Qui sont les passeurs qui organisent les traversées de migrants dans la Manche, où les naufrages mortels se succèdent ?
Alors que le nombre d’exilés victimes de naufrages entre la France et l’Angleterre ne cesse d’augmenter, franceinfo s’intéresse aux réseaux de passeurs, incriminés par les autorités à chaque nouveau drame.
« Quand il a une grosse montre, le dernier téléphone portable à la mode, un ton autoritaire et qu’il veut réserver pour le soir même, je me méfie », « Je suis un homme, je …
Le prix varie en fonction de la communauté du migrant souhaitant rejoindre le Royaume-Uni. « Pour la communauté kurde, les prix tournent autour de 2 000 euros, contre 3 000 « jusqu’à 4 000 euros pour la communauté syrienne. Pour les Soudanais, les prix sont plus bas »déclare Nikolai Posner, porte-parole de l’association Utopia 56. « Certaines communautés ne peuvent pas se permettre de payer la traversée, alors les passeurs baissent les tarifs pour qu’elles soient sûres de pouvoir traverser. »il explique.
Plus la traversée est chère, plus les migrants sont encadrés, continue ce membre de l’ONG qui aide les exilés : « La communauté thaïlandaise dépense entre 10 000 et 20 000 euros et sera accompagnée pendant la traversée. » À l’échelle mondiale, le trafic d’êtres humains est une activité lucrative.entre 4,7 et 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel, selon les données d’Europol, Agence européenne de police criminelle, datant de 2015.
« Ils ne se soucient pas de notre sort, ils veulent seulement notre argent »dénonce Lucky*, rencontré sur un quai de Calais à la mi-septembre. Ce Syrien de 28 ans a tenté de rejoindre le Royaume-Uni à bord d’une embarcation de fortune à cinq reprises en deux semaines. « Les passeurs nous ont mis 70 dans un bateau prévu pour 30 personnes, ils se moquent de savoir si des gens meurent »décrit le jeune homme, en colère. « À chaque fois, cela représente des milliers d’euros »il souligne en disant : « Les passeurs n’essaient pas de nous aider. » Sa dernière tentative s’est soldée par le naufrage du bateau, sans faire de victimes.
« Pour quelques milliers d’euros, ils sont prêts à sacrifier la vie de ces pauvres migrants »« Nous sommes très inquiets de la situation, mais nous ne pouvons pas nous permettre de nous en sortir », a également dénoncé Olivier Barbarin, le maire du Portel (Pas-de-Calais), au lendemain du naufrage le plus meurtrier de l’année dans la Manche, qui a fait 12 victimes. Ces propos s’inscrivent dans la continuité du discours tenu par les autorités à chaque nouvelle tragédie en mer.
« Parmi les personnes que nous appelons passeurs, nous trouvons des profils très différents. Il y a un spectre de personnalités »Nikolai Posner tient à apporter des précisions. Le terme de « passeur » en lui-même est imprécis. « Dans le « En droit international, on parle plutôt de trafiquants d’êtres humains »« Le trafic de migrants est défini dans un protocole : il consiste à faciliter l’entrée illégale d’une personne dans un État, en échange d’un avantage financier ou autre avantage matériel », insiste Thibaut Fleury Graff, spécialiste des migrations à l’université Paris-Panthéon-Assas.
Kamel Abbas, avocat au barreau de Lille, défend depuis des années ces trafiquants de migrants. Sur le banc des accusés, il retrouve principalement des Kurdes, des Irakiens, des Afghans et, plus marginalement, des Syriens devant les tribunaux du Pas-de-Calais. « Il s’agit essentiellement de « des petites mains ou des lieutenants qui finissent devant les tribunaux français »assure l’avocat, qui a traité des dizaines de dossiers de passeurs. Pour eux, la Les peines prononcées se veulent exemplaires et dissuasives : elles vont de deux à huit ans de prison, selon le degré d’implication dans le réseau, rapporte-t-il.
Les « petites mains » du réseau sont les escorteurs qui s’occupent du transport de personnes ou d’objets, ceux qui stockent le matériel nautique – souvent venant d’Allemagne – ou encore ceux quiIls font monter les gens dans le bateau avant de le mettre à l’eau. Beaucoup de ces « petites mains » prétendent être elles-mêmesles candidats à la traversée, le manque d’argent les obligeant à entrer dans le réseau pour la financer. « Nous n’avons pas il n’y a jamais assez de preuves pour le soutenir et tout le monde le dit, c’est un peu leur système de défense généralisé »l’avocat reconnaît.
Dans les camps de Calais, répartis sur plusieurs zones depuis le démantèlement de la « jungle », la présence de rabatteurs est également connue. Ils sont chargés de convaincre les migrants de partir avec eux, puis de former des groupes d’une soixantaine de personnes par traversée. Au risque d’entrer parfois en conflit avec des réseaux de passeurs concurrents opérant dans les mêmes zones.O« Nous trouvons des tentatives de meurtre dans ces dossiers, car les organisations se tirent dessus. »a noté Kamel Abbas dans divers cas. « Parfois, le La violence est également dirigée contre les futurs migrants pour les contraindre à payer ou pour éviter que les gens soient trop exigeants sur les conditions de la traversée. Contacté par franceinfo, l’Office de lutte contre le trafic illicite de migrants (Oltim), rattaché au ministère de l’Intérieur, n’a pas répondu.
« Les camps sont des zones de non-droit, il y a des armes, de la violence et une police qui ne fait rien d’autre qu’expulser les exilés. »
Nikolai Posner, porte-parole de l’association Utopia 56à franceinfo
« LE les lieutenants sont ceux qui se trouvent sur place, qui apportent le matériel nautique, qui collectent les sommes d’argent », poursuit l’avocat. Un rôle d’autant plus important que les migrants comptent régulièrement sur la solidarité de leurs proches à travers le « hawala », un système de paiement informel permettant de transférer des fonds d’un pays à un autre.
Les passeurs ont un une liste avec les noms des migrants, une copie de leur passeport et si les sommes demandées ont été versées ou non. « Ils tiennent des comptes en bonne et due forme et les envoient régulièrement. photos de ce document pour informer le responsable de l’organisation de l’avancement » opérations, détaille l’avocat, est devenu, par la force des choses, un spécialiste en la matière.
« Ce sont des organisations criminelles qui n’accordent aucune valeur à la vie et à la dignité humaine. »
Kamel Abbas, avocat au barreau de Lilleà franceinfo
Fin février, Europol a annoncé avoir démantelé l’un des plus grands réseaux de contrebande. « plus important »organisant des traversées de la Manche. L’enquête a révélé que le réseau pouvait organiser « jusqu’à huit départs par nuit », le prix des places sur le navire de fortune fluctue entre « 1 000 et 3 000 euros ». Au cours de cette opération, 19 personnes ont été arrêtées en Allemagne.
Mais les chefs de réseau, les « pontes », sont les grands absents des tribunaux français. « Ils sont soit dans leur pays d’origine, soit en Angleterre », Kamel Abbas avance. Pas pour longtemps, a promis la ministre britannique de l’Intérieur. Au lendemain du naufrage qui a fait 12 morts début septembre, Yvette Cooper a promis de lutter contre la « gangs de passeurs d’êtres humains » tant qu’ils ne seront pas démantelés. Une réponse insuffisante pour les associations, qui voient dans le développement d’une voie migratoire régulière et sûre le seul moyen de mettre fin à ces réseaux meurtriers.
*Le prénom a été changé