« Quand j’ai découvert l’intensité des relations entre Trump et la mafia russe, j’ai été stupéfait », confie Antoine Vitkine, auteur d’un documentaire inédit.
Dans « Opération Trump – Les espions russes à la conquête de l’Amérique », diffusé dimanche soir sur France 5, le journaliste et écrivain Antoine Vitkine retrace les liens qui se sont tissés, dans les années 1980, entre Donald Trump, la mafia russe et le KGB.
Après s’être intéressé au maître du Kremlin avec son documentaire La vengeance de Poutine, le réalisateur Antoine Vitkine s’immerge cette fois dans l’histoire de l’infiltration des espions russes aux États-Unis. Son nouveau film d’investigation, intitulé Opération Trump : des espions russes à la conquête de l’Amériquediffusé dimanche 20 octobre sur France 5 à 21h05, raconte comment des agents de renseignement et d’influence au service de l’URSS puis de la Russie ont influencé le parti républicain américain, et Donald Trump en particulier, dès la fin de la guerre froide d’aujourd’hui.
Le film retrace également les liens entre l’homme d’affaires américain et la mafia russe dans les années 1980, ainsi que le parcours de Vladimir Poutine au sein des services de renseignement russes. Antoine Vitkine revient, pour franceinfo, sur l’élaboration de son documentaire.
Franceinfo : Que souhaitiez-vous raconter dans votre documentaire ?
Antoine Vitkine : Je voulais comprendre pourquoi Donald Trump était si complaisant et si aligné sur les positions de Vladimir Poutine, notamment concernant la guerre en Ukraine. Et pour répondre à mes questions, j’ai décidé de tracer trois fils conducteurs : l’histoire de Trump, l’histoire de la droite américaine et l’histoire de Poutine dans les services de renseignement.
Comment avez-vous abordé les témoins de votre film ?
Il y avait deux partis : les Américains et les Russes. Mon principal effort consistait à obtenir des témoins russes. C’était difficile. Il fallait que je puisse approcher des agents de l’époque du KGB et des gens des services actuels. Évidemment, les agents du renseignement russe d’aujourd’hui ont tous refusé de me rencontrer, mais j’avais identifié quelques espions des années 1980 qui pourraient détenir des informations sur les relations de Donald Trump avec la Russie.
L’un des témoins les plus importants à mes yeux est le général Kalugin, que j’ai rencontré il y a une quinzaine d’années. C’est vraiment un personnage de roman. De 1974 à 1990, il fut à la tête de l’espionnage soviétique aux Etats-Unis, puis l’un des dirigeants du KGB. Il était le supérieur de Vladimir Poutine et aurait dû prendre les devants de la services de renseignement en 1998. Mais Poutine l’a évincé et Kalugin a été contraint de quitter la Russie. Il est resté prudent dans mes questions, même si je pense qu’il en savait beaucoup plus que ce qu’il disait sur la manière dont Donald Trump était tombé dans les filets des services de renseignement russes.
La bonne surprise a été la rencontre avec l’ancien agent infiltré Jack Barsky. Sa mission, dans les années 1980, était justement d’infiltrer le Parti républicain. J’ai découvert son existence car il a inspiré la série Les Américains.
Était-il plus facile d’approcher les acteurs américains dans cette histoire ?
Oui car au fil des années j’ai acquis pas mal de contacts. Mais surtout c’était plus facile parce que certains avaient beaucoup à cœur, donc ils parlaient volontiers dans le film. Comme John Bolton, conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump entre 2018 et 2019, limogé par Trump, et Peter Strzok, directeur du contre-espionnage au FBI de 2015 à 2018, contraint à la démission alors qu’il enquêtait sur une collusion avérée entre Donald Trump et Russie.
Connaissiez-vous les liens entre Donald Trump et les Russes dans les années 1980 ?
Je n’en avais qu’une connaissance superficielle. Mais quand j’ai découvert l’intensité de la relation entre Trump et la mafia russe, qqui constitue son premier lien direct avec l’URSS, J’étais abasourdi. Il ne s’agit pas de liens avec n’importe qui, mais avec de vrais mafieux russes, parfois des tueurs, arrivés avec des valises de dollars. C’est fou.
Ce que je voulais faire pour ce film, c’était rassembler les pièces du puzzle. Quand on relie cet épisode mafieux à la manière dont le KGB opérait dans les années 1980 en recherchant des gens faibles qui avaient des choses à cacher, tout cela prend tout son sens. Je ne me suis pas attardé là-dessus, mais il existe évidemment des liens entre la mafia et les services secrets russes.
Donald Trump semblait à l’époque être la cible idéale du KGB…
Oui, de leur point de vue, il était la proie idéale. A cette époque, les hommes d’affaires deviennent des figures importantes du KGB qui décident de s’infiltrer dans leur environnement et tentent d’approcher certains d’entre eux. Dans le manuel de recrutement du KGB, il est écrit noir sur blanc qu’il faut s’en prendre aux personnes puissantes qui ont, entre autres, des problèmes d’argent. C’est le cas du jeune Donald Trump, alors au bord de la faillite. C’est pourquoi il accepte l’argent de Russes douteux qui lui achètent des appartements dans sa toute nouvelle Trump Tower.
