Les « brouteurs », ces escrocs ouest-africains qui tentent d’extraire de l’argent sur Internet, manipulent leurs victimes par le ressenti et l’émotion. Contrôle, menace, chantage, pression sont souvent très efficaces. Que sait-on de ce phénomène en pleine expansion ?
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En Côte d’Ivoire, on les appelle « brouteurs », en référence aux moutons qui se nourrissent sans effort dans le pré. Spécialistes de l’imposture, ils touchent leurs victimes jusqu’au cœur, se faisant le plus souvent passer pour des amants ardents. Les victimes, une fois prises dans leurs filets, font des choses irrationnelles comme donner toutes leurs économies ou contracter des prêts inutiles.
Il y a quelques semaines, le pire s’est même produit. Un homme, originaire du Pas-de-Calais, est allé jusqu’à commettre le meurtre de sa compagne pour rejoindre sa maîtresse rencontrée sur Facebook. En réalité, cette maîtresse était fausse et hébergée par un « brouteur » derrière un ordinateur, dans un cybercafé quelque part au loin. Franceinfo s’est penchée sur ce phénomène qui prend de l’ampleur, notamment depuis le confinement.
Faux policier ou faux « coup de cœur »
Il y a quelques semaines, notre reporter a reçu dans sa boîte mail une alerte d’Interpol, portant le sigle de l’organisation internationale de police criminelle, provenant de l’adresse police0nationale@gmail.com. Le « brouteur » l’a alors contactée sur son téléphone portable avec un numéro de téléphone français : « C’est la police d’Interpol, présente son interlocuteur dans un français approximatif. VVous êtes cité dans une affaire de cybercriminalité. Votre adresse email est signalée à plusieurs reprises sur des sites pédophiliques, sites qui sont condamnés », il continue.
« Vous risquez cinq ans de prison. Vous pouvez désormais payer cette amende : 4 978 euros. En conséquence, la police vous protégerait.
Un « brouteur » au téléphonesur franceinfo
Face aux doutes du journaliste, l’homme à l’autre bout du fil insiste : « Nous n’avons rien qui puisse vous arnaquer, vous avez toutes les informations, nous vous demandons de faire confiance. » Lorsqu’elle lui demande s’il l’appelle depuis la Côte d’Ivoire, l’homme s’énerve un peu : « Non, ce n’est pas de Côte d’Ivoire qu’on vous appelle bien sûr. C’est un numéro français. Il finit par lui raccrocher au nez lorsqu’elle lui demande combien il gagne grâce à son entreprise.
« Bonjour jolie dame comment allez-vous’ ? »
Ce type d’arnaque est de plus en plus courant. Mais celle qui a le plus progressé en 2023 par rapport à l’année dernière est la fraude sentimentale, +91%, selon le site Cybermalveillance.gouv. Véronique Paumard, 57 ans, originaire d’un petit village de la Sarthe, en garde un souvenir amer. Employée dans la restauration scolaire, peu habituée aux réseaux sociaux, elle a donné, en seulement trois mois, 8 450 euros à un arnaqueur sur Instagram, l’intégralité de ses économies des dix dernières années.
Il détaille le mécanisme de préhension. « Quand Philippe m’a contacté sur Instagram, il m’a écrit : ‘Bonjour belle dame, comment vas-tu’ ?elle dit. J’avais certainement besoin de communiquer avec quelqu’un, donc j’avais besoin de ces mots, de son attention, ça me rassurait. Alors quand après 10 heures quelques jours, il a fait sa première demande d’argent, je n’ai pas pu résister. Il a été toute ma vie en l’espace de quelques jours. »
« Même si j’avais des doutes, j’ai décidé de croire à cette belle histoire. »
Véronique, victime d’une arnaque aux sentimentssur franceinfo
La méfiance de Véronique, bien qu’existante, ne pouvait prendre le dessus. « Philippe, pour me rassurer, m’a appelé le lendemain. J’entendais qu’il avait un fort accent africain, je lui ai dit et encore une fois, il m’a tordu la tête en me disant que c’était sa voix portugaise et je pense que ça convenait effectivement. moi bien, de rester dans le déni. » confie-t-elle. Quelques mois plus tard, Véronique a finalement porté plainte contre lui, avant qu’il ne revienne, sous son vrai jour. Il lui a dit qu’il était ivoirien et qu’il escroquait les femmes depuis l’âge de 12 ans.
Déposer une plainte le plus rapidement possible
Combattre ces cybercriminels, hors de nos frontières, est très compliqué, confie la commissaire Sophie Robert, chef de la brigade de répression de la délinquance astucieuse (BRDA), spécialisée dans ces dossiers : « La plupart des escrocs sont à l’étranger, Côte d’Ivoire, Nigeria, Bénin, mais jamais sur le territoire français. Car en France, il y a toujours le risque d’être identifié et arrêté. Il est donc très difficile de les arrêter. Comme les escrocs utilisent des numéros de téléphone « on-off », qui permettent de faire apparaître des numéros d’origine française, ils échappent à toute détection.. « Le combat doit donc passer par la coopération judiciaire internationale, qui est parfois longue ou difficile avec ces pays », déplore le commissaire. Souvent, ce sont des intermédiaires qu’on arrive à identifier, alors qu’il y a des intermédiaires en France. »
Outre les intermédiaires, il peut aussi y avoir des complices : attention aux fraudes excessives. Les complices du « brouteur » peuvent en effet se faire passer pour des policiers et exiger à nouveau de l’argent pour lancer l’enquête. Depuis le confinement, ces arnaques sont devenues de plus en plus nombreuses. Certains ont même donné jusqu’à un million d’euros. « Nous avons vu des dossiers de personnes qui ont investi toutes leurs économies, raconte Sophie Robert. Certaines victimes contractent même des crédits à la consommation, pour rembourser l’argent à la personne en face d’elles.
« Certaines victimes sont tombées dans la dépression et certaines se sont peut-être suicidées. »
Sophie Robert, chef de la Brigade pour la répression de la délinquance intelligentesur franceinfo
Seule la prévention fonctionne, estime la commissaire Sophie Robert. Vous devriez également essayer de déposer une plainte le plus rapidement possible. Depuis deux ans, il est possible de le faire directement en ligne, sur la plateforme Thésée. Dans ce cas, vous pouvez espérer récupérer votre argent.