Quelle technologie de batterie pour les voitures électriques ? Un dilemme de souveraineté industrielle pour l’Europe
Les fabricants européens envisagent de plus en plus d’opter pour la technologie des batteries lithium-fer-phosphate (LFP), très courante en Chine, plutôt que pour la technologie nickel-manganèse-cobalt (NMC), plus courante en Europe. Un choix technologique important en termes de souveraineté industrielle et de dépendance économique vis-à-vis des producteurs de métaux… mais qui peut aussi les aider à vendre des véhicules électriques plus abordables.
Face à la demande croissante de véhicules électriques plus abordables, les constructeurs européens diversifient de plus en plus leur portefeuille de batteries. Ils commencent à intégrer la technologie LFP (pour le lithium, le fer, le phosphate), un type de batterie lithium-ion qui domine actuellement le marché en Chine en raison de son coût inférieur aux batteries NMC (pour le nickel, le manganèse, le cobalt), plus courantes en Chine. Europe.
De quoi s’interroger sur la pérennité des investissements européens dans la production de batteries, qui concernaient jusqu’ici principalement les NMC. Cela pose également la question d’une potentielle dépendance vis-à-vis des constructeurs asiatiques, avec des implications différentes en termes de métaux critiques.
Autrement dit, il s’agit d’un enjeu de souveraineté industrielle pour le secteur automobile du vieux continent, qui met en lumière la complexité d’un écosystème où cohabitent différentes technologies pour répondre à la multiplicité des usages de la mobilité électrique. Cela implique des choix politiques et industriels qui influenceront l’adoption des véhicules électriques et les futures dépendances de l’Europe.
L’état de l’industrie des batteries en Europe
Les batteries lithium-ion sont au cœur de la révolution des véhicules électriques. Ils constituent l’élément stratégique incontournable des voitures électriques, dont ils constituent jusqu’à 40 % de leur poids. Leur fabrication nécessite un savoir-faire hautement spécialisé, des investissements importants en capital fixe et l’utilisation de matières premières critiques. Un véhicule électrique consomme environ 200 kg de ces matériaux, soit six fois plus qu’un véhicule thermique.
Le secteur automobile a largement guidé les trajectoires prises par le développement technologique des batteries, notamment pour améliorer leur densité énergétique, leur capacité de charge rapide et leur sécurité d’utilisation, tout en abaissant les coûts.
Théoriquement, toutes sortes d’éléments chimiques peuvent être utilisés dans les batteries Li-ion. Mais pour l’instant, le marché est dominé par deux technologies : les batteries NMC et LFP. La comparaison entre les batteries LFP et NMC révèle une équation complexe entre prix, accessibilité, sécurité, performances et autonomie.
En 2023, les batteries NMC (nickel, manganèse, cobalt) représentaient près des deux tiers du marché mondial, tandis que les batteries LFP (lithium, fer, phosphate) occupaient 27 % des parts de marché. En Europe, 55 % des véhicules électriques sont équipés de batteries NMC, 40 % utilisent des batteries NCA (nickel, cobalt, aluminium) et seulement 5 % sont équipés de batteries LFP.
En effet, les constructeurs européens privilégiaient jusqu’à présent les batteries NMC et NCA pour leur longue autonomie, tandis que les batteries LFP étaient majoritairement utilisées par les constructeurs chinois. C’est principalement grâce aux exigences des consommateurs en termes d’autonomie, de performances et de charge rapide que l’Europe s’est jusqu’à présent engagée sur la voie des batteries NMC à haute teneur en nickel.
Une diversification utile au marché européen
Toutefois, les batteries LFP se distinguent par leur moindre coût, un facteur crucial dans le contexte actuel où le prix élevé des véhicules électriques constitue le principal obstacle à leur adoption massive.
