« Quelle version du Joker est Jean-Luc Mélenchon ?

Ophélie Roque est professeur de français en banlieue parisienne. Elle a publié Mesa noire (Robert Laffont, 2023), son premier roman.

Ce samedi 5 octobre 2024, j’apprends – par dépêches aléatoires – que Jean-Luc Mélenchon demande «une jeunesse étudiante insoumise» et pour afficher « de la Drapeaux palestiniens partout » au sein des universités. L’heure est à un engouement décoratif sans précédent. Quelle nouvelle mode se cache derrière ce besoin irrépressible de repeint murs, couloirs et plafonds ? Serait-ce une planque comme une autre dont la seule mission serait de cacher les peintures vieillissantes des salles universitaires ? Hélas, non.

Pour Jean-Luc Mélenchon, le drapeau palestinien est l’étendard géométrique et coloré qui serait brandi contre un ordre étatique aussi barbare que répressif. Le leader de La France insoumise entend laisser au sol les trois tristes bandes du drapeau français qui, malheureusement, ne porte plus assez d’espoir révolutionnaire. Celui qui fut l’un des premiers symboles de la Révolution est soudain réduit au rôle d’un chiffon. Comme les couleurs, tout passe et subversion avec.

Pourtant, dans un phénomène de pure synchronicité, deux jours avant la sortie en salles de cet improbable discours Joker : la folie à deux . Face à cette tribune de la plèbe qui, étrangement, murmure aux oreilles des riches de Sciences Po en mal de cause à défendre, une question m’a traversé l’esprit : quelle version du Joker est Mélenchon ?

Philosophe nihiliste à ses heures, Jean-Luc Mélenchon n’a d’autre ambition que d’être l’agent du chaos. Il veut que chacun de nous adopte le comportement erratique et cruel de l’enfant rebelle.

Ophélie Roque

Je vois des récalcitrants de la culture pop froncer subrepticement un sourcil : qu’est-ce que c’est d’autre ? Et qui est Joker de toute façon ? L’antagoniste de Batman. Mais rassurez-vous, rien qui soit hors du champ culturel : Joker étant l’avatar moderne de L’homme qui rit publié en 1869 par Victor Hugo (qui n’est plus près de créer des monstruosités humaines). La garantie culturelle est inébranlable, littéraire elle devient inébranlable !

Avec une culture pop qui s’adapte sans cesse aux thèmes et fantasmes de son époque, cela fait presque un siècle que ce « méchant » emblématique enfile un costume sur mesure basé sur nos a priori sur la folie. 80 ans que la silhouette de ce fou charismatique irrigue, dans l’ombre, notre perception de quel leadership aurait mal tourné. Autant dire qu’il n’y a pas un mais plusieurs Jokers. Mais qui est le plus proche du leader autoproclamé de La France insoumise ?

Passons rapidement au bon enfant Joker de la série télévisée de 1966, il n’est en rien proche de notre Jean-Luc. Tout au plus, c’est un showman un peu perdu qui vole des sous-marins nucléaires juste parce qu’il s’ennuie. De plus, il n’a pas d’ambition politique marquée, il se contente d’incarner une vision édulcorée du mal en sortant des pistolets en plastique inoffensifs qui font « Bang » à chaque détonation. Ridicule et clownesque, il ne nous intéresse guère.

En 1989, Jack Nicholson lui prête ses traits. Encore bouffon, ce Joker se lance en politique et on le sent désireux de s’adresser directement aux foules. Il jubile à l’idée de ses propres mots. Serait-ce l’incarnation parfaite ? Hélas, cette version se moque autant de son monde qu’elle se flagelle et c’est peu dire que Mélenchon semble doté de l’autodérision la plus limitée. Coup d’épée dans l’eau.

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Quant au jeu vidéo Joker interprété par Mark Hamill, il n’est autre qu’un squelette ganté qui erre dans les couloirs suintants de l’asile, sans se soucier de la politique. Une fois de plus, nous échouons.

Serait-ce alors le méchant incarné par Joaquim Phoenix en 2019 ? Sorti en plein épisode des Gilets jaunes, ce Joker – qui a la grâce un peu frêle de la mante religieuse – devient le porte-parole d’une foule de déclassés. Mais ce serait oublier un peu vite qu’il ne souhaite, à aucun moment, être vu ou perçu comme un leader maniant la colère populaire. C’est malgré lui qu’il est amené à devenir l’idole anarchiste d’une société qui l’écrase bien plus qu’elle ne l’élève. Encore un échec !

Non, Jean-Luc Mélenchon est plutôt le Joker de Heath Ledger. Philosophe nihiliste à ses heures, il n’a d’autre ambition que d’être l’agent du chaos. Il souhaite que chacun de nous sorte de sa zone normale et adopte le comportement erratique et cruel de l’enfant capricieux. Mélenchon se considère comme le chef d’orchestre dément du désordre social mondial. Il n’a qu’un souhait : que tout s’effondre dans son sillage ! L’ordre ne peut pas exister, il n’y a de place que pour les informés et les actifs. Ceci dit, le leader politique espère. Ce cycle chaotique doit servir à quelque chose : c’est sur les ruines que se forgera le prochain empire.