Tuune ligne blanche qui fait jaser… Rien de très original dans le petit monde du rugby. Sauf qu’elle ne délimite pas les contours d’un terrain. On peut l’appliquer discrètement au bord d’une petite table ou d’un évier lors des soirées d’après-match… Avant d’être « reniflée ».
Sans surprise, le rugby n’a pas échappé à la « démocratisation » de la cocaïne. « La drogue dans les soirées est un fléau », a reconnu la semaine dernière le demi de mêlée de l’UBB Maxime Lucu : « On est un sport où on est confronté à ça en troisième mi-temps. »
Le phénomène n’est pas nouveau. « J’ai même vu des gens en prendre avant d’aller sur le terrain ! » confie un ancien joueur devenu entraîneur et évoluant dans l’élite à la fin des années 90 : « Ce n’est pas nouveau. » Certes. Mais la substance, recherchée uniquement en marge des matchs et qui disparaît de l’organisme au bout de 36 à 48 heures, est désormais monnaie courante dans les soirées des joueurs professionnels. Individu au pouvoir d’achat élevé, pression physique et mentale, culture de la fête (de l’excès ?)… Le cocktail est explosif.
« On ne peut pas dire que la cocaïne soit très présente dans les clubs », observe un joueur très implanté dans le milieu du rugby : « Mais tout le monde sait qu’elle est très présente. Et la rumeur court que c’est particulièrement le cas dans certains clubs… » Y compris huppés.
« Froid dans le dos »
Le constat est inquiétant. Il sonne pourtant comme un doux euphémisme au vu des estimations, certes partielles et confidentielles, de Provale, le syndicat des joueurs : « Tout le monde dit que c’est sociétal, mais il y a un vrai problème d’addiction. On n’imagine pas ses proportions dans le monde professionnel ! » Pour Mathieu Giudicelli, directeur général du syndicat, le phénomène est effectivement « glaçant » : « Mais à l’image de ce qui se passe dans la société », insiste-t-il encore une fois. Vraiment ?
De l’affaire Pieter de Villiers en 2003, à celle qui avait conduit à l’arrestation du Néo-Zélandais Ali Williams en 2017, jusqu’à la suspension d’Oscar Jegou – déjà – en 2023, plusieurs précédents ont frappé le rugby par le passé. Mais l’affaire vient de se réinviter dans le champ médiatique sous l’effet d’un double levier.
D’abord, la dramatique tournée du XV de France en Argentine au cours de laquelle – sans que la consommation de stupéfiants soit établie – les débordements nocturnes à Mendoza ont conduit à l’exclusion de Melvyn Jaminet ainsi qu’à la mise en examen « pour viol collectif aggravé » (une demande de non-lieu a été déposée) du Palois Hugo Auradou et du Rochelais Oscar Jegou.
« Fléau »
Ensuite la décision du président de l’UBB Laurent Marti d’instaurer un dépistage de cette substance : « On a l’impression de découvrir que la cocaïne existe ! Il y a un fléau qui existe, on n’en veut pas dans notre sport. » « On veut éviter qu’un comportement isolé ne discrédite l’ensemble du club, poursuit le manager bordelais Yannick Bru. On ne veut pas éviter de détourner le regard de la réalité : si c’est avant tout un problème de société, il touche aussi les jeunes – les moins jeunes – qui pratiquent le rugby. »
La démarche des dirigeants de l’UBB a été commentée de diverses manières. « Les gars tombent de leur chaise à cause de la cocaïne… Honnêtement, ils avaient des miroirs en bois et des télés en carton », plaisante Ugo Mola, manager du Stade Toulousain : « Il y a ceux qui en ont parlé ouvertement, il y a ceux qui ont essayé d’agir. Et ce n’est pas seulement en réprimandant et en punissant. Je pense que c’est en informant, en discutant et en partageant. »
Ce que les Bordelais envisagent n’a rien de révolutionnaire. Des clubs de Pro D2 comme Nevers et Montauban auraient déjà orchestré des dépistages. Et la direction du Racing 92 les a déjà instaurés depuis la saison dernière : des analyses urinaires et sanguines sont réalisées après un tirage au sort tous les 15 jours, les échantillons sont ensuite envoyés à un laboratoire indépendant.
« Quand on est pro, on a des avantages, mais aussi des devoirs, explique Laurent Travers, le directeur général du club parisien : c’est néfaste pour un joueur de haut niveau, ça peut avoir des conséquences cardiaques. À partir de là, on fait attention. »
« Il faut une décision commune entre la Ligue et la FFR pour que nous soyons tous sur le même cadre »
Bientôt des projections en Bleu ?
Une inquiétude partagée par Joël Rey, entraîneur des avants de l’Aviron Bayonnais et, accessoirement, père de Lucas, le talonneur de la Section Paloise : « En tant que père, cela m’inquiète. Je ne connais pas les implications en termes de santé quand on pratique un sport de haut niveau. »
Pourquoi, alors, ne pas généraliser le dépistage ? Car ce dernier doit être « encadré » par rapport au droit du travail. Président de Provale, Malik Hamadache se dit favorable à toute démarche visant à préserver « la santé physique et mentale des joueurs ». Mais il met en avant un impératif : « Je pense qu’il faut une décision collégiale entre la Ligue et la FFR pour que nous soyons tous sur le même cadre. »
N’étant pas l’employeur des joueurs, la Ligue ne prétend pas avoir compétence sur ce dossier. C’est l’UCPR, le syndicat des clubs professionnels, qui le pilote. « Nous avons contacté un cabinet d’avocats, rapporte Jean-Patrick Boucheron, le directeur général de l’organisation : à première vue, c’est quelque chose qui semble possible et qui pourrait être mis en place avec l’accord des représentants des salariés au sein du comité d’entreprise. »
Des tests, d’accord. Mais dans quel but ? Des sanctions sont possibles pour Jean-Patrick Boucheron : « Le principe général, c’est que le salarié très particulier qu’est le sportif, a pour finalité de faire ses meilleurs efforts à l’entraînement pour postuler dans l’effectif qui disputera le match du week-end. Dans ce cadre, cela implique une certaine hygiène de vie. »
Une logique qui pourrait bientôt trouver une déclinaison dans le cadre du XV de France. La Fédération réfléchit également à effectuer des dépistages de cocaïne à Marcoussis. Et ce dès la prochaine tournée en novembre. Une nouvelle ligne blanche.