Ce n’est pas tout : ils offrent également une meilleure sécurité, une durée de vie plus longue et acceptent mieux les charges complètes, ce qui les rend plus pratiques pour un usage quotidien. Cependant, par rapport aux batteries NMC, les batteries LFP ont une densité énergétique plus faible, ce qui se traduit par une autonomie plus limitée à volume égal.
Les constructeurs automobiles européens l’ont bien compris et ont récemment annoncé d’importants changements de stratégie. ACC (Automotive Cells Company), une joint-venture entre Stellantis, Mercedes-Benz et TotalEnergies, a récemment suspendu la construction de ses gigafactories en Allemagne et en Italie, suite à un changement de stratégie d’approvisionnement pour inclure les batteries LFP.
Tesla a également décidé d’équiper ses modèles Model 3 et Model Y de la batterie LFP à partir de 2021. Volkswagen envisage enfin d’adopter la technologie LFP pour rendre ses voitures électriques plus abordables d’ici deux ans.
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Ces annonces suscitent certaines inquiétudes quant à la pérennité des investissements dans les batteries NMC, mais peuvent être considérées comme une diversification de la part des fabricants européens, pour répondre à une variété de besoins et de contraintes tout en limitant les risques économiques.
Cela leur permettra également de mieux s’adapter à la segmentation du marché :
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Les batteries LFP pourraient dominer le marché des véhicules électriques d’entrée et milieu de gamme (véhicules destinés aux courts trajets urbains ou aux applications nécessitant une autonomie relativement faible),
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tandis que les NMC pourront être segmentés sur le segment haut de gamme (ou pour les applications nécessitant une plus grande autonomie, comme les véhicules longue distance).
Dilemme industriel et question de souveraineté
Cette diversification, si elle peut rendre les voitures électriques plus abordables en réduisant le coût des batteries, n’est pas sans risque : elle oblige les constructeurs européens à se tourner vers des acteurs asiatiques.
Ampere, la filiale électrique de Renault, intègre déjà la technologie LFP dans sa stratégie batteries en collaboration avec LG Energy Solutions (Corée du Sud) et CATL (Chine). Même chose pour Stellantis qui a signé un accord stratégique avec le chinois CATL en novembre 2023.
Déjà, environ la moitié des capacités de production de batteries situées sur le sol européen sont rattachées à des entreprises chinoises et sud-coréennes, une tendance qui pourrait s’aggraver avec les batteries LFP. En effet, 95% des batteries LFP sont fabriquées en Chine avec des fabricants comme BYD et CATL qui maîtrisent parfaitement les processus de fabrication.
Ces partenariats ne constituent pas un problème en soi. Ils peuvent même représenter une opportunité de bénéficier de l’expertise technologique de ces acteurs, qui produisent des batteries de haute qualité et économiquement compétitives.
Le véritable problème de la dépendance européenne aux matières premières concerne en réalité les PNM.
En effet, les batteries LFP sont fabriquées à partir de carbonate de lithium, tandis que les batteries NMC sont fabriquées à partir d’hydroxyde de lithium, dont les chaînes d’approvisionnement sont distinctes. L’Europe importe 78 % du carbonate de lithium du Chili (et non de Chine), et a même signé un accord en ce sens avec le Chili. Parallèlement, de nouveaux projets miniers en France et en Europe devraient également contribuer à renforcer les approvisionnements européens en lithium.
Le problème de dépendance concerne l’hydroxyde de lithium utilisé pour les batteries NMC. En effet, pour transformer le carbonate de lithium en hydroxyde de lithium, il faut le raffiner. Or, ce sont les acteurs chinois qui raffinent 62 % de la production mondiale de lithium. Même s’il existe un potentiel de projets de raffinage du lithium en Europe, les investissements dans ce maillon de la chaîne de valeur tardent à se concrétiser.
La fabrication des batteries NMC nécessite également du nickel et du cobalt, qui sont des matériaux identifiés comme critiques par la Commission européenne en partie en raison du risque géopolitique lié à leur approvisionnement. Le cobalt est principalement extrait au Congo et raffiné à 67 % par la Chine.