Il était également très présent sur leur radar à cette époque, puisque c’était la fille de l’ambassadeur de l’Union soviétique qui l’avait amené en URSS. Ils lui montrent alors d’incroyables projets de construction de tours. Une façon évidente de le harponner. A terme, la Trump Tower de Moscou ne verra pas le jour.
Des enquêtes ont été menées sur Trump à ce sujet, mais elles n’ont pas abouti…
Kenneth McCallionqui témoigne dans le film, était procureur anti-mafia à New York dans les années 1980. Il découvre que Trump est impliqué dans certaines affaires, tente de le faire tomber mais n’y parvient pas. Ce qui est incroyable et ce que je ne dis pas dans le film c’est que dans les années 2010, McCallion travaille comme avocat pour les Ukrainiens. Il défend à cette époque les oligarques ukrainiens pro-occidentaux, et c’est dans ce contexte qu’il découvre les manigances fomentées par les trumpistes avec la mafia russe. Parmi les Américains impliqués figure Paul Manafort, le directeur de campagne de Trump en 2016.
D’ailleurs, lors de sa campagne de 2016, Donald Trump espère toujours construire une tour à Moscou.
Oui, c’est étonnant. Il est candidat à l’élection présidentielle américaine et là, via un mafieux proche du régime, on lui propose de construire une tour à Moscou. Et Donald Trump accepte d’ouvrir des négociations. Mais une fois élu président, son projet n’était évidemment plus réalisable.
Les citoyens américains sont-ils conscients de ces liens entre Trump et le pouvoir russe ?
Sur le papier, les Américains ont tous les moyens d’être informés, mais ils sont assez mal informés et, au fond, cela ne les intéresse pas vraiment. Pourtant, les journaux ont publié des tonnes d’enquêtes sur les relations de Trump avec la Russie. D’ailleurs, cette question est dans le débat politique, puisque Kamala Harris l’a récemment évoquée dans une interview. Les démocrates l’utilisent un peu durant cette campagne mais ses effets sont limités.
Les Russes, comme en 2016 avec Hillary Clinton, tenteront-ils de discréditer Kamala Harris ?
C’est toute la question. Mais cette fois, les services secrets américains se montrent très prudents. Récemment, le FBI a démantelé un réseau d’influenceurs sur les réseaux sociaux qui étaient censés attaquer Kamala Harris. Cette organisation a été financée par les Russes à hauteur de 10 millions de dollars. La guerre de l’information russe continue.
Je dis aussi dans mon film qu’il y a eu une désinformation concernant la prétendue persécution des chrétiens ukrainiens par Zelensky (après le vote d’une loi interdisant l’Église orthodoxe russe). C’est un exemple parmi tant d’autres de petites choses qui montrent que les Russes agissent toujours, mais l’ingérence se fait différemment et surtout plus discrètement qu’en 2016 et 2020.
Vladimir Poutine a travaillé très tôt pour affaiblir l’Ukraine avec Donald Trump…
Les Russes sont obsédés par l’Ukraine depuis 1991. En 2014, Poutine met la main sur une partie de l’Ukraine en annexant la Crimée. Nous avons compris trop tard que le cœur de sa stratégie était de récupérer l’ensemble du pays. Rétrospectivement, quand on revient sur la relation entre Trump et la Russie, on constate que l’Ukraine est étrangement très présente.
Lorsque Trump est devenu président en 2017, après avoir été puissamment aidé par la Russie, Poutine a continué à le manipuler, afin de le retourner contre l’Ukraine et d’affaiblir le soutien américain à ce pays. Il placera même des agents ayant une mission de désinformation entre les mains de l’entourage de Trump. C’est ce que j’ai souligné dans la dernière partie de mon film.
Selon vous, que se passera-t-il si Donald Trump est élu en novembre ?
Sur la question ukrainienne, Trump a annoncé à plusieurs reprises qu’il mettrait fin à la guerre. Nous savons qu’il voudra forcer les Ukrainiens à capituler et, pour ce faire, il cessera de fournir des armes. Par ailleurs, on découvre, dans le livre du journaliste Bob Woodward sorti mi-octobre, que depuis que Trump n’est plus au pouvoir, il a eu six ou sept conversations avec Vladimir Poutine. Cela fait écho aux propos de l’ancien directeur de la CIA John Brennan, qui s’interroge dans mon film sur toutes les conversations secrètes entre les deux hommes, qui existaient déjà lorsque Trump était encore à la Maison Blanche. Cela veut donc dire que s’il était élu, nous aurions un président américain, pro-russe par conviction, mais surtout qui sera sous l’influence du Kremlin.
Cela posera d’énormes problèmes, sachant que Poutine ne lâchera rien et que ses ambitions s’étendent à l’Europe. Si l’on est plus optimiste, on peut dire que les États-Unis étant un pilier de l’OTAN, cela renforcera une Europe de la défense, qui devra prendre ses responsabilités et cesser de se cacher derrière le parapluie américain.
Le documentaire Opération Trump – Les espions russes conquièrent l’Amérique, réalisé par Antoine Vitkine, est diffusé le 20 octobre à 21h05 sur France 5 et sur la plateforme france.tv.