Quand Célestin Freinet a pointé une arme pour protéger l’école

Le lundi 24 avril 1933 au matin, une foule vindicative tente d’envahir l’école que dirigeait Célestin Freinet à Saint-Paul, dans les Alpes-Maritimes. Il leur a opposé, l’arme au poing, sa détermination. En cette « journée fasciste », Laurence De Cock met en lumière les relations conflictuelles que Célestin et Élise Freinet entretenaient avec les pouvoirs publics et l’institution scolaire, qui se méfiaient de leur engagement communiste et éducatif.
Rêve d’enfant
Donner la parole aux enfants à travers les textes libres d’élèves, c’était en effet prendre le risque d’offenser : c’est le texte d’un élève évoquant en rêve le meurtre du maire de Saint-Paul qui a mis le feu aux poudres… locale, l’affaire Freinet devient nationale, donnant même lieu à des débats au Parlement, opposant dans la presse les tribunes de Charles Maurras dans « l’Action française » aux articles de soutien de « l’Humanité ». L’ouvrage de l’historien suit le parcours mouvementé de ce couple de pédagogues militants, jusqu’à la création de l’école de Vence, appuyée par l’intervention de Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale du Front populaire. Elle se termine par la période d’internement de Célestin Freinet ordonnée par les représentants de Vichy, entre octobre 1940 et octobre 1941, l’assignation à résidence à Vallouise et l’entrée du couple en résistance.
Au-delà des troubles et des conflits politiques, au-delà de certaines interrogations sur les rapports entre la famille Freinet et le pétainisme, l’ouvrage aborde des aspects moins connus de la pédagogie Freinet, comme le « naturisme prolétarien », le rôle du pédagogue américain Carleton Washburne et le fonctionnement de l’école de Vence, « un subtil mélange de pragmatisme et d’idéaux ». Lorsque le Front Populaire remporte les élections de 1936, les époux Freinet vont jusqu’à plaider pour un Front Populaire de l’Enfance, s’inspirant de ce qu’ils ont constaté lors de leurs voyages en URSS, puisque « l’enfance se meurt ici ».
Pédagogie VS ordre établi
Après un changement radical de regard sur l’enfance et l’éducation, Freinet propose également de « poursuivre la logique de l’école maternelle pendant les dix premières années de scolarité ». Finalement, à la lecture de ce livre qui interroge le parcours semé d’embûches des Freinet, il se pourrait que l’essentiel ne soit pas leur biographie, mais l’impulsion qu’ils ne cessent de susciter. Les pédagogues Freinet ne sont pas des modèles. Comme le souligne justement l’historien en conclusion, leur travail et leur parcours revitalisent le lien nécessaire entre pédagogie et justice sociale.
Contre l’ordre établi et le respect des règles, cette inspiration reste attaquée par le pouvoir politique. « Sous les présidences d’Emmanuel Macron, des déplacements officiels à Bobigny, Nanterre ou Saint-Denis, par exemple, montrent que l’autoritarisme des ministères et des rectorats n’a pas disparu, que la confusion entre endoctrinement et apprentissage à l’esprit critique reste volontairement entretenue par le autorités, calées sur une vision conservatrice, voire réactionnaire, et surtout élitiste de l’instruction publique. »
Grb2