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quatre agriculteurs issus de grands syndicats expliquent pourquoi ils s’opposent à l’accord de libre-échange avec le Mercosur

La FNSEA, les Jeunes Agriculteurs, la Confédération Paysanne et la Coordination Rurale s’accordent sur leur opposition à ce traité. Toutefois, les syndicats ne partagent pas toujours la même vision de l’agriculture.

Devant les préfectures ou les centrales d’achat, les agriculteurs manifestent en ordre dispersé depuis la mi-novembre. Tous arborent pourtant le même slogan, accroché à l’avant de leurs tracteurs : « Non au Mercosur ». Les quatre principaux syndicats agricoles français rejettent unanimement le projet et entendent faire pression sur le gouvernement pour briser un improbable blocage des négociations sur cet accord de libre-échange entre l’Union européenne et cinq pays d’Amérique du Sud.

Mais derrière cette unanimité syndicale se cachent des visions parfois très différentes du modèle agricole français. Pour comprendre les raisons de la colère et mieux cerner les divergences de vues, franceinfo a donné la parole à quatre agriculteurs de Dordogne, représentant la Fédération nationale des syndicats agricoles (FNSEA), la Confédération paysanne, les Jeunes agriculteurs (JA) et la Coordination rurale. (CR).

Nicolas Lagarde, éleveur (FNSEA) : « Nous allons importer sans aucune des règles qui nous sont imposées »

Nicolas Lagarde, éleveur en Dordogne, le 18 novembre 2024. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

« Un ‘non’ catégorique. » Lorsqu’on demande à Nicolas Lagarde son avis sur le projet d’accord de libre-échange avec le Mercosur, sa réponse est écrasante. Avec sa centaine de bovins viande label rouge, l’éleveur périgourdin s’inquiète des 90 000 tonnes de bovins originaires d’Argentine, du Brésil, de l’Uruguay, du Paraguay et de Bolivie qui pourraient entrer dans l’Union européenne avec des taxes réduites. « Cela permettra d’importer la production sans aucune traçabilité et sans aucune des règles qui nous sont imposées ici »s’indigne-t-il, emmitouflé dans sa parka verte.

« Là-bas, il y a des fermes de 10 000 animaux sur quelques hectares, alors qu’ici, on travaille sur le bien-être animal. »

Nicolas Lagarde, éleveur de bovins et membre de la FNSEA

sur franceinfo

L’éleveur a également en ligne de mire ces normes sanitaires et environnementales françaises. « Désormais, nous sommes verbalisés si nous ne respectons pas les dates de taille de nos haies »cite-t-il, désillusionné, au pied de son tracteur. Son discours, appelant d’une part au respect des normes européennes pour les importations et, d’autre part, à leur démantèlement en France, n’est-il pas contradictoire ? L’éleveur écarte la question : « Nous avons de la marge avant de tomber au niveau du Mercosur… »

Le patron de la filière viande bovine de la Fédération Départementale des Syndicats d’Agriculteurs de Dordogne est particulièrement en colère contre Emmanuel Macron. « Nous n’avons aucune confiance dans ses propos »prévient-il, alors que le président de la République se dit opposé, « tel quel »à l’accord avec le Mercosur. « On l’a écouté au Salon de l’Agriculture et on n’a rien eu »rappelle le syndicaliste.

François Soulard, éleveur de moutons (Confédération paysanne) : « Nous voulons un changement de modèle global »

François Soulard, éleveur de moutons en Dordogne, le 18 novembre 2024. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Alors que les agriculteurs de Dordogne manifestent près de la préfecture à l’appel de la FNSEA, des Jeunes Agriculteurs ou de la Coordination rurale, François Soulard reste parmi ses moutons. Sa bergerie est accolée à sa maison. Il suffit d’un pas pour passer des meules de foin au canapé, même si vous changez de chaussures. Cette proximité représente bien le modèle prôné par ce porte-parole de la Confédération paysanne. « Nous défendons de produire localement, ce dont nous avons besoin localement. Nous ne voulons pas d’une spécialisation mondiale, avec le soja au Brésil ou les lentilles au Canada.»explique le quadragénaire.

Le projet d’accord de libre-échange avec le Mercosur symbolise le contraire. «C’est une catastrophe. Il n’y a jamais eu un seul accord de libre-échange qui ait profité aux agriculteurs. »dit l’éleveur. Au-delà des quotas précis et des clauses spécifiques prévues dans l’accord, il dénonce tout un système libéral. « Nous voulons un changement de modèle global »insiste François Soulard, qui estime que seule la Confédération paysanne, classée à gauche, la défend réellement.

