quels équipements militaires sont livrés par la France à Israël ?
La France affirme fournir à l’Etat hébreu des composants destinés aux équipements de défense anti-aérienne. Mais les détails exacts des livraisons ne sont pas connus.
« A un moment donné, ne livrons pas des armes qui ne sont pas destinées à assurer la sécurité d’Israël, mais à apporter la mort à Gaza et au Liban. » Interrogé sur franceinfo, lundi 7 octobre, l’ancien ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin a réagi aux déclarations d’Emmanuel Macron deux jours plus tôt. Le président de la République a demandé, sur France Inter, « Arrêtons de livrer des armes pour mener les combats à Gaza ». Ces propos ont suscité la colère du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, qui a répondu dans un communiqué : « Le président Macron et d’autres dirigeants occidentaux appellent désormais à un embargo sur les armes contre Israël. Ils devraient avoir honte. »
Dans l’immédiat, les déclarations du chef de l’Etat ne devraient pas faire bouger les lignes, d’autant que « La France ne livre pas d’armes à Israël »a insisté Jean-Louis Thiériot, le ministre délégué auprès du ministre des Armées, sur franceinfo. Cela n’empêche toutefois pas les fabricants de livrer du matériel militaire à l’État hébreu.
Les exportations d’armes sont entourées d’opacité et les détails exacts des livraisons d’armes sont inconnus. Chaque année, un rapport sur les exportations d’armes est soumis au Parlement, mais il ne contient que des données financières générales sur les licences et les livraisons. Le dernier document (PDF)publié à l’été 2023, révèle que la France a livré pour 189,8 millions d’euros de matériels à Israël entre 2013 et 2022, à un rythme moyen d’environ 20 millions d’euros par an. Et qu’elle a enregistré des prises de commandes de 207,6 millions d’euros sur la même période.
Le rapport apporte également quelques précisions sur les demandes de licences formulées par les entreprises françaises, dont le dépôt est obligatoire avant même d’entamer des discussions avec un client. Au total, 69 demandes ont été formulées en 2022 pour Israël, portant sur près de 358 millions d’euros. Cela concerne principalement la catégorie 5 du « liste militaire »qui désigne, dans la nomenclature commune européenne, le «équipements de lutte contre l’incendie, de surveillance et d’alerte» et le « systèmes et équipements de test »ainsi que leurs composants et accessoires. Ces plafonds d’autorisation ne permettent cependant pas de connaître le montant réel et la nature des livraisons.
Dans une réponse adressée au député insoumis Aurélien Saintoul en février, il précisait notamment que les livraisons, dont le montant atteignait 15,3 millions d’euros en 2022, représentaient 0,2% des transferts depuis la France cette année-là. Plus largement, Israël ne figure pas dans le classement des vingt premiers clients de la France, du moins sur la période 2013-2022. « La France est un fournisseur mineur de composants et de pièces détachées, ce qui tient davantage à des raisons historiques qu’à des raisons éthiques.note Stéphane Audrand. Il n’y a pratiquement pas eu de partenariat sur les grands systèmes depuis l’embargo sur les armes décrété par Charles de Gaulle en 1967. »
Concernant les équipements livrés à Israël, cette fois, Sébastien Lecornu n’a pas démenti la présence d’équipements de la catégorie ML4, qui comprend des bombes, des roquettes, des missiles. Il a toutefois précisé que tous les composants, « s’ils sont autorisés », « sont destinés à un usage purement défensif ». Le ministre des Armées a cité par exemple le « des missiles de défense aérienne intégrés au ‘Dôme de Fer' »le principal système anti-aérien de l’État juif. « Ce ne sont que des composants élémentaires qui ont été livrés : roulements à billes, vitrages, systèmes de refroidissement, potentiomètres, capteurs de pression »» a-t-il encore ajouté fin février, lors d’une audition à l’Assemblée nationale.
Fin mars, la question des livraisons d’armes à Israël refait surface lorsque les médias Disclose et Marsactu révèlent que la France a livré des composants pour mitrailleuses à la société israélienne IMI Systems. Des liens M27, en l’occurrence, en quantité suffisante pour connecter 100 000 cartouches adaptées au fusil israélien Negev 5. Sébastien Lecornu avait confirmé l’information, précisant toutefois que la licence ne concernait que « réexportation » sur les composants fournis « aux industries israéliennes qui vendent ensuite à des pays tiers ». Mais en l’absence de contrôle sur place, a rétorqué Disclose, impossible de savoir si ces M27 n’ont pas fini entre les mains de soldats de l’armée israélienne.
Dans la foulée, 115 parlementaires de gauche ont cosigné une lettre ouverte pour demander à Emmanuel Macron « arrêter immédiatement la vente d’armes à Israël ». Le ministre des Armées avait fustigé, dans un entretien à parisien, « l’exploitation indécente de l’extrême gauche qui a sciemment entretenu le doute sur la position française et qui a même voulu qu’on annule les licences du ‘Dôme de Fer' ».
« La France vend principalement des pièces détachées dans deux cas : des pièces détachées optroniques, des optiques militaires et des composants destinés aux missiles anti-aériens. »résume Stéphane Audrand, consultant spécialisé dans le contrôle du commerce des armes. « Ils ne vont pas nécessairement à ‘Iron Dome’, mais à ‘Sling David’ ou à d’autres systèmes. » Ce qui ne dissipe pas tous les doutes sur la destination finale de ces pièces détachées. En 2014, après un attentat meurtrier, une famille palestinienne porte plainte contre la société française Exxelia Technologies, l’accusant d’avoir fourni un composant utilisé dans un missile israélien.
De toute façon, « Emmanuel Macron n’a rien annoncé du toutestime Stéphane Audrand, C’est un non-événement.d’autant qu’aucun embargo n’est à l’ordre du jour. « On fait au cas par cas, parce qu’on sait que c’est compliqué »poursuit l’expert, évoquant à la fois le Traité sur le commerce des armes de 2014 et la position commune européenne sur l’armement de 2008. Le Royaume-Uni a de son côté annoncé en septembre la suspension d’une trentaine de licences d’armement. exportations d’armes vers Israël sur un total de 350, après un examen concluant « un risque » qu’ils sont utilisés en violation du droit international humanitaire.
La déclaration du président de la République n’est cependant peut-être pas totalement anodine. « La validation et l’autorisation des exportations d’armes restent une prérogative nationale, mais les Européens sont censés se coordonner entre euxexplique Stéphane Audrand. J’imagine donc que c’est le genre de chose qui sera discutée et débattue lors du prochain comité mensuel sur la coordination du contrôle des armes à feu. »
En fait, la balle est dans le camp de Washington. « Dans l’ensemble, les Américains livrent en masse des munitions lourdes pour l’aviation ou l’artillerie. Mais le problème est qu’il existe à la fois des missiles sol-air qui protégeront Israël et des bombes. »résume Stéphane Audrand. Les États-Unis ont également puisé dans leurs stocks pour armer Israël, ce qui est l’un des facteurs expliquant le ralentissement de l’aide à l’Ukraine. Hormis la suspension des livraisons de bombes en mai, le président américain Joe Biden a toujours refusé d’actionner le levier des livraisons d’armes à Israël pour arrêter les frappes sur Gaza.