Jean-Martial Lefranc attend patiemment son heure depuis des semaines. Depuis le lancement de Marianne Mi-avril, le Lillois de 62 ans a informé le groupe CMI, détenu par le magnat tchèque de l’énergie, Daniel Kretinsky, qui est également créancier de Libérerson intérêt pour le rachat de l’hebdomadaire souverainiste. Son offre a longtemps été jugée trop fragile financièrement par CMI et les salariés de Mariannesurtout comparé à celui du milliardaire Pierre-Edouard Stérin, en pole position sur ce dossier jusqu’à un revirement spectaculaire de la rédaction fin juin. Après avoir abandonné les discussions avec l’homme d’affaires proche du Rassemblement national, Jean-Martial Lefranc est revenu dans le jeu, au point d’obtenir l’ouverture de négociations exclusives avec CMI ce jeudi 18 juillet pour le rachat du magazine. Marianne constituerait alors certainement sa plus notable acquisition à ce jour, l’homme n’étant pas un novice dans la presse.
Du jeu vidéo au cinéma
Diplômé d’un Master en droit de Sciences-Po Paris, Jean-Martial Lefranc, touche-à-tout, a partagé sa carrière entre le cinéma, les jeux vidéo et les médias. Des passions qu’on retrouve dans sa holding Financière de Loisirs, société éditrice de plusieurs magazines spécialisés. Parmi ces titres qui n’ont rien à voir les uns avec les autres, on peut également repérer Bœuf! axé sur la viande, le cinéma mensuel L’écran fantastique ou Collection de jeux rétropour les nostalgiques des jeux vidéo old-school. Dès la fin des années 80, Jean-Martial Lefranc s’intéresse aux médias, prenant notamment la direction de l’antenne de la très éphémère chaîne TV6. Plus récemment, en 2018, il est également président du syndicat des éditeurs de presse indépendants (SAEP).
Ses débuts entrepreneuriaux remontent pourtant à 1992 : Jean-Martial Lefranc se lance alors dans la production et la conception de jeux vidéo. Un pari réussi. Sa société Cryo Interactive Entertainment entre à la Bourse de Paris en 1998. Passé par une bataille juridique avec Canal + au sujet de la création d’un « Second Monde » basé sur les CD-Roms (une sorte de métavers des années 90), Jean-Martial Lefranc lance également une filiale, baptisée Cryonetworks, destinée à exploiter l’activité de jeu en ligne. Il s’associe même, au tournant des années 2000, avec Bac Majestic, producteur et exploitant de salles de cinéma. Financièrement fragile, Jean-Martial Lefranc s’en sort finalement en vendant Cryo en 2002. Cela lui permet de rebondir, cette fois dans le monde du cinéma. En plus de produire des longs métrages, cet admirateur de Costa-Gavras s’essaie à l’écriture et même à la réalisation, notamment avec L’équilibre de la terreur en 2006.
« Créativité constante »
Dans les médias, il tente son premier grand coup en 2008. Jean-Martial Lefranc fait partie des candidats qui veulent racheter LE Cahiers de cinéma au groupe le monde. Sans succès. Il se console donc, un an plus tard, en rachetant (toujours au même groupe) l’éditeur jeunesse Fleurus presse. Baisse des coûts d’impression, réduction drastique des effectifs… Jean-Martial Lefranc restructure en profondeur l’éditeur puis réalise une plus-value en le revendant quelques années plus tard, en 2015, au groupe Unique Heritage Media. Un virage qu’il aimerait réitérer avec Marianne ? Son offre, portée à 8,5 millions d’euros, est soutenue par plusieurs investisseurs : Philippe Corrot, fondateur de la licorne Mirakl, éditeur de plateformes de marketplace, Henri de Bodinat, ancien patron de Sony Music et du Club Med, qui a également relancé le magazine Actuel avec Jean-François Bizot en 1979, et enfin avec l’homme d’affaires trentenaire Joan Beaufort, qui a fait fortune dans le marketing numérique et les jeux vidéo.
« Le meilleur gage de pérennité d’un titre de presse est de mettre en œuvre la pratique que je poursuis depuis près de vingt ans dans ce domaine : un respect scrupuleux de l’ADN du titre et une créativité constante dans l’évolution de son modèle économique », écrivait Jean-Martial Lefranc dans un courriel adressé à la rédaction fin juin. Son offre serait ainsi assortie d’un non-remplacement des journalistes partants grâce à la clause de cession (mécanisme propre à la presse qui autorise les journalistes à quitter l’entreprise avec indemnité en cas de changement d’actionnaire). De quoi inquiéter les salariés du magazine : Jean-Martial Lefranc, « Ce serait plutôt bon pour l’indépendance de Mariannemais dangereux pour sa survie économique », un employé a récemment expliqué.