Qu’est-ce qu’un gouvernement technique, cette sortie de secours pour Emmanuel Macron en cas de revers aux législatives ?
En l’absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale, les futurs gouvernements pourraient faire face à des motions de censure. Le chef de l’Etat pourrait constituer un gouvernement technique.
Les résultats des élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet pourraient conduire à une cohabitation… ou à l’émergence d’une majorité incertaine. Selon la dernière enquête Ifop-Fiducial auprès de LE Figaro, Sur LCI et Sud Radio, le Rassemblement national recueillerait 36 % des voix (soit entre 220 et 260 députés), le « Nouveau Front populaire » est donné 29,5 %, tandis que le camp présidentiel n’affiche que 20,5 % des voix. Aucune majorité claire ne se dégage à ce stade de ces projections.
Emmanuel Macron devra cependant tenir compte du contenu des résultats électoraux pour désigner un nouveau Premier ministre, qui doit traditionnellement être adoubé par la majorité parlementaire. Ce dernier nomme alors un gouvernement. Mais l’absence de majorité absolue, fixée à 289 députés, pourrait provoquer une instabilité institutionnelle, avec la multiplication des motions de censure qui feraient tomber un gouvernement issu de l’une des trois principales forces politiques non majoritaires.
Un Premier ministre consensuel
Pour éviter cette situation, le chef de l’Etat pourrait se tourner vers une autre solution : un gouvernement technique. Concrètement, Emmanuel Macron serait amené à nommer un Premier ministre consensuel, qui composerait un gouvernement de hauts fonctionnaires. « Cette solution permet aux partis politiques de s’engager à ne pas renverser le gouvernement. Le message n’est pas d’ajouter le chaos au chaos. C’est une solution de repli quand on ne peut pas prendre le pouvoir. », explique Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris II Panthéon-Assas. Les gros blocs de l’hémicycle auraient ainsi « une forme de responsabilité ». « D’un point de vue rationnel, les partis ont intérêt à adopter ce type de comportement et à ne pas renverser ce gouvernement neutre »poursuit Benjamin Morel.
Un gouvernement de technocrates au profil transpartisan serait le contraire de ce que nous avons observé jusqu’à présent. Il serait ainsi impossible d’y voir des profils très partisans, voire même des membres du parti. « société civile »comme cela a pu être le cas par le passé avec Bernard Laporte au Secrétariat d’Etat aux Sports en 2007, Nicolas Hulot au ministère de l’Ecologie en 2017 ou encore Éric Dupond-Moretti à la Chancellerie en 2020.Vous n’avez pas besoin de quelqu’un qui incarne quelque chose. » insiste le constitutionnaliste.
Mais un écueil majeur pourrait se dresser devant le gouvernement : le vote du budget annuel. Cette composante constitue toujours « un signal politique très fort », explique Benjamin Morel. En cas de blocage, l’exécutif pourrait activer l’article 47 de la Constitution, déjà utilisé en 2023 par l’ancienne Première ministre Élisabeth Borne, qui permet d’adopter tous les textes budgétaires en limitant la durée des débats afin de « pour encourager les parlementaires à respecter les délais ». En cas de blocage, l’exécutif pourrait adopter automatiquement le budget par ordonnance, mais s’exposerait alors à une motion de censure de l’Assemblée.
Du jamais vu en France
Il n’y a jamais eu de « gouvernement technique » en France. Des exemples proches existaient, mais étaient plus proches d’une union nationale. « Il y a eu une union tripartite entre 1944 et 1946 au début de la IVe République, et une autre entre 1959 et 1962 où tous les partis sont entrés au gouvernement ». Mais rien de comparable à un gouvernement technique, comme celui mis en place en Italie.
Chez nos voisins transalpins, Mario Draghi, l’ancien président de la Banque centrale européenne (BCE), a été nommé premier ministre en 2021 après de longues semaines de crises politiques et économiques liées à COVID-19[feminine. A la fois économiste, banquier et haut fonctionnaire, son profil a été choisi pour apaiser les marchés financiers, permettant ainsi à son pays de retrouver une relative sérénité de février 2021 à octobre 2022.
Si l’harmonie affichée par les grands partis italiens a duré plus d’un an, le temps de mettre en place un plan de relance économique, certains partis ont profité de cette coalition pour émerger. Fratelli d’Italia, dirigé par l’actuelle Première ministre Giorgia Meloni, ouvertement critique à l’égard du gouvernement, a vu son score exploser aux législatives de 2022 : 25 % des voix, alors qu’il culminait à 4,35 % des voix en 2018.
Il est toutefois peu probable que cet exemple italien s’applique à la France, estime Benjamin Morel. « Meloni l’a fait parce qu’elle avait la liberté politique de le faire, il assure. Le RN, avec le groupe qu’il aura, sera très certainement obligé de soutenir ce gouvernement technique. Ils ne sont plus marginalisés comme Meloni. Cette situation temporaire pourrait durer « Peut-être pas trois ans, mais probablement pour un certain temps ».