Autrement dit, pour les constructeurs européens, se concentrer davantage sur les batteries LFP permettrait également de limiter les risques de dépendances en termes d’approvisionnement en métaux critiques.
Lire la suite : Batteries lithium-ion : l’Europe peut-elle échapper à la dépendance chinoise ?
Mais cette diversification du portefeuille des fabricants européens a des répercussions sur tous les acteurs de la chaîne de valeur des batteries en Europe, de leur fabrication jusqu’à leur recyclage.
Les producteurs de matériaux pour batteries NMC comme Axens pourraient être confrontés à des difficultés de conversion si le marché devait s’orienter de manière significative vers le LFP. Umicore, acteur majeur dans la production de matériaux cathodiques actifs, avait délibérément choisi de ne pas intégrer le LFP dans son portefeuille pour se concentrer sur les technologies NMC qu’elle maîtrise. Cela pourrait compromettre leur capacité à s’adapter rapidement à cette nouvelle demande.
Un recyclage des batteries moins rentable
Des questions industrielles se posent également en matière de recyclage. Le recyclage des batteries usagées est essentiel pour réduire la dépendance à l’égard des matières premières importées et peut également renforcer la résilience européenne en cas de perturbations de la chaîne d’approvisionnement causées par des tensions géopolitiques.
Cependant, les matériaux utilisés dans la cathode déterminent l’attractivité économique de leur recyclage. Étant donné que les batteries LFP ne contiennent ni cobalt ni nickel, les métaux les plus précieux, elles remettent en question la rentabilité des efforts de recyclage.
Le recyclage des batteries LFP est donc beaucoup moins attractif économiquement que celui des batteries NMC, d’autant que les LFP contiennent environ 20 % de lithium en moins que les NMC.
C’est là le paradoxe : le développement des capacités de recyclage des batteries en Europe dépend de la stabilisation future des choix technologiques faits par les constructeurs de voitures électriques. Et ce choix technologique, loin d’être anodin, pose des questions de souveraineté industrielle.
Compte tenu des capacités de recyclage européennes actuelles, les batteries NMC peuvent être plus facilement recyclées que les LFP. En effet, les techniques de recyclage dominantes en Europe, basées sur la pyrométallurgie, sont efficaces pour récupérer le nickel et le cobalt, mais moins adaptées pour le lithium.
Cela aurait pu changer compte tenu des projets annoncés par Orano et Eramet qui proposaient de développer une hydrométallurgie efficace pour récupérer le lithium. Cependant, Eramet a récemment annoncé l’annulation de son projet de recyclage face à la baisse de la demande de véhicules électriques en Europe.
Lire la suite : Pouvons-nous recycler les batteries des véhicules électriques ?
Résumons :
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le NMC permet d’augmenter l’autonomie des véhicules, tout en étant plus coûteux, et conduit à une dépendance accrue vis-à-vis des pays tiers en termes de métaux critiques. Mais son recyclage est rentable, et le secteur industriel est déjà là.
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Le LFP, quant à lui, permet moins d’autonomie, mais une meilleure longévité de la batterie et moins de pannes techniques, et permet de limiter la dépendance aux métaux critiques. Cependant, ce sont aujourd’hui les acteurs chinois qui contrôlent la chaîne de valeur, et son recyclage est moins rentable pour les acteurs européens, la filière européenne ne maîtrisant pas encore les processus requis.
Dans ces conditions, les constructeurs européens ont-ils raison d’ouvrir prudemment la porte de la LFP aux voitures électriques ? La réponse à cette question est un dilemme industriel, avec de forts compromis politiques et économiques à faire tout au long de la chaîne de valeur des batteries, de l’extraction minière au recyclage. Une chose est sûre, c’est le bon moment pour se poser la question, alors que l’Europe est de plus en plus préoccupée par son approvisionnement en matières premières critiques, dans un contexte de reprise minière.