Le nouveau président iranien appelle à des « relations constructives » avec l’Occident. Mais ses pouvoirs seront limités vis-à-vis du guide suprême Ali Khamenei et du Parlement.
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Il souhaite « Sortir l’Iran de son isolement ». Le candidat réformateur Massoud Pezeshkian a remporté l’élection présidentielle iranienne face à l’ultraconservateur Saïd Jalili, selon les résultats publiés samedi 6 juillet, au lendemain du second tour. Il succède à Ebrahim Raisi, décédé dans un accident d’hélicoptère en mai.
Massoud Pezeshkian, premier réformiste à devenir président de l’Iran depuis 2005 (Hassan Rohani, au pouvoir de 2013 à 2021, était considéré comme plutôt modéré), a promis de chercher à « la main de l’amitié à tous » dans le pays. Et affiche une attitude ouverte envers le reste du monde qui tranche avec son prédécesseur. Ce changement de ton au sommet de la République islamique pourrait-il avoir des conséquences politiques concrètes pour le pays ?
Durant la campagne, Massoud Pezeshkian a souligné plusieurs points de divergence avec la politique étrangère menée ces dernières années par la République islamique. Celui que les Iraniens appellent le « docteur » a notamment appelé « relations constructives » avec les États-Unis et les pays européens, afin de « Sortir l’Iran de son isolement » et obtenir la levée des sanctions internationales qui pèsent sur l’économie du pays.
Il a promis de négocier directement avec Washington pour relancer les discussions sur le nucléaire iranien, au point mort depuis le retrait américain en 2018 de l’accord international conclu en 2015. « Si nous parvenons à faire lever les sanctions américaines, les gens auront une vie plus confortable »a-t-il estimé. Une victoire pour son adversaire Said Jalili, « l’approche inflexible et idéologique » aurait mis l’Iran et l’Occident à l’opposé « sur une trajectoire de conflit »Ali Vaez, expert du pays auprès de l’ONG International Crisis Group, a déclaré à l’AFP.
Tout en affirmant sa loyauté au régime, Massoud Pezeshkian s’est également fait connaître pour ses critiques du gouvernement lors du mouvement de protestation de grande ampleur déclenché par la mort en détention de Mahsa Amini en septembre 2022. Durant la campagne, il a dénoncé le recours à la force par la police pour faire respecter l’obligation faite aux femmes de porter le voile : « Nous nous opposons à tout comportement violent et inhumain (…) en particulier envers nos sœurs et nos filles, et nous ne permettrons pas que de tels actes se produisent. »
Mais ces positions, même très critiques, ne seront guère suivies d’effets majeurs. « Ce n’est pas le président qui décide des stratégies globales du régime islamique », souligne Azadeh Kian, professeur de sociologie à l’université Paris Cité, interrogé par franceinfo.
« Le président a une certaine marge de manœuvre, mais sur les questions militaires, de politique étrangère ou régionales, ce sont le guide suprême, Ali Khamenei, et les Gardiens de la révolution qui fixent la direction. »
Azadeh Kian, professeur de sociologie à l’Université Paris Citéà franceinfo
Massoud Pezeshkian devra également composer avec un Parlement à majorité ultra-conservatrice, qui vote les lois et doit donner son accord à la composition du gouvernement. « Il aura probablement du mal à faire accepter des ministres trop réformistes »anticipe Azadeh Kian.
Les options qui s’offriront au nouveau dirigeant dépendront aussi largement du contexte extérieur, notamment des résultats d’une autre élection : l’élection présidentielle américaine de novembre. « Si Donald Trump revient au pouvoir aux États-Unis, ses conseillers ont déjà indiqué qu’ils réimposeraient une politique de « pression maximale » sur l’Iran. »rappelle Thierry Coville, chercheur spécialiste de l’Iran à l’Iris, think tank sur la géopolitique.
Massoud Pezeshkian ne pourra donc pas changer radicalement la ligne du pays. « Il pourrait redorer l’image de l’Iran par un discours apaisant, et pourquoi pas inciter le Guide à s’orienter vers des négociations avec l’Occident, en échange bien sûr d’importantes compensations. »croit Azadeh Kian.
« Il ne pourra pas reprendre les négociations tout seul, il y aura sans doute des tensions avec le Guide. Mais avoir un président favorable aux relations avec l’Occident crée quand même un climat positif. »
Thierry Coville, chercheur spécialiste de l’Iran à l’Irisà franceinfo
En politique intérieure, le rôle du président n’est pas non plus une coquille complètement vide. « Il peut essayer d’améliorer la situation économique en mettant en œuvre une gestion plus rationnelle, par exemple en nommant des technocrates aux ministères et aux organismes responsables. »explique Azadeh Kian.
Mais selon les spécialistes interrogés par franceinfo, ce scrutin ne risque pas d’ébranler les fondements du régime. « Massoud Pezeshkian est un réformateur »explique Thierry Coville, « Mais il se définit comme un réformateur conservateur, il utilise beaucoup de références religieuses… Tout cela peut contribuer à faire de lui un réformateur ‘acceptable’ aux yeux d’Ali Khamenei. »
« En organisant ce cirque d’élections, le régime iranien cherche à se donner une légitimité populaire pour se justifier sur la scène internationale. »affirme la sociologue et politologue Mahnaz Shirali. Interviewée par franceinfo, elle souligne le faible taux de participation officiel au premier tour, à peine 40%. Malgré ses critiques sur la répression liée aux femmes ne portant pas le voile, «Massoud Pezeshkian s’est toujours présenté comme un fondamentaliste», Azadeh Kian souligne. Et « « L’égalité des sexes n’a jamais été l’un des fondements du régime. »