Actualités chaudes, Les fantômesde Jonathan Millet, 39 ans, suit la filature d’un jeune Syrien, réfugié à Strasbourg et victime de tortures dans la sinistre prison de Saidnaya. Avec d’autres civils, réunis dans une cellule secrète, Hamid (Adam Bessa), diplômé en lettres, cherche à démasquer son ancien tortionnaire qu’il croit avoir reconnu en la personne d’une étudiante en chimie, dans un couloir de l’université de Strasbourg. Adam Bessa, beauté ténébreuse comme Delon dans le samouraï (1967), sculpte un personnage d’espion aussi meurtri que déterminé.
Nous avons rencontré le réalisateur à Cannes (où son film a ouvert la Semaine de la critique) le 23 mai, deux jours après l’ouverture du premier procès en France de trois hauts responsables du système répressif syrien (absents du banc des accusés) pour la disparition forcée, la torture et la mort d’un père et de son fils, tous deux franco-syriens. Le 24 mai, la cour d’assises de Paris les a condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité pour « complicité de crimes contre l’humanité » et « complicité de crimes de guerre ».
Hamid est un solitaire, comme peut l’être un espion. Il cache la véritable nature de ses activités à tout le monde, à ses professeurs, à sa mère. De même, les exilés que j’ai rencontrés sont obligés de s’inventer des identités : quand on est syrien, on ne sait jamais vraiment de quel côté se trouve l’autre, même au sein de sa communauté, ce qui crée une méfiance et une solitude extrême.
Parallèlement à ces cellules secrètes, les avocats syriens font un travail de fond considérable pour traquer les tortionnaires, et les preuves transitent toujours par les journalistes avant d’atteindre les autorités. Mais le film ne prétend pas être exhaustif sur toutes les ramifications qui ont été mises en place pour aboutir à des procès, d’abord en Allemagne (en 2021) et aujourd’hui en France. J’ai choisi une mise en scène sensorielle, sans m’encombrer de trop d’informations. J’avais envie de créer un pont avec le film d’espionnage, il y avait un territoire cinématographique passionnant à travailler.
Un contact au sein de ces cellules m’a confié combien ils avaient hésité à dénoncer les criminels de guerre syriens : il y a le risque de médiatiser le fait qu’il pourrait y avoir les pires crapules parmi ceux qui entrent dans le pays… C’était en 2016, l’Allemagne ouvrait ses frontières et il y avait une montée de la xénophobie. Alors oui, des criminels syriens ont réussi à s’infiltrer, et je vois bien que le film pourrait se dérouler dans un endroit qui ne me dit pas grand-chose… Mais l’existence de ces procès montre qu’en Europe, on peut juger ces tortionnaires et qu’il n’y a pas d’impunité. J’ajoute que ces tortionnaires, ou même ces petites mains du régime syrien qui se sont évadées, ont souvent volé les histoires et les noms de leurs victimes et détenus pour y parvenir.
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