Pour la première fois, une poignée de chefs d’Etat feront le déplacement, dont le Brésilien Lula. A l’occasion de la 16e Conférence de l’ONU sur la biodiversité, COP16, les représentants de quelque 200 pays se sont réunis lundi 21 octobre à Cali, en Colombie, pour organiser la réponse internationale à la crise de destruction des écosystèmes.
Organisateur, la Colombie entend profiter de ce vaste forum diplomatique et économique pour prendre la tête de la mobilisation mondiale en faveur de la nature, deux ans après la signature de l’ambitieux accord Kunming-Montréal lors de la COP15.
Protéger 30% des terres et des mers, restaurer 30% des écosystèmes dégradés d’ici 2030, réduire de moitié les pesticides et le taux d’introduction d’espèces exotiques envahissantes, mobiliser 200 milliards de dollars par an pour la nature… Deux ans après ces engagements importants, que sera cette COP16 utilisé pour ?
Passer de l’ambition à l’action
A l’issue de la COP15 en 2022, l’accord Kunming-Montréal fixait 23 objectifs de conservation de la nature à atteindre d’ici 2030. Deux ans plus tard, la présidence colombienne doit poser aux 196 pays membres de la Convention sur la diversité biologique (CBD) la question fatidique : « Et alors ? Est-ce que ça progresse ? » Pour l’instant, la réponse est : « Pas trop ». Au 16 octobre, seules 29 parties avaient soumis leur stratégie et plan d’action nationaux pour la biodiversité et 91 autres avaient soumis des « cibles », ou des engagements sur tout ou partie des objectifs, selon la secrétaire exécutive de la CDB, Astrid Schomaker.
« Cette COP est à la fois un moment de vérité et un tremplin » résume Juliette Landry, de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). L’analyse des premières stratégies soumises doit permettre de juger de la crédibilité des promesses faites en 2022 par les Etats. Mais la COP doit aussi anticiper et préparer un cadre qui, d’ici 2026 (pour la COP17 donc), permettra de savoir si les discours se sont traduits en actions et politiques concrètes de la part des pays. C’est ce que nous appelons « le processus de révision », explique Juliette Landry.
Quels critères utiliser pour évaluer l’efficacité d’une mesure ? À qui peut-on faire confiance pour vérifier sur le terrain que les choses avancent ? A Cali, les 196 partis doivent adopter des règles communes à tous, destinées à être opérationnelles en 2025, au moment du premier rapport d’étape de l’accord Kunming-Montréal.
Il s’agira aussi, à Cali, de discuter des règles qui s’appliqueront au secteur privé, pour éviter que les engagements des entreprises se limitent au « greenwashing » en français. Agnès Hallosserie, directrice du programme biodiversité d’Iddri, constate que certains secteurs, de l’agriculture à l’industrie du luxe ou encore de la mode, « ont pu commencer à se positionner », réfléchir aux transformations qu’ils peuvent opérer.
Décider qui donne combien (et à qui)
Depuis l’annonce lors de la COP15 de la création d’un nouveau fonds dédié à la biodiversité, donateurs et bénéficiaires sont en désaccord.
Les pays bénéficiaires exigent que cette organisation, actuellement soutenue par le Fonds pour l’environnement mondial (FEM), devienne indépendante et ait sa propre gouvernance. Les bailleurs de fonds, de leur côté, plaident pour que le FEM, le bras financier de la Convention, gère cet organisme.
Cela peut paraître un détail, mais ces discussions tendues « ont déjà mobilisé beaucoup de temps et d’énergie », remarque Juliette Landry, soulignant l’urgence de régler la question une fois pour toutes.
D’autant que les donateurs doivent se dépêcher de renflouer ce fonds. A ce jour, il ne dispose que de 400 millions de dollars (environ 369,2 millions d’euros), quand l’accord Kunming-Montréal prévoit qu’il soit crédité de 25 milliards de dollars par an (23 milliards d’euros) d’ici 2025.
Pour mieux répartir les bénéfices issus de la biodiversité…
Lorsqu’un laboratoire allemand veut développer un médicament à partir d’une molécule issue d’une éponge marine endémique des Seychelles, comment faire en sorte que le pays d’origine bénéficie, d’une manière ou d’une autre, de la richesse créée à partir de cette matière première vivante ? L’exemple est grossier, mais la question est fondamentale pour imaginer de nouvelles sources de financement pour la biodiversité. Ce débat, baptisé « séquençage numérique de l’information », sera l’un des sujets phares de cette COP16.
« Les pays en développement réclament un nouveau mécanisme pour redistribuer les bénéfices de ces éléments génétiques numérisés »explique Agnès Hallosserie, originaire d’Iddri. Mais la création de ce mécanisme multilatéral soulève de nombreuses questions : « Faut-il faire payer les entreprises ? Toutes les entreprises, ou plutôt celles appartenant à des secteurs clés ? Faut-il verser des cotisations obligatoires ou volontaires ? Imposer une taxe serait-il légal ? Faut-il concentrer les données sur un portail commun ? Si oui, qui pourrait gérer cette plateforme ? redistribuer équitablement les bénéfices, et à qui ? elle énumère.
…et pour récompenser ceux qui en prennent soin
L’accord Kunming-Montréal encourage les États à « favoriser (…) le paiement des services écosystémiques, les obligations vertes, les crédits et les compensations en termes de biodiversité« . Objectif : récompenser ceux qui prennent soin des écosystèmes, comme les agriculteurs qui s’engagent dans une gestion durable, à travers un système de « crédits biodiversité » (ou « crédits nature »), inspiré des « crédits carbone ».
En vue de créer des bourses nationales dans les pays pionniers en la matière, le Comité consultatif international des crédits biodiversité, piloté par la France et le Royaume-Uni, doit présenter une « feuille de route mondiale », à Cali. De leur côté, l’Alliance pour les crédits pour la biodiversité, soutenue par l’ONU, et le Forum économique mondial devraient également faire des annonces.
Enfin, le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, soutient depuis un an la création d’un Fonds international pour la préservation des forêts tropicales, qui consisterait à rémunérer 80 États pour chaque hectare de forêt préservé ou restauré. Des projets complexes, qui n’aboutiront pas forcément lors de cette COP, mais qui suscitent déjà beaucoup d’intérêt et tout autant de débats.