« Je ne crois pas à l’opposition de la FNSEA à cet accord de libre-échange. C’est une opération marketing.

François Soulard, éleveur et membre de la Confédération paysanne

sur franceinfo

Contrairement aux autres agriculteurs interrogés, François Soulard ne souhaite pas non plus assouplir les normes, notamment environnementales, qui régissent les pratiques agricoles. « Ce n’est pas là le problème. Les électriciens ont aussi des normes, mais ils n’ont pas de problème de revenus »tacle l’éleveur, assis à côté d’un pile de lettres. Il assume cette différence : « Tous les agriculteurs ont les mêmes problèmes, mais nous n’avons pas les mêmes réponses. »

Geoffrey Couloumy, céréalier et viticulteur (Jeunes Agriculteurs) : « On ne peut pas ouvrir toutes les portes »

Geoffrey Couloumy, céréalier et viticulteur en Dordogne, le 18 septembre 2024. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Geoffrey Couloumy, 29 ans, n’avait jamais manifesté auparavant la grande mobilisation a commencé fin 2023. « L’année dernière, c’était compliqué. Cette année, c’est catastrophique. dit le fermier. Alors, lorsqu’il a fallu se mobiliser à nouveau contre l’accord avec le Mercosur, il n’a pas hésité. « On ne peut pas ouvrir toutes les portes »dit-il, la casquette retournée sur la tête.

Sa petite exploitation familiale, reprise depuis peu avec son grand frère, ne suffit pas à faire vivre les deux hommes. « Nous devons chacun travailler à temps partiel ailleurs pour nous en sortir. » Cette année, le gel a endommagé ses vignes, déjà fragilisées par les maladies. « Les autorités sont même venues nous contrôler alors que nous n’avions rien pu produire »il se plaint.

« Pour les céréales, nous dépendons déjà des prix mondiaux, mais avec des taxes et des contrôles que d’autres n’ont pas. »

Geoffrey Couloumy, céréalier et vigneron, membre des Jeunes Agriculteurs

sur franceinfo

Dans ce contexte, le projet d’accord avec le Mercosur est « une grande menace » d’ailleurs, selon l’agriculteur, pour qui «Cela mettra encore plus les jeunes dans une situation difficile.» Plutôt que de signer des traités de libre-échange, Geoffrey Couloumy plaide pour protéger l’activité locale. « Nous n’avons pas besoin de chercher leur production en Amérique du Sud, il assure, on est capable de nourrir les Français !

Justin Losson, éleveur et agriculteur (Coordination rurale) : « Un grain de sable dans un océan de difficultés »

L'agriculteur Justin Losson, à Périgueux, Dordogne, le 19 novembre 2024. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Avec son chapeau et son sweat-shirt jaune, Justin Losson ne passe pas inaperçu devant la préfecture de Périgueux. Son syndicat, la Coordination rurale, a décidé de faire entendre une nouvelle fois la voix des agriculteurs avec sa méthode musclée : fumier et pneus ont été déversés devant ces représentants de l’Etat. « Il faut renverser la situation »» raconte l’éleveur et céréalier de 34 ans.

Il martèle sa priorité : « Nous voulons simplement vivre de notre métier. » Pour cela, Justin Losson « ne veut pas d’aide »mais « des prix et un revenu décent ». Le projet d’accord avec le Mercosur semble bien éloigné de ses préoccupations quotidiennes. « C’est un grain de sable dans un océan de difficultés »dit-il, avant de citer d’autres traités de libre-échange, avec la Nouvelle-Zélande notamment, et la concurrence des produits ukrainiens. Un drapeau jaune et bleu est également accroché à la préfecture. « Il faut l’arracher »commente un autre agriculteur à côté de lui.

« L’État doit protéger notre agriculture et cesser de signer des traités de libre-échange. »

Justin Losson, agriculteur à la Coordination Rurale

sur franceinfo

Face aux contraintes et difficultés rencontrées avec son père et son frère sur son exploitation en polyculture, Justin Losson appelle avant tout à de nouvelles mesures concrètes. « Ce qui a été annoncé en début d’année nous a permis de garder la tête hors de l’eau, il reconnaît, mais seulement pour un moment.

Cammile Bussière

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