt. Autour de moi, l’alcool avait pourtant coulé à flot dans ce vieux blockhaus désaffecté où se déroulait la soirée. Sur le chemin du retour, un de mes amis (je ne le nommerai pas) avait même repeint la portière de la pauvre Clio avec son vomi (désolé, maman). Pas la première, ni la dernière.
Les années ont passé depuis, mais la tradition est restée. Le soir du baccalauréat, de nombreux lycéens vont sortir faire la fête pour fêter le premier diplôme de leur vie, et c’est normal. Parmi eux, un grand nombre vont boire de l’alcool, souvent massivement, parfois jusqu’au coma qui pourrait leur être fatal. Pour certains d’entre eux, ce sera la première fois. Ce qu’ils ignorent sans doute, c’est que cette ivresse peut avoir de graves conséquences sur leur santé.
Sociologue de formation, Guylaine Benech travaille depuis près de vingt ans sur le sujet des conduites addictives, notamment à l’alcool. Mère de trois enfants adolescents ou ayant été adolescents, la Rennaise a commencé il y a sept ans à écrire un livre très documenté, avec pour objectif d’aider les parents à parler d’alcool avec leurs enfants. Son titre ? Sa première gueule de boisun livre présenté comme un « manuel de prévention positive » qui offre de précieux conseils pour aborder le problème de l’ivresse. 20 minutes rencontré son auteur.
Existe-t-il un âge « idéal » avant lequel on ne devrait pas consommer d’alcool ?
La loi française interdit la vente d’alcool à tous les mineurs de moins de 18 ans. Par cohérence, on pourrait dire que c’est l’âge minimum. Mais si l’on voulait répondre en termes de développement cérébral, il faudrait attendre 24 ou 25 ans. C’est l’âge auquel l’humain atteint sa maturation cérébrale. Avant cela, le cortex frontal, la partie du cerveau qui nous permet de prendre des décisions justes et éclairées, n’est pas encore complètement câblé. C’est aussi pour cela que les jeunes sont très sensibles à l’alcool. En France, l’âge moyen de la première cuite est de 15 ans. Mais 15 ans, c’est beaucoup trop tôt ! Plus un jeune commence à boire tôt, plus il a de chances d’avoir un problème d’alcool dans sa vie.
Pourquoi les adolescents sont-ils plus exposés ?
Boire à l’adolescence n’est pas comme boire à l’âge adulte. Le cerveau n’est pas encore complètement formé. A leur âge, par exemple, le cerveau est moins sensible que celui d’un adulte à l’effet sédatif de l’alcool. Concrètement, cela signifie qu’il ne va pas se mettre en mode veille. En général, un adulte qui a trop bu s’endort parce que son cerveau se met en veille. Un adolescent, en revanche, reste éveillé plus longtemps. Il risque de continuer à boire et d’atteindre un taux d’alcoolémie très élevé et très dangereux. Autre différence : les adolescents sont beaucoup plus réceptifs à la récompense et sécrètent plus facilement de la dopamine (surnommée « la molécule du plaisir »). Le plaisir est plus intense, plus grand.
Mais alors, faut-il interdire à notre enfant de consommer ?
La jeunesse est belle parce qu’elle explore, elle transgresse. Mais nos ados ont encore besoin d’un cadre. On a le droit de leur dire que l’alcool avant un certain âge, c’est non. Si vous leur interdisez de boire de l’alcool, ils le feront peut-être mais ils auront tendance à se limiter. Ils garderont l’interdiction en tête. Des études montrent que les ados à qui on interdit de boire boivent plus tard et moins souvent. Ça marche. À leur âge, chaque verre de moins compte. Et chaque cuite de moins compte aussi. Cela peut leur sauver la vie. Six mois gagnés, c’est déjà quelque chose. Votre enfant doit aussi savoir qu’il peut vous appeler sans crainte à tout moment en cas de problème, même s’il a bu. Fixer le cadre, oui, mais en privilégiant la sécurité, avant tout, et le lien de confiance.
Il est difficile pour les parents d’interdire quelque chose qu’ils font eux-mêmes.
C’est vrai. Mais il faut que les adolescents comprennent que boire de l’alcool à 15 ans, ce n’est pas la même chose que boire à 40 ans. C’est aussi pour cela que les parents doivent communiquer. Les éduquer, les protéger, leur expliquer. Depuis qu’ils sont petits, nos enfants nous voient boire de l’alcool. Parfois trop. Il faut faire attention. S’enivrer, c’est comme se déshabiller. Si on le fait, c’est entre adultes consentants et pas devant les enfants.
