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Qu’est-ce que le « sédévacantisme », ce mouvement catholique qui accuse les derniers papes d’« hérésie » ?

► Qu’est-ce que le « sédévacantisme », et pourquoi ce mouvement est-il récemment revenu sur le devant de la scène ?

En Espagne, l’affaire du « schisme de Burgos » a défrayé la chronique ces dernières semaines. Dans le nord du pays, une dizaine de clarisses du village de Santa Clara (Castille et León) risquent d’être excommuniées vendredi 21 juin par un tribunal ecclésiastique – à moins qu’elles ne reviennent lors du procès, sur leur position schismatique. Sur fond de bras de fer immobilier avec la hiérarchie de l’Église locale, ce différend ecclésial s’est progressivement transformé en un différend plus profond, de nature idéologique, avec Rome.

« Le Vatican est une farce » où régnerait « Chaos doctrinal », « nous ne reconnaissons pas le pape »… Après avoir annoncé le 13 mai dans un manifeste de 70 pages leur rupture avec l’Église, et depuis avoir multiplié les attaques contre Rome dans la presse, les religieuses ont indiqué qu’elles se placeraient sous l’autorité d’un prêtre excommunié depuis 2019 : Pablo de Rojas Sanchez. Franco. Fondateur du « Pieuse union de l’Apôtre Saint Paul »ce religieux se présente comme « évêque » depuis son « ordination » par l’Église dissidente de Palmar de Troya en 2005. Il prétend être « sédévacantisme »un courant qui considère tous les papes qui ont succédé à Pie XII (1939-1958) comme des hérétiques modernistes et considère donc que le Saint-Siège est vacant.

► Quels sont les fondements et les contours idéologiques de ce mouvement schismatique ?

De l’expression latine siège vacant – « le siège (étant) vacant » – cette opinion religieuse dissidente s’enracine dans le sillage d’un article publié en août 1971 par le théologien mexicain Joaquin Saenz y Arriaga, véhiculant l’idée que le pape Paul VI serait à la tête d’un nouveau religion. « Le sédévacantisme affirme (sous une forme ou une autre) que le siège de Pierre est vacant depuis plusieurs décennies – le pontificat de Jean XXIII étant le pivot – que ce pontife soit considéré comme le premier usurpateur du Saint-Siège, ou comme le dernier pape légitime », retrace Cyrille Dounot, professeur d’histoire du droit à l’université Toulouse Capitole et diplômé en droit canonique, auteur d’un article sur le sujet (1).

Réforme de la liturgie, ouverture au dialogue interreligieux, reconnaissance de la liberté de conscience… Avec le Concile Vatican II (1962-1965), Jean XXIII aurait, aux yeux de ces schismatiques, mis à mal l’essence du catholicisme dans ses deux mille tradition vieille d’un an. « La rupture s’est réellement faite autour de la nouvelle messe, alors perçue par un certain nombre de personnes de l’aile conservatrice comme la ligne rouge à ne pas franchir », soutient Cyrille Dounot.

Schématiquement, l’argumentation des sédévacantistes peut se résumer à l’idée qu’en vertu de l’infaillibilité papale – avec l’assistance du Saint-Esprit – un pape ne peut, dans l’exercice de sa fonction, promulguer des erreurs contre la foi. Or, selon eux, Jean XXIII, Paul VI et leurs successeurs sur le trône de Saint Pierre auraient enseigné des hérésies évidentes et seraient ainsi des papes illégitimes. « De nombreuses conséquences s’ensuivent : comme il n’y a plus de pape, il n’y a plus de cardinaux, d’évêques légitimement nommés… Une branche entière considère également comme invalides les nouveaux sacrements », poursuit le professeur, soulignant également que «ce milieu, traversé de tendances millénaristes, se réfugie souvent dans des prophéties ou des révélations privées».

► Que représente ce courant dans le paysage catholique et comment a-t-il évolué sous le pontificat de François ?

Ceux qui ne reconnaissent pas les papes contemporains restent ultra-minoritaires, même au sein des mouvements traditionalistes. Le phénomène semble très difficile à mesurer. « Comme tout courant doctrinal marginal, le sédévacantisme comprend une pluralité de chapelles et de confessions (sédévacantisme, catholicisme semper idem…) », précise Cyrille Dounot. Les petites communautés resteraient plus actives que d’autres, au Brésil, au Mexique, ou en Europe, notamment en Italie. En France, une trentaine de lieux proposent des services je ne jouis pas (c’est-à-dire sans citer le nom du pape), ce qui porte les estimations à environ 3 000 fidèles.

Plusieurs signaux récents témoignent d’un regain d’intérêt pour ces tendances, notamment la publication, en 2019 en France, d’un livre de Maxence Hecquard, La crise de l’autorité dans l’Église. Les papes de Vatican II sont-ils légitimes ? (2). « Cette évolution est sans doute encore liée à la ligne du pontificat de François », analyse Cyril Dounot, qui recense plusieurs épisodes emblématiques qui ont bouleversé l’aile la plus conservatrice de l’Église : exposition d’une statuette de la divinité inca Pachamama en 2019 en marge du Synode sur l’Amazonie, publication du motu proprio Gardes des traditions sur la liturgie ou, en décembre 2023, de la déclaration Suppliants Fiducia ouvrant la voie à une bénédiction pour les couples de même sexe… Autant de décisions perçues, dans le petit cercle des sédévacantistes, comme de nouvelles « hérésies » renforçant leurs théories.

(1) « Les problèmes méthodologiques du sédévacantisme. Autour d’une œuvre récente »Revue Thomiste, 2019, no 3, p. 489-506.

(2) Dans l’éd. La nouvelle librairie, 600 p., 30 €.

William Dupuy

Independent political analyst working in this field for 14 years, I analyze political events from a different angle.
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