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« Qui sont les vrais écoterroristes ? »

Cette tribune a été signée par des militants qui défendent les victimes des armes chimiques, des militants écologistes et des personnalités du monde politique et syndical. La liste des signataires est ici.


Le 10 août 1961 débutait la première épandage aérien de produits chimiques par l’armée américaine pendant la guerre du Vietnam. Baptisés Agent Bleu, Blanc, Violet ou Orange, ces défoliants étaient largués sur les jungles du sud du Vietnam pour détruire le couvert végétal et débusquer les résistants vietnamiens qui s’y réfugiaient. L’Agent Orange, qui représentait l’essentiel de cet arsenal arc-en-ciel, contenait de la dioxine, responsable de dommages irréversibles sur la santé des populations exposées (Vietnamiens, Cambodgiens et Laotiens) ainsi que sur leurs écosystèmes.

Tératogène, la dioxine provoque de graves malformations chez les nouveau-nés, entraîne des fausses couches et de nombreuses maladies, comme les cancers et les leucémies. Lipophile, la molécule se conserve dans les tissus graisseux et se transmet ainsi de génération en génération. Stable et insoluble, elle persiste longtemps dans les milieux naturels, près de 50 ans après la fin de la guerre. Ainsi peut-on lire «  Zone contaminée à la dioxine » sur des panneaux près des anciennes bases américaines au Vietnam où étaient stockés les fûts. Ecocide, enfin, car l’utilisation massive de ces herbicides (près de 80 millions de litres entre 1961 et 1971) a conduit le biologiste Arthur Galston à théoriser l’écocide.

Un poison silencieux qui persiste

L’Association des victimes de l’agent orange et de la dioxine au Vietnam (VAVA) compte plus de 3 millions de personnes exposées à la dioxine. Près d’un demi-siècle après la fin de la guerre, cet empoisonnement de la vie continue de faire silencieusement des victimes. Alors comment faire entendre ces voix trop nombreuses et obtenir enfin justice ? ?

Aujourd’hui, l’espoir d’une reconnaissance et d’une réparation des dommages subis par la guerre impérialiste repose sur un procès : celui initié en 2014 par Tran To Nga au tribunal d’Evry contre quatorze entreprises ayant produit et vendu l’agent orange, dont Bayer-Monsanto, Dow Chemical et Hercules. Ayant la double nationalité franco-vietnamienne et victime directe des épandages, elle réunit les conditions nécessaires pour initier un tel procès, là où de nombreuses victimes vietnamiennes n’ont pas réussi à franchir les portes d’un tribunal. Après un arrêt le 7 mai de la cour d’appel de Paris, la décision sera rendue le 22 août.

L’enjeu de ce procès historique doit ouvrir la voie à la condamnation de politiques ou d’industriels responsables d’écocide. Au banc des accusés, on retrouve Bayer-Monsanto, un habitué des tribunaux puisque la firme agrochimique compte actuellement près de 40 000 procès dans le monde. Cette même entreprise est à l’origine du glyphosate, descendant de l’Agent Orange, une substance cancérigène qui extermine depuis des décennies toute forme de vie sur Terre, humaine et non humaine.

Lire aussi : Contre Monsanto, les pesticides et l’Agent Orange, la bataille juridique continue

Mais la résistance face à ce mastodonte s’organise. Parmi les victimes, Théo Grataloup, qui souffrait d’une malformation du système respiratoire due à l’exposition prénatale de sa mère au glyphosate. En 2018, il avait porté plainte avec sa famille contre Monsanto et Novajardin pour ces atteintes corporelles. La même année, aux Etats-Unis, le jardinier Dewayne Johnson, en phase terminale d’un cancer du système lymphatique dû à son exposition prolongée au produit, avait gagné son procès contre Monsanto et avait été indemnisé à hauteur de 289 millions de dollars (264 millions d’euros).