Le rapport à l’alcool se construit dès la petite enfance. Et en France, on a tendance à penser que c’est cool de boire. Et que ce n’est pas cool de ne pas boire. C’est différent du tabac, par exemple. Les jeunes savent tous que fumer est dangereux pour la santé. Mais demandez-leur si l’alcool est dangereux. Dans les sondages, les mineurs disent que l’alcool est banal, inoffensif et indispensable pour faire la fête. Les adultes ne donnent pas toujours l’exemple. Il suffit de regarder Emmanuel Macron ou François Hollande descendre une bière d’un trait. On voit à quel point la consommation est devenue banale. Regardez toutes les publicités pour les marques de bière ou de spiritueux qu’on trouve à proximité des écoles. Le marketing incite à boire, et c’est purement scandaleux. D’autant qu’on sait qu’il contribue à ce que les adolescents boivent plus tard.
Vous accusez clairement l’État de ne pas en faire assez…
L’État ne fait quasiment rien, et c’est un scandale absolu, je le dis clairement. Il ne se passe pas une semaine sans qu’un médecin ne s’exprime pour demander des mesures concrètes de prévention. Si on l’avait fait il y a dix ou vingt ans, on n’aurait sans doute pas autant de problèmes aujourd’hui. En France, elle reste de loin la première drogue du viol. Et c’est elle qui fait le plus de mal à nos adolescents. Mais la France est le pays du vin. Il y a un lobbying très fort qui nous empêche d’avancer. Beaucoup de politiques ont peur de s’engager sur ces questions, de passer pour des hygiénistes ou de ne pas être cool.
Justement, tu n’as pas peur d’être perçu comme un rabat-joie ?
En addictologie, personne ne demande qu’on vive dans un monde sans fêtes. Je ne suis moi-même pas anti-alcool et j’en bois parfois. Ce que l’on veut, en prévention, c’est donner aux gens l’information qui leur permettra de faire des choix éclairés pour eux-mêmes et pour leurs enfants. On glorifie l’ivresse, on rit de l’ivresse, on fait la promotion de la consommation. En France, c’est compliqué de ne pas boire, il y a cette idée qu’on va être agaçant, comme le disait Léa Salamé à Arthus. Quand on ne boit pas, on vous demande toujours si vous êtes malade. Il ne s’agit pas de culpabiliser. En prévention, on ne juge pas. On parle, on dialogue, on informe. Ça ne sert à rien de parler de modération. Rien. Ce qu’il faut, c’est expliquer les dangers. Chez les adolescents, chez les femmes enceintes, chez nos aînés, chez tout le monde.
Quels conseils donneriez-vous aux parents qui voient leurs enfants partir fêter leur baccalauréat ?
Il faut d’abord fixer un cadre en convenant d’une heure de retour par exemple. Si vous venez les chercher à 1h du matin, fixez une limite. Vous savez qu’ils ne feront pas de bêtises avant de venir les chercher. Sinon, prévenez-les que vous ne dormirez pas à leur retour.
Au-delà du cadre, il est surtout important de prendre le temps d’en parler, de l’écouter et de voir ce qu’il attend. Il est important de savoir s’il sait où il va, avec qui et comment il rentre chez lui. De lui demander s’il va boire, de l’interroger sur ce qu’il va boire et s’il connaît les différentes étapes de l’ivresse. Il est important de lui rappeler de boire de l’eau, de ne pas partir le ventre vide, de ne pas associer l’alcool à d’autres produits, comme le cannabis par exemple et de ne pas quitter son groupe d’amis. Il ne faut pas lui faire peur. Il faut surtout qu’il comprenne comment fonctionne son corps. Dans le seul but de limiter les risques.
Qu’il sache réagir à une situation donnée. Sans paniquer. Ils sont jeunes. Parfois, ils se retrouvent confrontés à des situations qu’ils n’ont jamais vécues. Nos adolescents boivent parfois pour faire face à un sentiment de mal-être. On peut se sentir plus fort, plus drôle. Notre rôle de parents est de les aider à se sentir bien sans avoir besoin d’alcool. Il existe d’autres moyens de leur donner du plaisir en leur proposant de la musique, du sport, du temps avec eux. Comme pour toute drogue, il faut une substitution. Le plus important est d’en parler.
« Sa première cuite, manuel de prévention positive autour de l’alcool » (346 pages, auto-édité) de Guylaine Benech. Prix : 22 euros.