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Quand Anne Hidalgo croit voir dans le succès des JO une victoire de la gauche

Quand Anne Hidalgo croit voir dans le succès des JO une victoire de la gauche

FIGAROVOX/ENTRETIEN – Les propos tenus par le maire de Paris dans une interview à Monde reflètent la « conception égocentrique » d’une gauche qui s’empare d’un événement unificateur en refusant l’altérité, analyse le rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire Arnaud Benedetti.

Arnaud Benedetti est professeur associé à l’Université Paris-Sorbonne et rédacteur en chef de la « Revue politique et parlementaire« . Il a publié Aux portes du pouvoir. RN, la victoire inéluctable ? (Michel Lafon, 2024).


FIGAROVOX. – Dans une interview à Monde Anne Hidalgo se réjouit du bon déroulement des Jeux Olympiques et en profite pour déclarer :Fuck les réactionnaires, Fuck cette extrême droite, Fuck tous ceux qui voudraient nous enfermer dans la guerre de tous contre tous « Ne devrait-on pas regretter qu’elle ne profite pas de ce moment pour envoyer un message de concorde ?

Arnaud BENEDETTI. – Anne Hidalgo est une synthèse de la gauche post-progressiste : urbaine, sociétale et mondialisée. Elle ne défend pas tant l’universalisme dont la gauche se prétend historiquement porteuse que la vision et les intérêts de la petite et moyenne bourgeoisie des grandes métropoles dont elle est la représentante. La maire de Paris incarne ainsi une conception autocentrée de la ville et plus largement de la société. Certes, la maire se revendique toujours de s’inscrire dans la tradition historique de la gauche, mais elle ne s’adresse finalement qu’à son propre camp. Elle est l’une des nombreuses ramifications du « terranovisme », ce logiciel né du think-tank qui, depuis les années 2000, a inscrit la quasi-totalité de la gauche dans une lignée déconstructiviste d’un côté, et post-nationale de l’autre. Dès lors, tout ce qui ne vient pas de ce logiciel, qui le critique ou vient le combattre, est l’objet d’un mépris social et culturel que les propos d’Anne Hidalgo sur ceux qui ont émis des réserves (ce qui est toujours leur droit) à l’égard de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, illustrent de manière presque caricaturale.

N’est-il pas paradoxal de se réjouir de « l’humanisme » de la Ville Lumière et de la tolérance qu’incarne Paris selon elle, et de dire «Putain les réactionnaires » ?

Ce paradoxe n’est pas le cas pour celui qui use de ce langage dont les codes renvoient d’ailleurs à une sous-culture américanisée. Dans la mesure où la gauche perd son autorité intellectuelle, il faut noter qu’elle se réfugie, en l’absence de toute capacité argumentative, dans l’anathème, la stigmatisation, le recours à des figures dégradées de sa rhétorique originelle qui visait à dénoncer l’obscurantisme et les forces de la « réaction ». Au fond, Anne Hidalgo incarne la propension de la gauche à considérer qu’elle est la seule détentrice de la vérité, qui est d’abord la sienne, ignorant superbement d’ailleurs que la vérité est ontologiquement plurielle, relative aussi lorsqu’il s’agit de parler et de penser le monde social. Quand les vérités abstraites de la gauche se heurtent à la diversité des sensibilités d’une société, au concret en quelque sorte de cette dernière qui résiste aux illusions idéologiques, le camp du « bien » use du dernier recours pour s’autojustifier : la course en avant dans la disqualification de l’adversaire.

Anne Hidalgo fait finalement partie de cette gauche qui ne peut imaginer qu’on ne puisse penser comme elle. D’ailleurs, la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques a agi comme un formidable révélateur d’un tempérament qui est le propre des néoprogressistes : une injonction à aimer qui, si on ne la partage pas, renvoie ipso facto à « l’enfer des rétrogrades ». D’ailleurs, tout s’est passé comme si la dimension la plus provocatrice de la cérémonie n’était pas seulement érigée en revanche, mais aussi en point de jouissance ultime pour ceux qui en ont fait une arme idéologique. Les réseaux sociaux ont crépité de cette satisfaction chez les militants de gauche et même les macronistes qui n’ont pas manqué de se réjouir pour nombre d’entre eux.


Le sport reste néanmoins, même dans les démocraties libérales, un objet de projections politiques.

Arnaud Benedetti

Au-delà de ces propos, Anne Hidalgo pourrait-elle bénéficier d’un « effet Jeux Olympiques » ?

Si effet il y a, ce qui reste à démontrer, il sera forcément de courte durée. D’abord parce qu’il y a une course à la récupération de l’événement à laquelle la maire de Paris est loin d’être la seule à contribuer. D’autres sont en compétition, à commencer par le chef de l’État et le gouvernement démissionnaire. Au-delà de cette compétition, il ne faut pas surestimer l’impact politique des JO. L’instrumentalisation n’est pas forcément de premier ordre au goût de l’opinion publique. Elle peut même provoquer un contre-effet. Sans compter que l’irénisme du moment olympique conjugué au contexte estival va se confronter à la dissolution de son impact dès la rentrée, dans un pays confronté à une crise multidimensionnelle : institutionnelle, financière, souveraine, etc.

Peut-on voir dans le succès des Jeux olympiques une victoire des valeurs de la gauche, comme semble le suggérer Anne Hidalgo ?

C’est une lecture pour le moins discutable et qui explique la volonté de polarisation, ce qui ne devrait pas être le cas si l’on veut que le moment olympique soit authentiquement fédérateur. Les Jeux olympiques n’appartiennent pas à un camp. Ils sont un héritage qui dépasse les factions et les fractures. Ce sont les totalitaires ou autoritaires qui en font exclusivement un objet politique au service de leurs intérêts et de leur vision du monde. Le sport n’en demeure pas moins, y compris dans les démocraties libérales, un objet de projections politiques. Il est un levier de soft power, un théâtre où s’investissent évidemment des stratégies d’influence partisanes, une ressource que le pouvoir peut en effet tenter d’utiliser en fonction des circonstances.

Et puis il y a cette tentation, chez beaucoup d’acteurs politiques, de s’accaparer une part du capital de popularité des athlètes. Nous sommes en effet dans le moment que nous traversons comme abusés par un effet d’optique national. Il y a fort à parier que tout pays organisateur des Jeux olympiques sera confronté au même phénomène d’autosatisfaction, voire d’hubris. Si Anne Hidalgo entend faire de ces Jeux « une défense et une illustration » des valeurs de gauche, elle se trompe sur l’Olympisme. D’abord parce que l’Olympisme est un conservatoire de l’esprit antique, qui était profondément inégalitaire, hiérarchique et discriminatoire. Ensuite parce que le restaurateur de l’Olympisme lui-même, Pierre de Coubertin, était un conservateur pur et dur, même s’il était convaincu qu’il fallait s’adapter aux temps modernes pour encadrer et former les élites.

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