Les compagnies pétrolières sont également visées par des plaintes en raison des dommages environnementaux et sanitaires qu’elles causent. En février 2024, une procédure judiciaire a été ouverte au parquet de Nanterre à l’initiative d’une soixantaine de victimes yéménites contre l’entreprise française TotalEnergies.

Malformations, cancers…

Afin d’optimiser ses coûts, elle aurait négligé le traitement des «  eau de production » (eaux usées de la production pétrolière) dans le champ de Messila à l’est du pays, au mépris des normes de sécurité et environnementales, comme le rapporte une enquête de MarianneAu lieu d’être retraités, ils sont stockés dans des bassins extérieurs et s’infiltrent dans les nappes phréatiques qui alimentent en eau toute la région.

Dans cette zone contaminée par des marées noires, des enfants naissent avec de graves malformations, le nombre de cancers a explosé, car l’eau polluée contient des métaux lourds, des éléments radioactifs, etc. L’enjeu du procès est d’obtenir de l’entreprise des documents attestant de négligences dans le traitement des eaux de production pour, dans un deuxième temps, demander réparation des dommages subis.

Enfin, l’État français est également coupable d’empoisonnements dans ses territoires d’outre-mer. C’est le cas du chlordécone aux Antilles, un puissant pesticide dont l’usage a été interdit en métropole. Utilisé entre 1973 et 1992 contre le charançon du bananier, il induit des effets délétères sur la santé (90 % de la population est contaminée) et sur des milliers d’hectares de terres empoisonnées. Le procès des victimes de Guadeloupe et de Martinique a abouti à un non-lieu en janvier 2023. La décision de l’appel sera connue le 22 octobre.

David contre Goliath

Qu’il s’agisse d’eau polluée, de chlordécone ou d’agent orange, ces destructions de vie se déroulent dans un contexte colonial, touchant des territoires et des corps non occidentaux. Les procès en cours sont dignes d’un combat de David contre Goliath, puisqu’ils opposent systématiquement de puissantes multinationales, ou un État dans le cas du chlordécone, à quelques victimes civiles qui s’organisent en collectif. Le soutien populaire, associatif et politique, notamment apporté à Tran To Nga tout au long de son combat judiciaire, ainsi que leur couverture médiatique sont essentiels pour rééquilibrer ce rapport de force.

Combien de scandales de ce genre doivent-ils être révélés et portés devant les tribunaux pour que justice et réparation soient rendues ? Qui sont les vrais écoterroristes, ceux qui tuent les vivants pour le profit et ceux qui les dénoncent ? ? En cette journée de commémoration dédiée aux victimes de l’Agent Orange, le collectif Vietnam Dioxine, association militant pour l’écologie décoloniale, continuera de soutenir le combat de celles et ceux qui se battent, devant les tribunaux ou ailleurs, pour une interdiction définitive des pesticides, des armes chimiques, et contre les responsables.




Liste complète des signataires :

Micheline Pham, Nadège Abomangoli (députée LFI), Martin Benoît (UD CGT Paris), Annah Bikouloulou (Jeunes écologistes), Benoît Biteau (agriculteur et député écologiste), Marine Calmet (Wild Legal), Yahan Chuang (Ined), Malcom Ferdinand (Observatoire Terre-Monde), Sylvain Goldstein (CGT), Clémence Guetté (adjointe) LFI), Lilith (Coaadep), Léna Lazare (militante), Pascal Pascal Lê Phát Tân (CGT), Pierre-Charles Philippe (Lyannaj pou Dépolyé Matinik), Boris Plazzi (CGT), Sandrine Rousseau (députée des Verts), Azelma Sigaux (TOUR), Jérémie Suissa (Notre Affaire Commune), Marie Toussaint (députée Verte), Olivier Besancenot, Christine Poupin, Philippe Poutou, Pauline Salingue (NPA), Amel Chaibi (Dioxine Vietnam), Julie Ferrua, Murielle Guilbert (Union Syndicale Solidaires), Cannelle Fourdrinier (Coaadep), Ersilia Soudais (Députée LFI), Les soulèvements de la Terre.

légende

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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