quatre questions sur le « quiet cutting », le licenciement silencieux
Pousser à la démission plutôt que de licencier un salarié ? Cette pratique est appelée « quiet cut » chez les Anglo-Saxons et peut se traduire par « silence licenciement ». C’est le contraire de « arrêter tranquillement ». Selon une étude américaine réalisée en mars par le site de recherche d’emploi Monster (en anglais), 77 % des salariés interrogés ont été témoins de « coupures discrètes » au sein de leur entreprise, et 58 % se déclarent concernés par ce processus.
Le « coupage tranquille » existe aussi en France, les salariés l’ont expérimenté et les employeurs en ont été responsables, confirment respectivement Nina Tahrouni, qui veille au respect des droits des salariés, et Cyrille Catoire, avocat habitué à défendre les entreprises. , dont certains ont eu recours à ce type de pratique.
1 La coupe silencieuse, un phénomène nouveau ?
En réalité, cette nouvelle terminologie anglo-saxonne s’applique à « un phénomène qui existe depuis toujours dans le monde du travail »souligne Nina Tahrouni, docteur en droit, spécialiste des risques psychosociaux et fondatrice du cabinet Global Impact. «C’est une pratique qui existe clairement et qui est plutôt minoritaire», précise Cyrille Catoire, avocat spécialisé en droit social. Pour lui, certains secteurs sont plus concernés que d’autres « comme le secteur du BTP, ou celui de la communication événementielle »très compétitif.
« L’exemple le plus emblématique est celui de France Télécom, rappelle Nina Tahrouni, qui passait du statut d’entreprise publique à celui d’entreprise privée et qui comptait 22 000 fonctionnaires dont elle voulait se débarrasser. Un harcèlement institutionnel a même été reconnu et le but était de contraindre ces travailleurs à quitter l’entreprise. »
2 En quoi cela consiste-t-il ?
Pousser les salariés à démissionner pour éviter le coût d’un licenciement prend différentes formes : «Mise de côté, suppression de fonctions, suppression de tâches, manque de reconnaissance», énumère Nina Tahrouni. L’employeur peut utiliser des méthodes déloyales comme « refus d’augmentation, refus de versement de prime, mise à l’écart »ajoute Cyrille Catoire. « L’idée est de démotiver le salarié pour le pousser à bout, pour qu’il finisse par partir tout seul », souligne-t-il. Dans les cas les plus graves, les « coupures discrètes » peuvent conduire au harcèlement moral.que le salarié peut ensuite invoquer devant les prud’hommes », souligne l’avocat.
« C’est super pervers pour les salariés qui se retrouvent confrontés à cette situation. »
Cyrille Catoire, avocatsur franceinfo
Ainsi, Cyrille Cotoire relate le cas d’un salarié du secteur pharmaceutique qui a été empêché de donner du travail du jour au lendemain. : « Il est resté un an à la maison à ne rien faire. Et l’idée était de l’enfermer complètement, jusqu’à ce qu’il finisse par partir tout seul. Il a fini par démissionner avant d’attaquer ensuite aux prud’hommes », rapporte l’avocat.
Une coupe silencieuse peut affecter tous les travailleurs. « Tant les cadres que les non-cadres sont concernés par ce type de pratiques », confirme Cyrille Catoire. Deux types de profils se démarquent, selon Nina Tahrouni : « Il y a soit des gens qui ne connaissent pas leurs droits, qu’il est facile d’impressionner et d’évincer, soit des gens qui ont une très longue ancienneté et dont le licenciement coûterait trop cher. »
3 Qu’est-ce que les employeurs ont à gagner (et à perdre) ? ?
Lorsqu’elle souhaite se séparer d’un salarié, d’une entreprise « se demande comment mettre fin à son contrat de travail et surtout combien cela va lui coûter », explique Cyrille Catoire. Un licenciement implique la recherche d’un motif valable et le versement d’une indemnité, « une entreprise peut trouver cela trop cher et se tourner vers une alternative : pousser la personne à démissionner ne lui coûtera rien.
C’est ce qui a échappé à l’employée d’une start-up que Nina Tahrouni s’est tirée d’affaire : «Son employeur a fini par lui dire qu’il voulait se séparer d’elle, mais que cela lui coûterait trop cher de la licencier et qu’il serait donc préférable qu’elle démissionne. Sur mes conseils, elle a écrit à son employeur pour dénoncer ses manœuvres déloyales et citer les articles du Code du travail correspondant aux obligations de l’employeur en matière de santé et sécurité au travail. Il craignait que les choses aillent beaucoup plus loin, jusqu’au tribunal, et a finalement accepté un licenciement conventionnel avec indemnité de trois mois de salaire, ce qui était assez conséquent au regard de ce à quoi elle avait initialement droit.raconte l’avocat.
Cyrille Catoire souligne qu’en agissant ainsi, les entreprises prennent des risques, car « Pour obtenir la démission de quelqu’un, il adopte un comportement inapproprié qui peut se retourner contre lui ». « Contrairement à ce qu’ils pensent, cela leur permet rarement de faire des économies. Au final, cela se traduit plutôt par un risque de contentieux qui leur échappe. »conclut l’avocat.
4 Que peut faire un employé s’il se sent ciblé ?
Les employeurs s’appuient sur la méconnaissance de leurs salariés, regrette Nina Tahrouni. Le spécialiste des risques psychosociaux rapporte le cas de jeunes salariés dont une entreprise de restauration a souhaité se séparer : « Une jeune femme a été intimidée par le service des ressources humaines, qui l’a forcée à signer une démission. Quant aux autres, notamment un salarié qui a fait appel à moi, ils ont réussi à obtenir un licenciement conventionnel ». Pour elle, « Dès que les salariés commencent à argumenter en invoquant leurs droits ou des articles du Code du travail, les employeurs se rendent compte qu’ils ne sont pas si ignorants. Ils paniquent et sont plus ouverts à la discussion. »
L’avocat conseille aux salariés qui se sentent poussés au licenciement silencieux de demander de l’aide : par le CSE, le Comité économique et social, les syndicats, quand il y en a, mais aussi par l’inspection du travail ou encore par un avocat spécialisé en droit du travail. Car négocier une rupture conventionnelle apparaît comme une meilleure alternative. « Il vaut mieux prendre les devants plutôt que de subir ces agissements pendant des mois, voire plus, et finalement subir une détérioration de sa santé physique et mentale. » confirme Nina Tahrouni.
« Quand le vent tourne pour les salariés, mieux vaut partir le plus vite possible dans les meilleures conditions, mais pas à n’importe quel prix. Je ne conseille jamais de démissionner par exemple. Mais il ne faut pas non plus s’accrocher au risque de voir sa santé mentale s’effondrer. » détériorer. »
Nina Tahrouni, avocate, spécialiste des risques psychosociauxsur franceinfo
Les manœuvres de l’entreprise pourraient éventuellement aboutir à une forme de harcèlement moral. Dans ces cas les plus graves, le salarié peut porter plainte auprès des prud’hommes, où les statistiques sont très favorables aux salariés. « Il y a parfois des politiques d’entreprises sans scrupules qui veulent économiser chaque centime, regrette Nina Tahrouni qui les exhorte : « Donnez aux gens ce qu’ils méritent, ou ce que la loi et la loi leur donnent, et laissez-les partir. »
Pousser à la démission plutôt qu’au licenciement : en France aussi, il existe des « coupes tranquilles ». Reportage de Camille Laurent